CYCLE DE SÉMINAIRES « LA RELATION FRANCO-POLONAISE
DU DÉBUT DU XIXe SIÈCLE À NOS JOURS »
« Se rencontrer en esprit, c’est se réunir au sommet »
2e séance : « L’ère des malentendus »
par Frédéric Fogacci,
Directeur des études et de la recherche de la Fondation Charles de Gaulle
L’intervention française dans le cadre de la mission militaire (1919-1921) aurait pu ouvrir une ère de compréhension et d’action commune entre la France et la Pologne, la résurrection d’une Pologne forte et indépendante au cœur de l’échiquier d’Europe centrale étant de longue date au cœur de la vision stratégique française. Et pourtant, la période qui suit, menant vers le second conflit mondial puis vers son règlement est une ère de malentendus divers et variés, que l’épisode de 1944 ne dissipe pas. Là se situait l’objet de cette seconde séance du séminaire franco-polonais, nourrie des interventions des professeurs Jean-Paul Bled, Marek Mikolajczyk et Frédéric Dessberg. On ajoutera que les écrits de l’Ambassadeur de France à Varsovie dans les années 1930, Léon Noël, dont la réédition est souhaitable, souvent cités, ont coloré l’ensemble des interventions, et que le rôle, parfois mésestimé, joué par Christian Fouchet, seul diplomate européen présent lors de la séance du 31 décembre 1944 au cours de laquelle le Comité de Lublin se proclame gouvernement provisoire de la Pologne, est aussi apparu dans toute son importance.
Trois enjeux essentiels ont coloré un débat riche et fourni.
Le premier a trait à la dissolution progressive du lien de confiance franco-polonais, alors identifié à Paris à la montée en puissance du colonel Beck auprès de Pilsudski, comme le montre Jean-Paul Bled. De fait, au pacte germano-polonais de 1934 répond le pacte franco-soviétique de 1935. Ces deux pactes sont modestes par leur contenu concret, par les engagements explicites qu’ils portent (Jean-Baptiste Duroselle qualifiait le pacte de 1935, négocié par Pierre Laval, de « Chef d’œuvre de galimatias »), mais sont en revanche diablement efficaces pour instaurer une relation de défiance entre Paris et Varsovie. Dès lors, la coopération franco-polonaise face aux initiatives hitlériennes (remilitarisation de la Rhénanie, Anschluss) reposera sur des faux-semblants teintés d’une méfiance réciproque qui interdit toute action commune. Si l’on a beaucoup écrit sur le rôle personnel néfaste de Georges Bonnet, en charge de la politique extérieure de la France à compter de 1938, cette dernière se trouve prise à un double piège, dont le colonel Beck n’ignore rien. D’abord, l’absence de véritable alliance de revers tournée contre l’Allemagne, la relation polono-tchécoslovaque étant minée par la rivalité autour de Teschen. Ce point, éclairé par les travaux d’Isabelle Davion, est crucial pour comprendre l’inaction française après 1936. Ensuite, l’incompatibilité, pointée par de Gaulle dès 1936, entre des alliances de revers et une stratégie essentiellement défensive qui interdit toute capacité à porter secours aux dits alliés, comme l’épisode de septembre 1939 me montrera cruellement.
Le second, mis en lumière par Marek Mikolajczyk, est qu’une véritable coopération militaire, bien souvent méconnue, se met en place pendant la guerre. Le gouvernement polonais du Général Sikorski, en exil à Angers après septembre 1939, prend contact avec la France Libre de manière précoce. L’Armée polonaise de l’Ouest comptera 250 000 hommes engagés dans le conflit, soit la 4e armée en hommes engagée dans les batailles de France et d’Angleterre, avant de combattre sur divers terrains (Lybie, Ardennes à la fin de la Guerre), tout en déployant une action de renseignement essentielle pour les alliés. Cette histoire est à redécouvrir, quand bien même la relation directe entre de Gaulle et le général Sikorski est, elle aussi, dominée par le jeu d’un troisième acteur, l’URSS de Staline.
Enfin, précisément, l’épisode, complexe, du Comité de Lublin semble découler directement de ce rapprochement avec Moscou que de Gaulle juge, fin 1944, inévitable, allant à Moscou conclure l’éphémère « belle et bonne alliance ». Pourtant, le travail de Frédéric Dessberg semble montrer que l’on aurait tort d’y voir une causalité trop directe ou une forme de realpolitik gaullienne trop durement appliquée. Le témoignage de Christian Fouchet montre au contraire que cette initiative répond plutôt à une évaluation de situation, peut-être erronée, concernant la représentativité de ce gouvernement et la capacité de la France à retrouver une forme d’influence en le reconnaissant. Ce point tout à fait intéressant et encore douloureux dans la relation bilatérale actuelle, a fait l’objet en fin de séminaire d’un débat passionnant.
Au total, cette séance, d’une grande richesse grâce à une double approche historique, à la fois française et polonaise, permet de continuer le travail de défrichage de l’héritage sur lequel se fonde la relation bilatérale actuelle. La vision du général de Gaulle y apparaît plus encore comme un fil rouge.