Le 26 septembre 1949, le général de Gaulle se rend à Lesparre en Gironde
pour présider une cérémonie à la mémoire de Georges Mandel

Mon premier mot est pour vous dire l’émotion que je ressens de l’accueil si chaleureux que vous avez bien voulu me faire et qui me touche d’autant plus que je sais les sentiments de Lesparre, quels ils ont été pendant le grand drame de la guerre, quels ils sont aujourd’hui où nous nous trouvons devant de nouvelles menaces.

Je suis d’autant plus touché de vous le dire que je sais l’accueil que vous avez fait, dans la personne de tel ou tel de vos enfants, à des membres de ma famille pendant les années tragiques. C’est pourquoi ce que M. le maire vient de dire m’a touché parce que j’ai vu que cela correspondait à ce que vous pensez.

J’ai été fort sensible à l’honneur qui m’est fait d’être convié pour présider à cette touchante et émouvante cérémonie en l’honneur de Georges Mandel. Il y a à cela des raisons générales et quelques raisons particulières.

Les raisons générales, c’est que Georges Mandel fut trois choses à la fois très rares : il fut un politique au sens le plus élevé du terme, un patriote au sens le plus haut et un républicain au sens le plus vrai et le plus réel.

Il fut d’abord ai-je dit, un politique c’est-à-dire le contraire d’un politicien. Il fut un politique parce qu’il a eu la propriété, le mérite, le courage en toutes circonstances, d’abord de « choisir » car la politique, au sens qu’elle doit avoir, c’est d’abord un choix et ensuite, il eut toujours le mérite et le courage de porter complètement sa responsabilité. Vous voyez que c’est le contraire : un politique et un politicien.

Il fut un patriote en ce sens que jamais il n’a dit au pays, ou aux Français et à vous en particulier, : abaissons-nous, couchons-nous, nous trouverons la sécurité, la tranquillité dans l’humiliation. Non ! Il a toujours dit au pays, aux enfants du pays et à vous : levons-nous, levons la tête, soyons fermes et soyons forts ; c’est ainsi que nous seront respectés et aurons des chances de rester libres.

Il fut un républicain en ce sens qu’il a toujours montré cette loyauté, cette fermeté, ce sens de l’Etat qui était à l’origine de ce que firent pour la France les Républicains et de ce qui est aujourd’hui dans l’âme de ceux qui méritent encore ce nom, leur véritable caractéristique.

Il y a eu aussi ces raisons générales de l’estimer, de le respecter, de lui rendre hommage qui se sont manifestées pendant la guerre de toutes sortes de façons ; avant, elles s’étaient manifestées aussi ; il avait servi Clemenceau c’est-à-dire en même temps la France et la République. Il avait, entre les deux guerres, exercé l’action nationale ferme et républicaine dont j’ai parlé tout à l’heure et puis, au moment du grand drame, lui, il n’a pas fléchi, il a fait son choix et il a porté sa responsabilité. Il en est mort ; il est mort pour la France.

Il y a des raisons particulières que j’ai eues et que j’ai de nourrir à son égard un souvenir particulièrement profond : d’abord il fut mon collègue et je ne le connaissais pas avant. Il fut mon collègue dans le gouvernement, dans le dernier gouvernement libre de la République, dans ces premiers terribles jours de juin 1940 et je dois dire que son attitude personnelle, à ce moment-là, fut pour l’homme qui vous parle non seulement un réconfort mais une orientation pour la suite.

Je le vois encore, la dernière fois que je le vis, à la préfecture de Tours, au moment où nous allions partir pour Bordeaux où le désastre planait. Je vois encore cette attitude de Georges Mandel simple, ferme, calme, absolument résolue et j’entends encore ces paroles de lui me disant : « Vous êtes un des rares – hélas, excusez ce que ma modestie peut avoir à vous répéter ces paroles, mais je les répète pour vous indiquer à quel point elles m’ont servi –  « vous êtes un des rares qui, dans le drame que nous traversons peut servir purement la France » [Applaudissements]

Quand il partit pour l’Afrique du Nord, sur le Massilia, j’ai compris qu’il condamnait de la façon la plus formelle et de la manière en ses moyens la capitulation et l’armistice.

J’ai rencontré sa présence lorsque, me rendant à Fort-Lamy, au Tchad, pour y prendre au nom de la France Libre, c’est-à-dire de la France, possession des territoires de l’Afrique équatoriale, je rencontrai Félix Eboué, que la préscience de Mandel avait installé là ; et, en le faisant, Mandel a indirectement sans doute, mais clairement joué un rôle essentiel dans la résurrection de l’Empire.

Enfin, j’ai eu des rapports avec Mandel tandis qu’il était en prison à Vals et au Pourtalet et, de là, il m’a donné ce que je vais vous indiquer ; il m’a donné et des encouragements et des conseils dont vous verrez qu’ils ne furent pas inutiles. Voici quelques passages d’une lettre que Georges Mandel, de sa prison, le 20 août 1942, a envoyé au général de Gaulle, alors à Londres : « Mon cher ancien collègue, Notre malheureux pays a été livré depuis le 17 juin 1940 à des gouvernants qui se sont constitués à des degrés divers, les serviteurs de l’ennemi. Il faudra, tout en remettant la France dans la guerre, commencer par effacer d’un trait de plume l’ensemble des mesures politiques qu’ils ont prises et restaurer la République ». C’est ce que j’ai fait.  [Applaudissements]

Il m’écrivait encore : « Ce qui importera par-dessus tout, c’est que vous soyez le chef incontesté du Gouvernement et que vous ayez votre complète liberté d’action ». Tant que j’ai pu faire cela, je suis resté à la tête de la France ; si j’ai dû la quitter, c’est parce que je ne pouvais plus et vous en connaissez les raisons et les responsables. [Applaudissements]

Il m’écrivait encore : « Quant à moi, je n’ai souffert, cruellement souffert de toutes les persécutions sont j’ai été l’objet, que parce qu’elles m’ont empêché de seconder votre effort. Je n’ai d’autre ambition que rattraper le temps perdu ». La mort l’a empêché de rattraper le temps perdu mais elle n’a pas empêché que je garde son témoignage et son encouragement. Ceci est la preuve qu’aujourd’hui, Georges Mandel, s’il vivait, serait ici à côté de moi. [Applaudissements]

Gardons son souvenir, conservons son témoignage. Nous pouvons en avoir besoin. Ce sont de pauvres gens qui disent au pays aujourd’hui : dormez ! C’est le contraire qu’il faut lui dire. Veillez ! Debout ! En marche ! La menace n’est pas loin.

Vive Lesparre, Vive la République, Vive la France.

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