DE GAULLE ET LA SUISSE : UNE RELATION INTIME ET COMPLEXE

par Philippe Pichot*

*Membre de ArcJurassien.fr
Structure de coopération frontalière franco-suisse

Pourquoi de Gaulle et la Suisse ? A priori, rien ne semble relier la vie de Charles de Gaulle à la Suisse.

On connait les rapports et les liens du Général au monde de son temps : sa destinée face à l’Allemagne, son refuge en Angleterre et l’Appel du 18 juin, sa relation complexe aux Américains, sa provocation au Canada pour le Québec libre, ses déclarations à Brazzaville et à Alger, ses séjours en Pologne et en URSS, ses tournées populaires en Amérique latine ou en Afrique, ses visites stratégiques en Polynésie ou plus amicales dans les pays limitrophes voisins.

Mais la Suisse, où il n’est jamais allé en visite officielle n’était certainement pas une priorité. On cherchera en vain dans ses écrits, dans ses discours, dans ses relations une quelconque présence ou référence forte à la Suisse.

La raison ? Jean Lacouture avance une hypothèse : « De Gaulle avait du mal à comprendre comment on pouvait rester neutre dans le monde à l’époque ».

Alors de Gaulle manifestait-il vraiment une distance, signe de dédain vis-à-vis de ce peuple qui n’était pas une nation, une condescendance pour cet Etat neutre, une absence d’intérêt, stratégique ou diplomatique vis-à-vis du voisin helvète ?

Charles de Gaulle descendant d’un soldat suisse

Paradoxalement, cet éloignement n’était qu’apparent car la Suisse n’avait jamais été absente de la vie et du destin du Général et, ironie de l’Histoire, du sang suisse coulait même dans les veines de Charles de Gaulle.

Le fondateur de la Ve République était l’arrière-arrière-arrière-petit-fils de Francois-Ignace Nicol (1742-1780) natif de Porrentruy dans le Jura Suisse. L’un de ces mercenaires qui portaient haut les couleurs du prince-évêque de Bâle, un allié à l’époque de la Confédération et passé au service du roi de France Louis XVI.

Tout le monde ignorait l’origine helvétique du Général révélée par le journal suisse L’Hebdo il y a une dizaine d’années seulement. A commencer par Jean Lacouture, son biographe, qui dit « douter que de Gaulle ait su qu’il avait du sang suisse dans les veines ».

Voici donc une découverte qui justifie pleinement un regard sur de Gaulle et la Suisse. Ce petit pays, neutre sur la scène internationale, ne l’était pas dans la vie du Général. Au contraire il en fut partie prenante. Et souvent aux moments les plus importants de sa destinée.

La Suisse a jalonné les moments douloureux, les drames, les épreuves du Général et c’est peut-être aussi pour cela que la Suisse, si présente en lui, est restée dans ce refoulé, dans ces blessures, qu’il ne gardait que pour lui.

La Croix-Rouge suisse nous dévoile de Gaulle

C’est la Croix-Rouge qui, la première, fit le lien avec la Suisse et nous révéla un de Gaulle en proie aux doutes et à l’abattement. Tombé blessé et fait prisonnier à Verdun en mars 1916, il se retrouve en captivité pendant plus deux ans et demi.

Un drame pour un officier comme lui. Lui qui enfant s’imaginait conduire des armées qui battraient l’Allemagne, ne participa pas, malgré cinq tentatives d’évasion, à la Victoire de novembre 1918.

Dans ses lettres qui avaient transité par la Suisse il se morfondait sur sa situation de captif qu’il décrivait comme un « lamentable exil ». Un souvenir amer, s’estimant être un « revenant », un soldat inutile qui n’avait servi à rien.

La Suisse, refuge et retour de la famille de Gaulle

 La Suisse c’était aussi le souvenir d’un autre calvaire, celui de la fin de vie de son frère Jacques de Gaulle de deux ans son cadet.  Capitaine dans l’artillerie, blessé durant le conflit, décoré de la croix de guerre avec citation à l’ordre du corps d’armée, il était, après la guerre, ingénieur des Mines à Saint-Étienne et à Montceau-les-Mines jusqu’à ce qu’il soit frappé, en 1926, par une encéphalite léthargique qui le laissera paralysé. Il ne se rétablira jamais des séquelles de la maladie et restera impotent jusqu’à la fin de sa vie.

En 1942, Jacques de Gaulle, qui habitait Grenoble, se retrouva menacé d’arrestation et il parvint à fuir juste avant l’arrivée de la Gestapo. Avec la complicité des douaniers français, il put franchir la frontière suisse, porté par l’abbé Pierre. Jacques de Gaulle restera en Suisse jusqu’à la fin de la guerre et rentrera en France à Grenoble, où il décède le 17 février 1946 à l’âge de 53 ans [1].

Pour le Général, le drame de la maladie de son frère s’ajoutait à l’épreuve de sa propre fille, la petite Anne, atteinte de trisomie et morte elle aussi, deux plus tard, à 20 ans en février 1948.

C’est aussi par la Suisse que sa nièce Geneviève, fille de son frère ainé Xavier de Gaulle, était, elle aussi, rentrée en France en avril 1945. Sous l’Occupation, jeune étudiante, elle s’était engagée dans la résistance au sein du Groupe du Musée de l’Homme puis du réseau Défense de la France. Arrêtée par la Gestapo elle fut déportée en février 1944 au camp de Ravensbrück. Traitée comme monnaie d’échange par Heinrich Himmler, elle restera internée jusqu’en avril 1945, avant d’être transférée à Genève où elle arrive pratiquement aveugle et ne pesant plus que 44 kg.

C’est là qu’elle retrouva son père, Xavier de Gaulle, ancien combattant de la Grande Guerre, mobilisé en 1939, prisonnier et libéré en 1941. Comme tous les membres de la famille de Gaulle, il était surveillé de très près par la gendarmerie nationale, et ne se sentant plus en sécurité, il rejoignit la Haute-Savoie. Là, via la filière d’évasion de Marius Jolivet, curé de  Collonges-sous-Salève, il gagna la Suisse. Il survit grâce à l’argent que son frère Charles de Gaulle lui expédiera d’Angleterre soit 1 000 livres en 1943 et en retour, il lui envoie de précieux renseignements. En 1944, Xavier de Gaulle fut nommé consul général de France à Genève où il anima les relations avec la Suisse et au sein du cercle français [2].

La famille de Gaulle se retrouva le 28 mai 1946 à Bossey en Haute-Savoie à la frontière suisse pour le mariage civil de Geneviève de Gaulle et pour la cérémonie religieuse en l’église Notre-Dame à Genève. Ce fut la seule apparition de Charles de Gaulle en Suisse. A l’occasion de la cérémonie il y rencontra Germaine Tillion elle aussi revenue des camps de la mort.

Geneviève de Gaulle s’était mariée avec Bernard Anthonioz, citoyen suisse né à Genève, mais dont les ascendances étaient de Haute-Savoie, et éditeur d’art. En 1958, il rejoindra le cabinet d’André Malraux et participera activement à la mise en place du nouveau ministère chargé des affaires culturelles, s’occupant plus particulièrement de la politique patrimoniale et architecturale (restauration des grands monuments nationaux, loi-programme pour le classement des monuments historiques, mise en valeur et protection du patrimoine architectural contemporain). Il créera le Centre national d’art contemporain et sera également un acteur important de la décentralisation, avec la mise en place des conseillers régionaux délégués à la création artistique et des fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC.

Quant à Geneviève Anthonioz-De Gaulle elle s’engagera notamment dans la lutte contre la pauvreté et assurera la présidence de l’antenne française d’ATD Quart Monde de 1964 à 1998 et décèdera en 2002 [3].

La Suisse livre le Maréchal Pétain

Si la Suisse avait vu le retour des membres de la famille de Gaulle, elle allait aussi lui livrer un encombrant prisonnier : le maréchal Philippe Pétain.

Il avait été emmené par les Allemands à Sigmaringen, une ville du sud-ouest de l’Allemagne, où s’étaient réfugiés des dignitaires du régime de Vichy. Les Allemands, avec l’accord du Conseil fédéral, l’amenèrent à la frontière suisse le 24 avril 1945. Les autorités suisses font signer au maréchal un document l’assignant à résidence jusqu’à ce que les autorités françaises acceptent son retour.

Dès l’arrivée de Pétain en Suisse, l’ambassadeur de la Confédération à Paris, Karl Burkhardt, s’était présenté devant le général de Gaulle pour l’informer officiellement de la présence du maréchal sur le territoire de la Confédération et de son souhait de revenir en France.

De Gaulle indiqua que le gouvernement français n’était nullement pressé, il proposa même au représentant suisse de fournir personnel et documentation à Pétain pour qu’il puisse rédiger, depuis la Suisse, la justification de son attitude depuis 1940, proposition que Pétain refusa.

Le général de Gaulle envoya alors le général Kœnig pour arrêter Pétain dès qu’il se présenterait à la frontière française à Vallorbe où le convoi transportant le maréchal se présenta le 26 avril à 19 heures.

Koenig le vainqueur de Bir-Hakeim que le Gouvernement de Vichy avait condamné à mort par contumace, le 3 décembre 1941, présenta alors au maréchal son mandat d’arrestation pour « attentat contre la sécurité intérieure de l’État » et « intelligence avec l’ennemi ». Pétain signa.

Il fut aussitôt amené la gare des Hôpitaux-Neufs – Jougne où un train spécial, bloqué un temps à Pontarlier par les communistes qui avaient organisé une manifestation hostile à Pétain, l’emmena à Paris et incarcéré au fort de Montrouge.

Le Général, devait donc statuer sur le devenir du Maréchal qui avait été son mentor. A son secrétaire Claude Mauriac, qui l’avait interrogé en septembre 1944 sur ce qu’il ferait de Pétain, de Gaulle avait répondu « Et que voulez-vous que j’en fasse ? Je lui assignerai une résidence quelque part dans le Midi et il attendra que la mort vienne l’y prendre ».

Mais entre-temps l’opinion publique était devenue moins magnanime sur l’avenir de Pétain et son procès s’ouvrit en juillet 1945. Le 15 août 1945, la Haute-Cour le condamne à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. Le 17 août 1945, accomplissant le vœu de la Haute-Cour de justice, le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République, commue la sentence de mort en peine de réclusion à perpétuité.

La tragédie des résistants suisses

En cet été 1945, si la Suisse avait rendu Pétain aux Français, elle allait adopter une attitude toute aussi dure avec ses propres ressortissants qui faisaient le chemin inverse.

Depuis 1940, plusieurs centaines de Suissesses et Suisses s’étaient enrôlés dans la Résistance intérieure (FFI) ou dans les Forces françaises libres (FFL) du général de Gaulle [4]. A leur retour en Suisse, plus de 200 de ces résistants helvètes seront condamnés par la Justice militaire à des peines de prison avec ou sans sursis. Certains seront même expulsés de l’armée, d’autres privés de leurs droits politiques et une partie des résistants devront rester sur le territoire français pour échapper à ces sanctions. Parmi ces engagés, certains étaient glorieusement tombés au combat alors que la Suisse les avait déjà condamnés par contumace en attendant leur retour.

C’est seulement en novembre 2021, à la suite de l’initiative parlementaire de la conseillère Stéfania Prezioso, que la Commission des affaires juridiques du Conseil national de la Confédération suisse a accepté par 16 voix contre 5 et 1 abstention la proposition de réhabilitation des personnes condamnées à l’époque par la justice militaire helvétique. La Commission ayant estimée que « La situation des Suisses ayant combattu dans la Résistance est comparable à celle des Suisses engagés volontaires durant la guerre civile espagnole, qui ont été réhabilités par le Parlement en 2009 ».

Il s’agit d’une réhabilitation symbolique, qui ne donnera pas lieu à des réparations financières – la majorité de ces résistants étant décédés – mais qui permettra de marquer la reconnaissance à l’égard de ces combattants qui ont contribué à libérer l’Europe du nazisme. Comme le justifiera le Conseil fédéral : « Les condamnations de l’époque ne correspondent plus au sentiment de justice tel qu’il prévaut aujourd’hui ».

Alors que dès 1945, les résistants français et autres résistants étrangers avaient été célébrés et s’étaient vu ouvrir toutes les opportunités, c’est seulement 76 ans après la fin du conflit que se conclut, avec l’affaire des résistants suisses, la reconnaissance définitive et complète de tous ces combattants.

Les Suisses compagnons de la Libération

Certains de ces héros qui avaient échappé aux sanctions suisses, s’étaient vu reconnaitre leurs engagements au plus haut niveau en étant faits Compagnons de la Libération. Ils furent 5 suisses ou binationaux :

Henri Schaerrer (1916-1941). Naturalisé français en 1938, il servit dans la Marine comme ingénieur mécanicien. Enseigne de vaisseau, il se trouve à Dunkerque sur le Jaguar, au moment de l’évacuation des troupes alliées en juin 1940 et échappe de peu à la mort quand son bâtiment saute. En juillet, à Mers-el-Kébir, le Bretagne, sur lequel il sert, est également coulé. Dès son retour en France, il entre dans le réseau de renseignements « Navarre », futur réseau « Alliance », adjoint de son fondateur, le commandant Loustaunau-Lacau, et de Marie-Madeleine Fourcade.

Le 11 juillet 1941, dans une mission de repérage de sous-marins allemands, il est arrêté par la Gestapo, transféré à la prison de Fresnes. Condamné à mort le 4 novembre 1941 par le tribunal militaire allemand de Paris, il est fusillé après quatre mois de détention, le 13 novembre 1941 au Mont Valérien à Suresnes.

Pierre de Morsier (1908- 1991). Né à Genève, commandant en second du cuirassé Courbet à Portsmouth, du contre-torpilleur Léopard puis de la Corvette Lobelia basée à Greenock (Ecosse), il mène, de juin 1941 à juin 1943, de difficiles opérations d’escortes de convoi et coule un sous-marin en février 1943. Affecté ensuite au 3e Bureau de l’Etat-major général de la Marine à Alger, il rejoint les rangs du 1er Régiment de fusiliers marins (1er RFM) et prend part à la campagne d’Italie en juin 1944 où prend le commandement du 1er RFM.

Elevé au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur, il participe aux campagnes de France (Provence, Lyon, Lorraine, Strasbourg, le Rhin) d’août 1944 jusqu’en mai 1945.

Rudolf Eggs (1915-2011). Sergent en 1940 à la 13e Demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE), il participe à la campagne de Norvège, s’engage dans les Forces françaises libres, est présent à l’opération de Dakar, puis dirigé sur le Cameroun en octobre 1940, il prend part aux opérations du Gabon avant de partir pour la campagne d’Erythrée en mars 1941. Il combat en Syrie, en Libye, en Egypte et en Tunisie et débarque en Italie avec la 1ère Division française libre. Le 16 août 1944, il débarque en France et combat jusqu’en Alsace. Il servira ensuite en Indochine, au Maroc et en Algérie. Il reçoit la nationalité française par décret du 2 novembre 2007.

André Bollier (1920-1944). De nationalité suisse, il obtient la double nationalité en 1927. Blessé en juin 1940, il entre dans la Résistance au sein du mouvement Combat, créé par Henri Frenay. Il participe à l’organisation et la réalisation de l’évasion de Berty Albrecht, de l’hôpital de Bron, le 23 décembre 1942. Chef national de la Propagande de Combat, il est tout particulièrement chargé de la fabrication et de la distribution de plus d’un million et demi de journaux et de tracts par mois pour plusieurs mouvements de résistance de la zone sud et de la zone nord (Combat, Franc-Tireur, Défense de la France, La Voix du Nord…).

Le 8 mars 1944, il est arrêté par la Gestapo à Lyon. Il réussit à s’évader le 2 mai mais, le 17 juin 1944, assiégé par la Gestapo et 150 miliciens et blessé par balle, il se tire une balle en plein cœur pour ne pas être pris vivant.

William GOULD (1913-1980). Né à Genève, engagé 13e Demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE) campagne de Norvège, rallié aux Forces françaises libres, il assiste à l’échec de Dakar. Envoyé au Cameroun et au Gabon pour rallier ce territoire à la France libre, on le retrouve en Erythrée aux victoires de Keren et Massaoua contre les Italiens puis en Palestine et en Syrie pour reprendre ce territoire aux troupes vichystes. Il combat à Bir-Hakeim et à la bataille d’El Alamein. En avril 1944, il débarque en Italie avec la 1ère Division française libre (1ère DFL), participe aux combats de libération du territoire national, en Provence, puis le long de la vallée du Rhône jusqu’aux Vosges et dans les Alpes en avril 1945. Il finit la guerre sous-lieutenant après avoir été plusieurs fois blessé.

L’affaire de la Délégation de la Résistance en Suisse : la résistance a-t-elle trahi de Gaulle ?

Au début de 1943, la Résistance se renforce et les trois mouvements « Combat », « Libération » et « Franc-Tireur », fédérés sous l’impulsion de Jean Moulin deviennent les Mouvements unis de Résistance (MUR). L’action de propagande, de renseignement, de sabotage et d’organisation de l’Armée secrète s’intensifie avec l’afflux des réfractaires au STO à partir de février 1943. Les besoins matériels et financiers des mouvements deviennent alors énormes.

Le financement des MUR est assuré par Londres représenté en France par Jean Moulin. En mars 1943, une baisse des fonds affecte particulièrement le mouvement « Combat », le plus puissant, et pour faire face à la pénurie de moyens, Henri Frenay, son fondateur, décide de créer la « Délégation générale de la Résistance en Suisse ». Elle se positionne selon Frenay comme « une interface entre la Résistance intérieure, la France de Londres, puis d’Alger et les Alliés ». Elle aura pour fonction d’assurer le financement de la Résistance à partir de subventions américaines, de transmettre des renseignements aux Alliés et à la France combattante, de recevoir du matériel divers, d’établir des communications avec l’extérieur, d’organiser des filières de passage.

Mais Jean Moulin et le général de Gaulle s’opposent dès l’origine à cette création qu’ils voient comme un cheval de Troie des Américains, puisque Allen Dulles, le représentant personnel du président Roosevelt et patron de l’OSS pour l’Europe, est l’interlocuteur des MUR. Or, au printemps 1943, la situation politico-diplomatique du général de Gaulle est très fragile car les Américains soutiennent son concurrent à Alger, le général Giraud.

Jean Moulin craint que cette liaison soit un soutien apporté à Giraud contre de Gaulle. Henri Frenay et Jean Moulin s’opposent violement au cours de la réunion du Comité directeur des MUR du 28 avril 1943, ce dernier lançant à Frenay : « C’est un véritable coup de poignard dans le dos que vous donnez à de Gaulle ».

La délégation s’installe à Genève en mars 1943 et les Américains font rapidement une avance financière et s’engagent à verser 25 millions de francs par mois ce qui est énorme dans la mesure où les MUR recevaient alors 5 à 7 millions de francs par mois de Londres. Les oppositions conjointes de Jean Moulin, des gaullistes de Londres et des Anglais, qui souhaitent garder le contrôle, aboutissent au blocage des versements américains et déboucheront sur une négociation franco-anglo-américaine qui aboutira à la fin de l’été 1943 à autoriser la Délégation à recevoir via les Américains une somme mensuelle de quatre millions de francs destinés aux maquis des départements voisins.

Un double soupçon aura pesé sur la Délégation : les Américains auraient instrumentalisé Frenay et Frenay aurait utilisé les Américains contre de Gaulle ? L’analyse des archives révélera que la Délégation n’a pas joué Giraud contre de Gaulle [5]. Elle a été en permanence en liaison avec le représentant du général de Gaulle en Suisse qu’elle a toujours tenu informé de ses activités. Frenay a résolument choisi le ralliement à de Gaulle dès 1942 et il l’a fait savoir aux Américains. En mars 1943, il tente de convaincre le gouvernement américain qu’il commettrait une erreur et une faute en tenant de Gaulle à l’écart.  Dulles n’envisage pas d’instrumentaliser Frenay et « Combat » contre de Gaulle. Plus étonnant, les télégrammes envoyés par Dulles montrent qu’il cherche à infléchir l’antigaullisme de la diplomatie américaine en défendant la thèse que la Résistance française est un phénomène crédible, militairement et politiquement, qu’elle est pro-gaulliste et qu’elle n’est pas anti-américaine.

Mais la Délégation conservera toujours une image de suspicion et les polémiques ressortiront encore bien longtemps après [6].

À l’heure où se jouait le destin de la France, la mainmise des Américains via la Délégation suisse sur la Résistance française réunie par Jean Moulin aurait pu avoir des conséquences dramatiques pour la suite : ce contrôle aurait marginalisé de Gaulle et grandement facilité à la Libération l’installation de l’AMGOT transformant la France en protectorat américain. Inimaginable et insupportable pour de Gaulle.

La Suisse joue les bons offices dans la question algérienne

Évoquer la Suisse c’était encore remuer la plaie de la guerre d’Algérie dont l’issue s’était jouée au bord du lac Léman entre France et Suisse.

Au déclenchement de la guerre d’indépendance, le 1er novembre 1954, les Algériens exigeaient du gouvernement français l’ouverture de négociations entre les deux parties, sans conditions préalables, en vue de l’indépendance de l’Algérie. La réponse ayant été négative, des premiers contacts entre les représentants du FLN et le gouvernement français finirent par s’établir à partir de 1956 pour, par la suite, être suspendus à plusieurs reprises en fonction d’évènements divers.

En mai 1958, le retour du général de Gaulle au pouvoir, qui engage le principe de l’autodétermination pour l’Algérie dès fin 1959, permet de reprendre en juin 1960 des pourparlers avec le FLN qui se tiennent à Melun et finissent sur un échec.

Au lendemain du référendum sur le principe de l’autodétermination de l’Algérie du 8 janvier 1961, la France renoue contact avec le FLN, par l’intermédiaire du diplomate suisse Olivier Long et du représentant algérien à Rome. Deux rencontres entre les négociateurs français et algériens auront lieu en 1961. D’abord à Évian (20 mai-13 juin) puis à Lugrin (20 au 28 juillet) en Haute-Savoie. Mais c’est de l’autre côté du lac, en Suisse, près de Genève, à Bellevue, que la délégation du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA) prend ses quartiers. Il n’est pas question pour les indépendantistes de résider sur le sol français.

Pour leur accueil et leur sécurité, le gouvernement suisse déploie d’importants moyens militaires. Tous les jours, des hélicoptères suisses transportent les délégués algériens pour négocier à Évian.

Ces accords, secrètement négociés les semaines précédentes aux Rousses, près de la frontière suisse, seront signés le 18 mars 1962 à Évian-les-Bains. Ils se traduisent par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain 19 mars à midi.

S’en était fini de ce drame de l’Algérie, fardeau qui avait ramené le Général au pouvoir et dont il lui incombait la responsabilité face à l’Histoire. Même si l’abandon était inévitable, amener les couleurs était pour le militaire qu’il était, insupportable et un crève-cœur. Cette décision décidée sur les rives du lac franco-suisse, il devait en subir seul les conséquences, de la haine des pieds-noirs aux tentatives d’assassinat de l’OAS.

La Suisse refuse l’extradition de Watin le fusilleur du Petit-Clamart

Ce fut justement l’un deux, Georges Watin, pied-noir hostile au FLN et à l’indépendance algérienne, militant de la « Mission III », la branche la plus violente de l’OAS, qui lors de l’attentat du Petit-Clamart le 22 août 1962, cribla d’une rafale de 18 balles de son pistolet-mitrailleur la lunette arrière de la DS présidentielle ; le Général et son épouse échappant miraculeusement à la mort.

Ayant échappé à l’arrestation, inculpé de tentative d’homicide volontaire avec guet-apens et d’attentat contre l’autorité de l’État avec usage d’armes, il prépara en février 1963 le complot de l’Ecole militaire où, à l’aide d’un fusil à visée télescopique, il tenta de renouveler la tentative d’assassinat. La conspiration découverte, Watin s’enfuit en Suisse où il fut arrêté en janvier 1964 et mis au secret en prison afin d’échapper à la police française. En octobre 1964, les autorités suisses refusèrent son extradition au gouvernement français. De faux papiers lui furent fournis et il gagna le Brésil.  Réfugié au Paraguay, il vivra avec une allocation vieillesse versée par l’ambassade de France ! La haine de « La Grande Zohra », le surnom donné à de Gaulle par les durs de l’OAS, le dévorera jusqu’à la fin. Même après la mort de ce dernier, il imaginera encore faire disparaitre le cadavre en allant poser une bombe sur la tombe à Colombey. Il mourra à l’âge de 71 ans en 1994 [7].

Les autorités suisses avaient martyrisé ceux qui l’avaient rejoint dans la Résistance et avait protégé un Français qui avait tenté de l’assassiner. La pilule helvète était difficile à avaler pour le Général.

La question jurassienne : cible des agitateurs gaullistes

Évoquer la Suisse c’était encore évoquer le destin des francophones du canton du Jura dominés par les germanophones. Un conflit créé avec le rattachement de l’Evêché de Bâle au canton de Berne en 1815 et qui se manifesta par de nombreux événements conflictuels tant culturels, religieux et sociaux tout au long des XIXème et première moitié du XXème siècle.

Dans les années 1950, les autonomistes jurassiens durcirent le ton et l’action et créèrent le Front de libération du Jura (FLJ). Entre septembre 1962 et mars 1964, le Front revendiquera plusieurs attentats (incendies de fermes) commis contre des intérêts bernois et fédéraux (DMF). Arrêtés, les activistes jurassiens sont condamnés en mars 1966 par la cour pénale fédérale. Les deux principaux accusés (Marcel Boillat et Jean-Marie Joset) écopent de huit et sept ans de réclusion. Aussitôt, d’autres attentats sont commis par le FLJ et leurs auteurs, Jean-Baptite Hennin et Imier Cattin, rapidement arrêtés en juin 1966. Boillat et Hennin parviennent à s’évader en octobre et obtiennent l’asile politique en Espagne et en France.

L’activisme des francophones jurassiens n’avaient pas échappé au ministère de la Coopération où était entré Philippe Rossillon. Avec le diplomate Bernard Dorin, Rossillon avait commencé à agir en tant qu’émissaire français en Amérique du Nord, officiellement pour marquer l’appui de la France à plusieurs institutions culturelles, officieusement pour encourager la prise de conscience politique des Canadiens français. Cet activisme discret trouvera son point d’orgue avec la visite du général de Gaulle lançant son « Vive le Québec libre » [8].

À son retour, de Gaulle le remercie en lui confiant la présidence du Haut comité de la langue française. Il multiplie les voyages au Canada, en Wallonie, dans le Val d’Aoste et en Suisse où l’on retrouvera la patte de Rossillon dans la série d’actions-chocs pour tenter de forcer le canton de Berne et la Confédération helvétique à trouver une solution au problème jurassien : occupation de la préfecture de Delémont en juin 1968 ; irruption dans la salle du Conseil national lors de l’élection du président de la Confédération, en décembre 1968 ; construction d’un mur fermant la porte d’entrée du Rathaus à Berne, en 1971 ; invasion de l’ambassade de Suisse à Paris, en 1972 et en 1973 à Bruxelles.

La Suisse avait réclamé aussitôt l’extradition de Jean-Baptiste Hennin à la France en juin 1967. De Gaulle répondit par alors ces mots : « La France n’extrade pas ses nationaux. »

Or Hennin était suisse ! Le Général le savait. Mais comme francophone, il relevait d’« un fait français » selon son expression. Le Général n’était jamais resté indifférent au sort des minorités francophones dans le Val d’Aoste, la Wallonie, le Québec, la Louisiane.

Les autorités suisses avaient refusé d’extrader « la boiteuse » Georges Watin. En leur refusant Hennin, le Général leur rendait la monnaie de leur pièce.

Les banques suisses refuge des capitaux français

L’agacement gaullien vis-à-vis de la Suisse était aussi grandement exacerbé par les banques suisses qui servaient à dissimuler les richesses des grandes fortunes françaises.

Le blocage de tous les fonds français dans les banques suisses durant la Seconde guerre mondiale avait permis d’estimer leur valeur autour de 1,7 milliard de dollars en 1946. Cette somme représentait plus de la moitié des fonds que la France avait reçu par le biais du Plan Marshall. Aussi dans un contexte où il fallait reconstruire le pays, le général de Gaulle président du Gouvernement provisoire, soutenu par les Etats-Unis, exigea la déclaration des fortunes détenues en Suisse par des Français comme condition à la reprise des relations politiques et économiques. Ces exigences étaient d’autant plus soutenues que la Suisse avait collaboré avec les puissances de l’Axe et que les Etats-Unis ne voulaient pas donner un blanc-seing à l’envoi des fonds du Plan Marshall.

Mais les demandes du Général échouèrent, se heurtant d’une part à la position intransigeante de l’Etat Suisse défendant les intérêts de la place financière de Genève et de Zurich et, d’autre part, à cause des blocages de ces évadés français. Ceux-ci étaient des membres de la haute société, dirigeants industriels et même membres du Gouvernement.

La fuite des capitaux français vers la Suisse connut un nouvel essor lors des évènements de mai 1968. Entre 11 et 12 milliards de francs furent envoyés dans les banques suisses pendant le second semestre de l’année, le Gouvernement Pompidou, bien qu’alerté ne pouvant l’enrayer.

Une attitude exaspérante quand on sait la susceptibilité du Général quant au patriotisme des élites, aux notables et à l’argent.  Pour lui, qui avait fait sienne la maxime de Machiavel « J’aime ma Patrie plus que mon âme » et encore plus que ses propres bien – bien maigres, par d’ailleurs – ces élites qui avaient choisi leurs biens avant la Patrie, qu’il avait vainement attendu à Londres en juin 1940 et qui lui avait manqué, lui étaient insupportables.

Le ressentiment du général restait vivace envers « ceux qui avaient à choisir entre les biens matériels et l’âme de la France, les biens matériels ont choisi à leur place. Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent » avait-il dit à Alain Peyrefitte à propos de Paul Morand qui, arrivé à Londres, était aussitôt reparti pour récupérer les biens de sa femme très riche et les mettre en sécurité en Suisse. Le Général savait pardonner, mais il n’oubliait pas [9].

Ainsi, tout au long de sa vie, la Suisse a croisé le destin du général, toujours aux moments tragiques, parfois pour le meilleur et aussi pour le pire. Pour lui qui aimait aller à la rencontre des peuples et des Nations, dans les pays de l’Est, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, éveiller les sentiments de liberté et de fierté et s’offrir aux foules en liesse, aller en Suisse, même si ses citoyens ne lui étaient pas antipathiques, bien au contraire, cela revenait à éveiller d’abord et surtout ses propres douleurs.

Le Général était d’une grande pudeur et la carapace du commandeur ne laissait rien transparaitre. C’était le revers de la médaille du Chef.

De Gaulle sur les traces de son aïeul dans le Jura suisse … le voyage qui n’eut jamais lieu

Au soir de sa vie, après avoir fait l’Histoire, Charles de Gaulle reprit sa canne pour aller parcourir sa propre Histoire. Il tînt à se rendre en Irlande d’où était partit trois siècles plus tôt son ancêtre irlandais Patrick Mac Cartan, soldat au service de la France de Louis XIV.

Il aurait pu tout aussi bien, s’il l’avait su, se rendre dans le Jura suisse, terre natale de son ancêtre François-Ignace Nicol, soldat au service de la France. Comme lui. Ecrire aussi à son cousin Jules Maillot comme il l’avait fait quelques mois plus tôt à la veille de son départ pour l’Irlande « Avec Yvonne nous partons dans le Jura Suisse pays de nos ancêtres Nicol ».

Il aurait été hébergé dans une auberge des Franches-Montagne, aurait visité la charmante ville de Porrentruy et son château que son ancêtre avait vu. Sa haute stature, suivie de celle de « tante Yvonne » aurait parcouru les paysages reposant du Val d’Ajoie, humant l’air frais, la vue des pommiers en fleurs, au son du carillon des vaches. Dans les villages de ses aïeux, à Crémines, à Soulce, à Berlincourt, il aurait croisé des Helvètes aux noms de Gossin, Jaquat, Crestien, Noirjean, Gobat, les patronymes de ses ancêtres.

Des lointains cousins qui revendiquaient l’autonomie du Jura et l’affranchissement de la tutelle germanophone de Bern. Français contre Allemands. Le combat de sa vie. Encore et toujours. Y aurait-il alors lancé « Vive le Jura libre » comme il l’avait fait deux ans auparavant au Québec ? Peut-être pas ouvertement, il n’était plus aux affaires. Mais intérieurement, sûrement, ce cri aurait raisonné en lui.

Il n’y eu pas de voyage officiel ou privé de De Gaulle sur les terres de ses ancêtres suisses, en dehors d’une présence furtive au mariage de sa nièce à Genève. Ce voyage, qui ne pouvait être que personnel, intime, de recueillement aurait pu avoir lieu. Aurait dû avoir lieu. Il manque à la légende du Général.

Alors, s’il ne put le faire lui-même, peut-être qu’un de ses petits-enfants, héritier de la généalogie de Gaulle le fera en son nom, au nom de la famille et en hommage aussi à ses habitants du canton du Jura, lointains parents du Général.

[1] Le général de Gaulle n’assistera pas aux obsèques. Très affecté par la mort de son frère il écrit à son fils Philippe « Ton pauvre oncle Jacques de Gaulle est mort à Grenoble dimanche dernier… C’était un homme d’une volonté et d’un courage exceptionnels… ».

[2] Il apporte aussi la reconnaissance de la France au Comité de la Croix Rouge, et témoigne en faveur du poète légionnaire suisse Zinia Rolando. Là encore on peut penser aussi à l’ancêtre suisse des De Gaulle. Xavier de Gaulle ne vit pas la suite de la carrière de son illustre frère. Comme son cadet Jacques, il s’éteint à Bordeaux le 9 février 1955 à l’âge de 68 ans.

[3] Le 21 février 2015, le président François Hollande annonçait la translation de sa dépouille au Panthéon aux côtés de Jean Zay et des résistants Pierre Brossolette et Germaine Tillion. Cependant les familles des deux femmes refusent le transfert des corps au Panthéon, malgré la proposition faite par le président de la République qu’elles soient accompagnées de leurs époux. Le 27 mai suivant, c’est donc un cercueil vide contenant un peu de terre prélevée dans le cimetière de Bossey qui est solennellement déposé dans la crypte du Panthéon.

[4] Selon les travaux de l’historien Peter Huber sur les Suisses engagées dans la Résistance française lors de la Seconde Guerre mondiale ils furent plus de 466. Leurs histoires sont contenues dans les publications du professeur Huber. D’abord en allemand dans « In der Résistance. Schweizer Freiwillige auf der Seite Frankreichs (1940‒1945) », chez Chronos à Zurich, puis en français dans « L’Étoffe des héros ? L’engagement étranger dans la Résistance française », paru chez Georg à Genève.

[5] Une excellente recherche a été opérée dans « L’affaire suisse. La Résistance a-t-elle trahi de Gaulle ? a qui nous avons emprunté le titre du chapitre de Robert Belot et Gilbert Karpman (Armand Colin, 2009, 431 pages).

[6] A l’image négative d’un Frenay, accusé d’avoir entravé le travail de Jean Moulin et suspecté d’avoir voulu trahir de Gaulle, s’ajoutèrent d’autres facteurs renforçant la suspicion sur l’antenne suisse. En effet, elle y entretenait des relations avec la France de Vichy. Jean Jardin, directeur de Cabinet de Pierre Laval avait été nommé ambassadeur de France à Berne en novembre 1943 où il avait noué contact avec Allen Dulles. De plus, des hommes de la mouvance politique de Bénouville, lié à la trahison de Jean Moulin à Caluire, se retrouvent en Suisse autour de la Délégation. Notamment André Bettencourt impliqué dans les milieux d’extrême droite avant-guerre qui a publié des écrits antisémites sous l’Occupation avant d’entrer dans la Résistance et qui est envoyé en Suisse par son ami François Mitterrand avec qui il milite au sein du Rassemblement national des prisonniers de guerre. Bettencourt épousera Liliane Schueller, la fille du cagoulard Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal. Au début des années 1990, Jean Frydman, évincé du conseil d’administration de L’Oréal dont André Bettencourt est devenu propriétaire, publie un document accusateur sur le passé de Bettencourt au moment où Pierre Péan révèle celui de Mitterrand.  L’affaire suisse avait refait surface dans des eaux bien troubles qui n’améliorent pas son image.

[7] D’autre soldats perdus de l’OAS, transitèrent par la Suisse tel Jean-Marie Curutchet, chef de l’Organisation Renseignements Opération de l’OAS. Appréhendé à Lausanne en Suisse par la police helvétique le 12 avril 1963, il fut condamné dans ce pays à quarante jours de prison avec sursis le 7 juin. Il quitta le territoire suisse le 6 novembre pour s’enfuir au Sénégal où les services français l’arrêtèrent le 30 novembre.

[8] Les agissements de l’équipe Dorin-Rossillon n’était pas du goût du Premier ministre Georges Pompidou qui, inquiet d’être tenu à l’écart des affaires canadiennes par de Gaulle, s’était fait pressant à propos de la mission québécoise confiée par de Gaulle à Peyrefitte : « Je ne vous recommande pas d’emmener Rossillon. C’est un extrémiste qui nous mettrait la Terre à dos. »

[9] À propos de Paul Morand, de Gaulle racontera à Alain Peyrefitte le 12 juin 1963 : « Il était très introduit dans la société anglaise…quelques centaines de lords et de grands patrons ou banquiers y exerçaient le vrai pouvoir. Nous ne connaissions personne. Vous imaginez de quel prix aurait été son ralliement ! Il aurait pu apporter à la France Libre le faisceau des relations qu’il s’était faites par sa renommée… IL m’a manqué … Sa femme avait du bien. Quand on a du bien, on le fait passer avant la Patrie. Les Français qui avaient du bien ne m’ont pas rejoint…  Il était victime des richesses de sa femme. Pour les récupérer, il s’est fait nommer ministre de Vichy à Bucarest. Puis, quand les troupes russes se sont approchées, il a chargé un train entier de tableaux et d’objets d’art et l’a envoyé en Suisse. Il s’est fait ensuite nommer à Berne, pour s’occuper du déchargement. ».

À la Libération De Gaulle fera aussitôt révoquer celui qui avait préféré le confort des biens à Bern plutôt que l’honneur de la Résistance à Londres et s’opposera à son entrée à l’Académie Française jusqu’en 1968.

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