Extrait des Mémoires de guerre, tome 2 – L’Unité

Il me paraissait acquis que tout serait bientôt consommé. De même qu’une place assiégée est bien près de la reddition dès lors que le gouverneur en parle, ainsi la France courait à l’armistice, puisque le chef de son gouvernement l’envi­sageait officiellement. Ma présence dans le Cabinet, si secon­daire qu’y fût ma place, allait devenir une impossibilité. Cependant, au moment même où, au cours de la nuit, j’allais envoyer ma lettre de démission, Georges Mandel, averti par mon chef de cabinet, Jean Laurent, me fit demander d’aller le voir.

André Diethelm m’introduisit auprès du ministre de l’In­térieur. Mandel me parla sur un ton de gravité et de résolu­tion dont je fus impressionné. Il était, tout autant que moi, convaincu que l’indépendance et l’honneur de la France ne pouvaient être sauvegardés qu’en continuant la guerre. Mais c’est à cause de cette nécessité nationale qu’il me recommanda de rester encore au poste où je me trouvais. « Qui sait, dit-il, si finalement nous n’obtiendrons pas que le gouvernement aille, tout de même, à Alger ? » Il me raconta ce qui, après le départ des Anglais, s’était passé au Conseil des ministres où, disait-il, la fermeté avait prévalu en dépit de la scène que Weygand était venu y faire. Il m’annonça que, dans l’instant, les premiers éléments allemands entraient à Paris. Puis, évoquant l’avenir, il ajouta : « De toute façon, nous ne sommes qu’au début de la guerre mondiale. Vous aurez de grands devoirs à remplir, Général ! Mais avec l’avantage d’être, au milieu de nous tous, un homme intact. Ne pensez qu’à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses. » Je dois dire que cet argument me convainquit d’attendre avant de me démettre. C’est à cela qu’a peut-être tenu, physique­ment parlant, ce que j’ai pu faire par la suite.

X