Publiée dans Mémoires de guerre, tome 3 – Le Salut
En prison, au Pourtalet, 20 août 1942
Mon cher ancien collègue,
Je ne peux que vous approuver d’envisager toutes les éventualités et j’ai plaisir à vous dire que je partage pleinement votre opinion quant aux conséquences politiques du « succès ».
Notre malheureux pays a été livré, depuis le 17 juin 1940, à des gouvernants qui se sont constitués, à des degrés divers, les serviteurs de l’ennemi. Il faudra, tout en remettant la France dans la guerre, commencer par effacer d’un trait de plume l’ensemble des mesures politiques qu’ils ont prises et restaurer la République. Mais je crains que le recours à la loi Tréveneuc, qui peut réserver bien des surprises, n’oblige, au moins au début, à sortir de la légalité. Or, j’estime qu’il faudrait à tout prix l’éviter. J’ai d’ailleurs chargé notre ami de vous exposer un plan, qui a le double avantage d’offrir toutes garanties à cet égard et de répondre aux aspirations profondes de l’immense majorité des Français.
Mais je n’ai, croyez-le bien, aucun amour-propre d’auteur. Je ne me suis jamais passionné pour les questions de méthode ou de procédure ; et, quelque importance que doive nécessairement avoir un premier acte politique qui conditionnera la mise en marche du Gouvernement provisoire de la libération, j’accepte par avance votre arbitrage. Ce qui importe par-dessus tout c’est que vous soyez le chef, le chef incontesté de ce gouvernement et que vous ayez votre complète liberté d’action.
Vous n’avez pas connu de compétition quand, pour sauver l’honneur de la France, vous avez résolu de poursuivre la lutte aux côtés des alliés ; il serait inadmissible que vous soyez exposé à en subir du moment où s’esquissera la délivrance.
Quant à moi, je n’ai souffert, cruellement souffert, de toutes les persécutions dont j’ai été l’objet que parce qu’elles m’ont empêché de seconder votre effort. Je n’ai d’autre ambition que de rattraper le temps perdu. Je m’empresse donc d’accepter votre proposition d’établir entre nous une conjonction sans interférence de personne, (toutes réserves étant naturellement faites quant aux obstacles que risque d’y apporter ma situation présente).
Je n’y mets qu’une condition, c’est que j’aie toujours la faculté de vous faire part sans ambages de mon opinion et des raisons, de toutes les raisons, sur lesquelles elle sera fondée. Mais, en retour, soyez bien assuré qu’une fois que vous aurez décidé nul ne doctrinera votre point de vue avec plus de force que moi.
C’est ainsi, me semble-t-il, que dans une étroite collaboration doit se réaliser l’unité d’action qui peut, seule, hâter la libération et le relèvement national.
Veuillez agréer, mon cher ancien Collègue, l’expression de mes sentiments les plus dévoués.