« IL FAUT SANS ARRÊT RAPPELER AUX FRANÇAIS LEUR HISTOIRE »
par Yves Guéna

Propos recueillis par François Broche et Catherine Trouiller 

Lorsque vous êtes arrivé à sa présidence, aviez-vous une idée de ce qu’était la Fondation et cette idée était-elle conforme à ce que vous y avez trouvé ?

Yves Guéna : Je n’avais pas beaucoup fréquenté la maison, mais, étant gaulliste d’origine, je savais ce qu’elle était. Je m’étais renseigné auprès des membres du Conseil d’administration qui m’avaient approché pour me demander d’y participer, notamment auprès de mon ami, Jean Foyer qui en était alors le président. Je n’ai donc pas été surpris. Toutefois, j’ai découvert des choses que j’ignorais et notamment le site Internet, qui était tout à fait remarquable et qui avait été lancé avant mon arrivée.

Vous aviez des projets ?

Yves Guéna : Je n’avais pas de projets très précis. Pourtant lorsque je suis arrivé, Jean Méo, le secrétaire général, m’a fait part d’une réflexion qui a beaucoup pesé dans mes décisions. Il était allé visiter la Fondation Georges Clemenceau dans le XVIe arrondissement et avait été attristé par son manque d’attrait, d’où son souci pour l’avenir à long terme de la Fondation Charles de Gaulle. Il fallait donc faire quelque chose. J’avais remarqué qu’il n’y avait rien de marquant dans Paris concernant le général de Gaulle, à part la statue des Champs-Elysées qui venait d’être édifiée. Nous avons donc réfléchi avec Jean Méo et le colonel Groel, qui était alors secrétaire général adjoint, à ce que nous pourrions faire à Paris. Cette réflexion se traduira par le projet de l’Historiai.

Avant de poursuivre, je veux rappeler que j’ai toujours agi dans la ligne de mes prédécesseurs. Quand on rappelle que ce furent André Malraux, Gaston Palewski, Geoffroy de Courcel, Pierre Messmer et Jean Foyer, on sent tout de même une lourde charge sur ses épaules. J’ai donc souhaité me maintenir dans leur sillage ; c’est-à-dire améliorer l’existant à Lille et à Colombey, à quoi nous avons ajouté Paris.

En ce qui concerne Lille, nous avons avec Jean Méo fait avancer les choses puis, avec le concours du général Kessler, nous avons abouti. C’est pour moi l’occasion de rappeler que Pierre Lefranc avait réussi à faire racheter la Maison natale pour l’Institut Charles de Gaulle, dont il était alors le secrétaire général. Nous y avons installé une « fabrique d’Histoire » qui est, me semble-t-il, une réussite et nous avons procédé à un « toilettage » de la maison tout en lui gardant son authenticité. Jean Méo, en particulier, a su tirer parti des couloirs et des pièces inutilisées pour donner davantage d’explications au visiteur, grâce à des techniques modernes, sans dénaturer l’atmosphère générale de la rue Princesse.

Ce résultat n’aurait pas été possible sans l’aide de la ville de Lille, de la Communauté urbaine, du département et de la région ainsi que l’appui de donateurs locaux. Tous nous ont beaucoup aidé ; en outre, ils ont toujours été et sont toujours présents ou représentés lors des différentes manifestations que nous organisons. Nous avons donc là un pôle solide, qui rend hommage au « Petit Lillois de Paris », comme le Général se qualifiait lui-même. Il faudra davantage encore exploiter cet atout. Léon Bertrand, secrétaire d’Etat au Tourisme et Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants ont signé à la Maison natale, le 9 février 2004, une convention « Tourisme de mémoire » incluant la Maison natale dans le circuit « Chemins de mémoire ». Il faudra certainement travailler dans ce sens.

Je me suis ensuite attelé au projet de Paris. J’ai approché le président de la République qui a immédiatement partagé mon sentiment sur la nécessité d’édifier quelque chose de significatif dans la capitale. Nous avons donc constitué, sous ta direction de Bernard Ducamin, une commission qui s’est réunie très régulièrement au palais de l’Elysée pour examiner ce que l’on pourrait faire. L’idée qui est apparue était que le général de Gaulle fut le premier homme d’Etat français dont la quasi-totalité des actes et des discours avait été enregistrée et filmée. Nous avons donc décidé de travailler à partir de cette donnée et de bâtir le futur musée de Gaulle – qui n’avait pas encore le nom d’Historial – en nous fondant sur ces archives audiovisuelles. Restait à savoir où l’on implanterait ce musée. Nous avons évoqué avec le cabinet du président de la République un certain nombre de lieux possibles pour en retenir deux : Vincennes ou les Invalides. J’ai eu un entretien sur ce point précis avec le président de la République qui a tranché en disant : « Vincennes, ce serait parfait mais c’est en dehors de tous les circuits touristiques, personne ne viendra. Nous choisissons donc les Invalides ».Je me suis alors tourné vers Michèle Alliot-Marie et son cabinet, en particulier son directeur de cabinet, le préfet Marland, et nous avons commencé à travailler dans des conditions excellentes de coopération. Le financement est assuré intégralement par l’Etat. Toutefois, la Fondation a décidé de prendre en charge le film projeté sur cinq écrans et qui constitue le cœur de l’Historiai. Faute d’en avoir les moyens financiers, nous avons fait appel à la Fondation des « Gueules cassées », qui a répondu merveilleusement à notre sollicitation en assumant le financement du film. Le président de la République a officiellement lancé les travaux de l’Historiai le 9 novembre 2005. Au moment où je parle, l’affaire est en marche. L’ouverture au public est prévue pour juin ou, plus probablement, septembre prochain, compte tenu du retard résultant de la découverte, sous la Cour de la Valeur, de blockhaus allemands dont nul ne connaissait l’existence.

Lancement de l’Historial Charles de Gaulle aux Invaides, le 9 novembre 2005.

Venons-en maintenant au troisième chantier.

Yves Guéna : Notre troisième chantier est le site de Colombey-les-deux-Eglises. Il y avait déjà un Mémorial, avec la Croix de Lorraine, mais la fréquentation diminuait quelque peu. Nous avons beaucoup réfléchi et nous sommes arrivés à la conclusion, qu’en dehors de l’émotion que l’on éprouve naturellement sur le lieu, les explications données au public et l’évocation de l’œuvre du général de Gaulle étaient très insuffisantes. Nous avons donc demandé à Philippe Galley, petit-fils du maréchal Leclerc, d’élaborer un projet de musée digne du général de Gaulle.

Nous avons travaillé en collaboration avec le Conseil général de la Haute-Marne, car les dépenses d’investissement et d’exploitation dépassaient largement tes possibilités de ta Fondation, mais nous finançons tout de même 20% du projet. Pour ce faire, nous nous sommes tournés vers le mécénat. Les résultats ne sont pas négligeables puisque nous avons déjà récolté un tiers de la somme nécessaire. Nous compléterons avec le lancement d’une souscription publique nationale qui devrait débuter prochainement afin que l’ensemble des Français se sente concerné par la mise en valeur de Colombey. Le projet de nouveau Mémorial Charles de Gaulle étant prêt, nous avons pu organiser la cérémonie du 9 novembre dernier, au cours de laquelle le président de la République a posé la première pierre.

J’ajoute que nous avons également réalisé en avril 2004 une installation commémorative à l’aéroport de Roissy à la jonction de deux terminaux sous la forme d’un mur d’images assez réussi. Ainsi des millions de passagers, particulièrement les étrangers, peuvent avoir, en cheminant d’un terminal à l’autre, une information claire et concise sur le général de Gaulle.

Voilà ce que nous avons gravé dans le sol de France et cela, je le répète, dans la ligne de nos prédécesseurs et avec le concours efficace de Jean Méo et du général Kessler.

Pour vous, ces lieux sont-ils de simples lieux de mémoire ou doivent-ils devenir, comme l’écrivait le général de Gaulle à la fin des Mémoires de guerre, des « sources d’ardeurs nouvelles » ?

Yves Guéna : C’est naturellement pour qu’ils soient source d’ardeurs nouvelles que nous avons agi. Pour moi, le général de Gaulle est le libérateur du territoire et le rénovateur de la République. Il est certain qu’il faut sans arrêt rappeler aux Français ce qu’est leur histoire. Si on ne connaît pas son histoire, si on n’aime pas son histoire et son pays, on n’a pas de patrie et, dans les cas graves, on n’est pas prêt à faire les sacrifices nécessaires. Le général de Gaulle est une des grandes figures de notre histoire et si un jour nous vivions encore un drame – il y en a toujours dans la vie des peuples – il est de ceux auxquels il faudrait se référer avec la Croix de Colombey, l’Historiai des Invalides, la Maison natale et avec dans l’esprit l’image bouleversante de la descente des Champs-Elysées du 26 août 1944. La Fondation Charles de Gaulle y aura contribué.

Vous avez fait en sorte que la Fondation ait une action à l’étranger.

Yves Guéna : En effet, le deuxième volet de notre action s’est attaché à assurer le rayonnement international du général de Gaulle. Autour du Général, il n’était pas difficile de réussir quelques opérations d’envergure.

A Moscou, en 2003, nous avons monté une exposition « De Gaulle » au Musée historique sur la place Rouge avec notamment un Yak de Normandie-Niemen hissé au 1er étage du bâtiment. Nous l’avons inauguré en grande pompe en présence de deux ministres français et de deux ministres russes, avec des messages du président Chirac et du président Poutine. J’ai ainsi pu prononcer un discours sur la place Rouge, ce qui n’est pas sans me donner une petite fierté. Le succès a été certain, avec plus de 100 000 visiteurs. A cette occasion, nous avons eu l’honneur de saluer les survivants russes de Normandie-Niemen alors que les survivants français avec le drapeau du régiment nous accompagnaient. Ce fut une rencontre émouvante.

Par ailleurs, nous avons réussi à nouer une relation très étroite avec la Chine. Tout d’abord, à l’occasion de l’année de la Chine en France en 2004, avec la réception du président Hu Jintao à la Fondation Charles de Gaulle lors de sa visite officielle en France. Lors de cette rencontre de plus de trois-quarts d’heure, nous lui avons présenté – c’était une gageure – le site Internet « charles-de-gaulle.org » en chinois. L’année suivante, année de la France en Chine, nous avons pu organiser quatre expositions « Charles de Gaulle, l’homme des tempêtes » à Pékin, Shanghai, Wuhan et Chengdu. Le succès a été considérable et il est clairement apparu que le général de Gaulle est l’un des grands hommes, sinon le grand homme, de l’époque contemporaine dans l’esprit des Chinois.

Nous avons également tissé des relations très étroites avec la Fondation Konrad Adenauer ; son petit-fils était d’ailleurs présent à la cérémonie de Colombey le 9 novembre dernier. Ces liens devraient se resserrer encore dans les années à venir.

Dans le même esprit de rayonnement, nous avons créé un club d’entreprises qui attribue chaque année les « bourses Charles de Gaulle – d’un montant de 10 000 euros chacune, destinées au financement des recherches de jeunes candidats francophones de moins de 40 ans ayant la volonté de perpétuer, de manière vivante et responsable, la réflexion du général de Gaulle sur les problèmes d’actualité.

Il semble qu’un gros effort de communication ait été fait ces dernières années.

Yves Guéna : Naturellement. Il ne suffit pas de faire les choses. Il faut encore le faire savoir. Pour le faire savoir, nous avons le site Internet, régulièrement enrichi et mis à jour. Il est très fréquenté et les visiteurs sont d’autant plus nombreux qu’il a été traduit en anglais, en allemand et, comme je viens de le rappeler, en chinois. Nous disposons aussi de la revue Espoir qui existe depuis les origines de l’Institut et qui ne cesse de s’améliorer.

Vous avez également souhaité protéger définitivement le siège de la Fondation

Yves Guéna : C’est vrai, nous avons demandé cette année au ministre de la Culture et de la Communication d’engager la procédure de protection, au titre des monuments historiques, de l’hôtel du 5, rue de Solférino, lié à la mémoire du général de Gaulle. Cette protection s’attachera à l’immeuble proprement dit, avec ses décors intérieurs et au bureau du Général, le mobilier étant également classé.

Enfin, nous avons réussi à fusionner la Fondation et l’Institut Chartes de Gaulle. Je crois que c’était la sagesse car ces deux institutions qui coexistaient jusque-là pour des raisons historiques nous obligeaient à des explications très compliquées et peu convaincantes, notamment pour nos partenaires financiers. L’existence de la seule Fondation Chartes de Gaulle simplifie bien évidemment les choses.

Voilà le bilan de ce que nous avons réussi à faire. Lorsque je « dis » nous, il ne s’agit bien entendu pas de ma seule personne. Jean Méo, le secrétaire général, te général François Kessler, le directeur général, les membres du Conseil d’administration et tous ceux qui m’entourent ici ont leur part, chacun à sa place, dans la réussite de ces opérations. Je crois que tout cela est positif. Mais je vous dirai que nous n’avons en vérité aucun mérite. Quand on est au service du général de Gaulle, forcément, on ne peut que remporter des victoires.

Les grands chantiers sont terminés ou très bien engagés, que reste-t-il à faire ?

Yves Guéna : Il reste certainement beaucoup de choses à faire mais je ne veux pas empiéter sur tes projets, l’imagination et la personnalité de mon successeur. Ce sera lui qui donnera les nouvelles orientations.

Tous ceux dans cette maison qui ont eu la chance de travailler avec vous espèrent beaucoup que vous continuerez à vous intéresser à la Fondation. Sous quelle forme envisagez-vous cette participation ?

Yves Guéna : Je pense que lorsqu’on donnera un « pot » important, on m’invitera ! Plus sérieusement, je bénéficie d’un petit crédit dans l’Etat et je peux intervenir sur certains points. Peu à peu, ce crédit s’estompera, mais, naturellement, cette maison où j’aurai passé pas mal de temps, restera dans mon cœur. Et je serai toujours prêt à apporter mon amicale présence et mon appui à ce qui sera fait ici. Je suis du reste très optimiste pour l’avenir, compte tenu de ce qui a été fait et des qualités éminentes, dont je ne doute pas, de mon successeur.

Publié dans Espoir n° 149, décembre 2006

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