CYCLE DE SÉMINAIRES « LA RELATION FRANCO-POLONAISE
DU DÉBUT DU XIXe SIÈCLE À NOS JOURS »
« Se rencontrer en esprit, c’est se réunir au sommet »

3e séance : « La résurgence gaullienne de la relation franco-polonaise »

par Frédéric Fogacci,
Directeur des études et de la recherche de la Fondation Charles de Gaulle

C’est fin 1965 que commence à se dessiner le projet de voyage du général de Gaulle en Pologne. Des raisons de long terme comme des raisons plus conjoncturelles le poussent à privilégier Varsovie comme la première capitale d’une démocratie populaire où il se rendra. Des raisons affectives également, évidentes : « Il n’existe aucun pays auquel la France soit plus sentimentalement liée que la Pologne », confie-t-il à Cyriankiewicz, venu lui rendre visite en septembre 1965 à l’Elysée.

Les raisons de long terme sont assez évidentes, et les précédentes séances de notre réflexion au long cours sur la relation bilatérale entre Paris et Varsovie les ont pleinement éclairées. La carrière du Général, son engagement aux côtés de l’armée polonaise dans le cadre de la mission militaire française, de 1919 à 1921, s’inscrivent dans une longue histoire commune, où la force de l’évidence du lien se heurte sans cesse aux déceptions et incompréhensions liées à la conjoncture. Dans ce quadrille complexe entre Paris et Varsovie encadré par Bonn et Moscou (que l’arrivée de Washington dans le jeu transformera en encore difficilement dansable valse à cinq temps), l’émergence d’un Pologne forte et indépendante est de l’intérêt géostratégique le plus évident pour la France. Du côté polonais, l’extrême attention portée au problème allemand pousse à rechercher un lien aussi proche que la Guerre froide le laisse possible avec Paris, la position très nette de De Gaulle sur la frontière Oder-Neisse, prise dès 1959, ayant beaucoup compté à cet égard.

Mais s’y ajoute le regard particulier que porte la diplomatie française sur la Pologne soumise au joug de Moscou. Les relations, économiques notamment, sont décevantes, limitées : la France n’est que le 5e partenaire économique à l’ouest pour Varsovie, loin derrière la RFA. Mais l’essentiel n’est pas là. Au moment de quitter son ambassade, en 1962, Etienne Burin des Roziers adresse au Général un long bilan de son action, dans lequel il dresse deux constats qui vont beaucoup influer sur la stratégie gaullienne : 1/ la greffe communiste sur la société polonaise reste superficielle, nombre de contre-influences, particulièrement l’Eglise catholique, y faisant très efficacement obstacle, et 2/ la Pologne est dès lors, de toutes les démocraties populaires, celle où la voix de la France peut se faire entendre dans les meilleures conditions, et avec le plus d’efficacité. Les liens maintenus, notamment dans le domaine culturel (en 1960 est créé un centre de littérature française à l’université de Cracovie) constituent l’un des vecteurs d’un lien certes souterrain, mais vivant, qu’il est possible d’entretenir, avec la société polonaise.

C’est donc le sens de la visite officielle que de Gaulle consacre à la Pologne, en septembre 1967. Maurice Vaïsse, le spécialiste de référence concernant la politique étrangère du Général, en fait partager à la fois les enjeux et le déroulement, tout particulièrement important. D’une part car de Gaulle cherche un lien avec le peuple polonais, par-delà son gouvernement. Dans ce domaine, les foules massives qui l’acclament (l’Ambassadeur Wapler évoque le nombre de 3 millions de personnes), l’audience donnée à son voyage, notamment à la télévision, en font un plein succès. D’autre part car si les discussions diplomatiques avec Gomulka ne donnent assez logiquement lieu qu’à bien peu d’ouvertures (de manière assez intéressante, le leader polonais justifie le rôle central de l’alliance avec Moscou par la nécessité de se prémunir contre une résurgence du militarisme allemand), le Général n’en adresse pas moins aux Polonais des messages implicites, dans des formules aussi belles qu’habilement tournées. Retenons celle-ci : « Pour nous comme pour vous, il est essentiel que cette coopération en soit une, et non pas l’absorption dans quelque énorme appareil étranger. Pour nos deux peuples qui ont besoin d’agir ensemble, se rencontrer en esprit, c’est se réunir au sommet ». Si aucune des lignes rouges de la Guerre Froide n’est explicitement franchie, le message n’en est pas moins clair à qui veut l’entendre.

Cette visite de 1967, que nous fait revivre Maurice Vaïsse, est donc une résurgence de la relation franco-polonaise. Il faut écouter, jusqu’au bout, cette séance, entendre aussi les souvenirs que son évocation ravive parmi les membres du public du séminaire, qui l’ont vécue enfants ou adolescents, pour en saisir la pleine importance.

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