Le Temps des certitudes (1940-1969) d’Yves Guéna

Par Jean d’Escrienne

Ce n’est pas tellement un compte rendu de lecture dé­taillé que j’aimerais faire du livre d’Yves Guéna, et je vou­drais éviter une plate analyse de ce Temps des certitudes qui nous paraît plein de lumière dans la grisaille et les incohérences d’aujourd’hui, quand dominent tant d’incertitudes !

Mais avant toute chose, je dois dire que j’ai lu ce livre avec passion, peut-être parce que de 1940 à 1969 j’ai éprou­vé bien souvent les mêmes sentiments que l’auteur, mais aussi parce qu’il s’agit d’une vaste fresque qui apporte une contribution évidente et solide à la connaissance, à l’histoire, à la compréhension de ces trente années si magistrale­ment marquées par de Gaulle.

Sur tous les grands événe­ments de la guerre, l’épopée de la France Libre puis la IVe République avec la « Tra­versée du désert », la Ve Ré­publique « gaullienne », l’au­teur apporte un témoignage direct, souvent lumineux et dont la sincérité saute aux yeux.

C’est d’abord l’Angleterre en guerre, et le ralliement à celui qui ramasse le « tronçon du glaive » de la France et inspirera le combat et le sacri­fice de ces volontaires « partis de rien », qui ne se sentent pas vaincus et seront un jour, en effet, vainqueurs.

Et puis, c’est l’Afrique et la guerre en Libye d’abord, avec la 2e DB en France en­suite.

En même temps, l’on assiste au cheminement politique de la France Libre à travers obsta­cles et embûches de Londres à Alger, puis aux plages de Normandie et à Paris… Les horreurs de la guerre totale, la Résistance, les fusillés, les déportés ne sont pas oubliés dans le récit de ce temps-là.

Après son mariage, avec une « gaulliste » évidemment, Yves Guéna nous raconte, la guerre terminée, son séjour familial au Maroc qui s’ache­mine vers l’indépendance, où s’impose alors la légendaire et médiévale figure du Glaoui.

C’est ensuite le cabinet de Michel Debré, avec le retour, tant attendu, tant désiré, du Général au pouvoir. C’est Abid­jan avec la mise en place de la Communauté, les contacts avec Houphouët-Boigny, l’indé­pendance de la Côte d’Ivoire…

Puis, commence en 1962 la carrière politique d’Yves Guéna, qui n’escamote pas dans son livre le sujet dou­loureux de la guerre d’Algérie…

Le voici député de la Dordogne, sa patrie d’adoption à la suite de son marriage, maire de Périgueux : nous sommes témoins de contacts nombreux avec les hommes politiques alors en vedette, nous participons avec lui à des missions en Tunisie, à Berlin, aux Etats-Unis alors que la France se trouve, écrit-il, « à l’âge d’or du gaullisme ».

Ministre de De Gaulle, Yves Guéna apporte son témoignage sur tous les événements aux­quels la France est confrontée et, bien souvent, un éclairage inédit et une explication ori­ginale : nous rencontrons ainsi Malraux, mais aussi Giscard d’Estaing. Nous voyons la Grande-Bretagne qui veut bien entrer dans le Marché Commun mais sans payer sa cotisation, l’Allemagne de Willy Brandt et voici même les amours imaginaires du Géné­ral. Les problèmes sont expo­sés en toute clarté, qu’il s’agisse de l’Europe, du Mar­ché Commun ou du « Québec libre », tout comme d’ailleurs (peut-être développés avec quelques excès de détails) ceux du ministre des PTT.

Au fil des pages on appré­cie particulièrement les expli­cations données à « l’Enigme de mai 1968 ». Tout est relaté avec précision. Des barricades à la mobilisation syndicale, aux négociations de Grenelle, à la disparition et au retour du Général, à l’immense ma­nifestation tricolore du 30 mai sur les Champs-Elysées, en passant par le rôle joué par Pompidou, les interventions du 24 et du 30 mai du Général, tout ce qu’il fallait dire et expliquer l’est totalement, clai­rement.

Enfin, Yves Guéna est mi­nistre de l’Information du Générai. C’est dire combien il se trouve qualifié pour nous donner un récit détaillé de ces onze mois qui précèdent le départ de De Gaulle du pou­voir : départ de Georges Pompidou, remplacé comme Premier ministre par Maurice Couve de Murville, oppositions diverses, jusqu’au sein de cette « chambre introuvable » élue en juin 1968, mise au point des projets de réforme que l’on sait sur la décentralisation, la participation… J’en passe : l’affaire tchécoslovaque en l’été 68, la réforme universi­taire, le Moyen-Orient, le Bia­fra, l’affaire Soames.

Tout cela nous mène au référendum d’avril 1969. Nous assistons à sa préparation, à sa mauvaise présentation, aux oppositions qu’il suscite et qui seront finalement fatales.

Une fois le Général retiré dans son village de Colombey, un grand chapitre d’histoire est terminé pour la France. Ceux qui ont suivi Charles de Gaulle aux jours douloureux comme aux heures glorieuses de la France Libre le ressen­tent particulièrement. Guéna éprouve une grande tristesse et ne dissimule pas son émo­tion. « Mon Général, écrit-il, vous n’avez vécu que pour la France… Vous demeurez mon seul exemple… J’aurais tant voulu vous mieux servir. »  ll dit aussi ailleurs : « Je ne sais pas si… je servirai encore d’autres présidents, mais je n’aurai pas d’autre roi ». La France non plus!

Un livre remarquable, plein de richesse, de sagesse, d’émotion, écrit en un style parfois gaullien, de lecture agréable, un livre qu’il faut lire et relire lorsqu’on aime et qu’on veut mieux connaître l’histoire, de Gaulle et la France.

Éditions Flam­marion 1982.

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