L’ENGAGEMENT, UNE HISTOIRE DE FAMILLE

par le capitaine de corvette Denis Dujardin 

C’est une histoire d’amour et d’admiration d’une petite-fille, Caroline, pour sa grand-mère, Henriette. Deux destins, deux histoires avec un dénominateur commun : servir la France.

Caroline a grandi avec sa grand-mère, Henriette. Une mamie gâteau, une mamie tricot. Une mamie comme toutes les autres. Caroline sait que sa grand-mère a joué un rôle pendant la Seconde Guerre mondiale, mais lequel ? Comme toutes les personnes de cette époque, tout est secret, rien ne filtre. Caroline l’admire. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’Henriette est originaire de Saint-Pierre et Miquelon et qu’elle s’est engagée dans les Forces navales françaises libres pour rejoindre le général de Gaulle.

Elle a toujours vu des photos de sa grand-mère dans son bel uniforme bleu…enfin…noir…sur les photos de l’époque. Pour son avenir professionnel, c’est décidé : Caroline suivra les traces de Mamie et s’engagera dans la Marine en 1994 pour devenir reporter-photographe.

Une mystérieuse boite métallique rouillée

Henriette décède le 23 septembre 1996 à Bordeaux. Lors de son enterrement, Caroline est présente en tenue 22, la tenue de cérémonie de la Marine nationale, portant fièrement les médailles de son héroïne sur un coussin. C’est alors qu’un monsieur d’un certain âge tend une boîte de biscuits complétement rouillée à la famille. Caroline découvre des morceaux de métal. Ce monsieur explique que ces éclats d’obus ont été enlevés du dos de sa grand-mère lors des bombardements de Londres. Totalement intriguée, Caroline décide de partir sur les traces de sa super-mamie, Henriette Massouty-Cormier.

Telle Agatha Christie et Sherlock Holmes, Caroline fouine partout : dans les archives personnelles, dans les archives militaires afin de reconstituer le mystérieux puzzle de la vie de sa grand-mère. Avec tous les documents qu’elle a retrouvés, elle pourrait faire un musée. Caroline est la gardienne du temple, la gardienne de la mémoire de son héroïque grand-mère.

Henriette Cormier est née à Saint-Pierre à Miquelon le 17 janvier 1920. Elle partage sa jeunesse avec ses sœurs (Madeleine née le 5 février 1923 et Blanche née le 10 juillet 1921). La vie sur l’archipel est paisible. Elles ne se doutent pas que l’arrivée de la guerre fera basculer leur destin.

Un événement va venir changer le cours de l’Histoire. Ce petit bout de France situé juste en face du Canada a une position stratégique. Il dispose d’un puissant émetteur radio et l’archipel se trouve sur le trajet des patrouilles des sous-marins allemands qui pistent les convois en provenance des Etats-Unis ou du Canada.

En décembre 1941, le général de Gaulle décide d’envoyer des bâtiments de guerre pour prendre possession de l’archipel et libérer le premier territoire français de la Seconde Guerre mondiale. Le 24 décembre, dans la brume saint-pierraise, l’amiral Emile Muselier et sa flotte (les corvettes Mimosa, Alysse et Aconit et le sous-marin Surcouf) accostent à Saint-Pierre. Sans le moindre de coup de feu, les marins prennent possession de l’émetteur, font prisonnier l’administrateur Gilbert de Bournat et installent leur propre administration. Dès le lendemain, un référendum est organisé pour valider le ralliement de l’archipel à la France Libre. C’est un plébiscite à plus de 95 %. L’archipel est LIBRE !

52 engagées volontaires féminines

Cet événement déclencheur va entraîner un engagement sans précédent de la population dans les Forces françaises libres. Sur les 5 500 habitants que compte l’archipel, 563 hommes, femmes et mousses rejoignent les forces françaises. Parmi les 563 engagés volontaires, figurent 52 jeunes filles dont Henriette

Elle est l’une des premières à s’engager le 21 janvier 1942, sans le consentement de ses parents. Elle signe un contrat pour la durée de la guerre, plus un mois, dans les Services Féminins de la Flotte (SFF). Ses deux sœurs font de même. Henriette est affectée à l’état-major à Londres, au service du chiffre, poste secret et très important au regard des problèmes de communication de l’époque. Sa sœur, Madeleine, part à Washington et Blanche reste sur l’archipel. Elles tenaient leur patriotisme de leur père, Charles, qui avait fait la Première Guerre mondiale et avait combattu au Chemin des Dames.

Quand Henriette arrive à Londres, c’est une « civile ». Elle ne connait rien à l’armée. Il lui faut tout apprendre : déjà porter et respecter son uniforme, marcher au pas et le maniement des armes. Elle intègre un centre de recrutement qui forme ces jeunes femmes pendant la guerre.

En photo avec le Général

Une des photos les plus marquantes et les plus émouvantes que Caroline possède est celle où le général de Gaulle passe les troupes en revue à Londres. Dès qu’elle la montre ou en parle, Caroline a les larmes aux yeux et la voix tremblante. Il est devant Henriette qui le regarde droit dans les yeux : « Ce n’est pas rien. Mamie qui tient le regard du général de Gaulle ! »

À ce poste très stratégique, Henriette devait déchiffrer les messages notamment ceux concernant les torpillages des navires français sur lesquels de nombreux engagés saint-pierrais avaient été affectés. N’écoutant que son courage et la volonté de sa patrie, elle se porte volontaire pour effectuer la surveillance nocturne sur les toits de Londres. C’est au cours d’une de ces missions qu’elle est blessée au dos par des éclats de V1.

C’est à Londres, pendant la guerre qu’Henriette va rencontrer son mari, Paul Massouty. Il a quitté la France après l’armistice de 1940 et a rejoint Londres. Il sert dans les Forces aériennes françaises libres, dans le Groupe Lorraine comme mécanicien navigant. Ils se sont mariés à Londres. Comme le souligne, Caroline : « Ils ont dû vivre leur idylle intensément car ils ne connaissaient pas leur avenir. Ils savaient qu’ils pouvaient mourir en mission et peut-être ne plus jamais se revoir. »

De Londres à Saïgon en passant par Paris

Le 1er mai 1945, Henriette quitte Londres pour prendre un poste au ministère de la Marine à Paris. Ensuite, Henriette poursuit son engagement en partant pour l’Indochine, affectée à Marine Saïgon. Elle embarque le 19 mai 1946, à Marseille, sur le paquebot Pasteur, direction l’Extrême-Orient. Son mari l’a rejointe ensuite quand le Groupe Anjou a été positionné en Indochine. Le 11 juin 1947, elle donne naissance à leur premier fils, Daniel. Son contrat expirant le 19 août de la même année, le sous-officier du 2e classe du SFF Henriette Massouty quitte l’institution militaire. Le 12 juin 1949, un second fils viendra agrandir le foyer, Michel.

À la fin des années 1950, Henriette et sa famille reviennent à Saint-Pierre à Miquelon car son mari, Paul, est chargé, par le gouverneur de l’époque, de suivre les travaux de construction de l’aérodrome de Saint-Pierre. Ils y resteront une dizaine d’années avant de revenir en métropole puisqu’elle va suivre son époux qui travaille à Saint-Yan (71). Paul décède en mai 1975, Henriette, en septembre 1996 à Bordeaux.

Caroline sur l’archipel de Mamie

L’histoire est un éternel recommencement. Au gré des missions et des reportages, Caroline qui s’est engagée dans la Marine comme reporter, se retrouve en 2005 sur le Charles de Gaulle. Elle y apprend par le plus pur hasard que le porte-avions doit faire escale sur l’archipel. Elle n’y croit pas. Ses supérieurs en découvrant que la famille de Caroline est originaire de Saint-Pierre, lui proposent de l’inclure dans la délégation officielle pour une cérémonie au pied de la Croix de Lorraine qui trône fièrement derrière le musée de l’Arche de Saint-Pierre. Caroline va arriver par la mer pour honorer les « anciens » qui ont servi dans la France Libre, dont sa grand-mère. « En arrivant sur place, je découvre que ce sont mes oncles et mes tantes qui sont les porte-drapeaux des associations patriotiques. J’ai vécu un moment très fort en émotion car je retrouvais ma famille. J’étais à Saint-Pierre en uniforme pour rendre hommage à Mamie. Je n’y suis restée que deux heures, mais cela reste gravé à jamais dans ma mémoire. »

Pour poursuivre cette destinée commune, comme Henriette avec Paul et sa famille dans les années 1950-1960, Caroline s’installe sur l’archipel en famille en 2019. Elle y crée une maison d’édition exclusivement dédiée à l’archipel, « Mon Autre France ». Elle sort notamment un « beau » livre sur ceux qui ont rejoint la France Libre suite à la libération de l’archipel, le jour de Noël 1941, dont bien évidemment Henriette, sa grand-mère : L’archipel des Français libres de Xavier Fréquant et Yassir Guelzim.

Engagement quand tu nous tiens…

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