« LA MORT DE L’ÉLECTION EST POUR BIENTÔT »

par Xavier Patier*

Publié dans le Figaro du 20 octobre 2022. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Le système démocratique que nous connaissons, fondé depuis 1848 sur le suffrage universel, connaît un basculement majeur.

Tous les pouvoirs qui montent, magistrats, réseaux sociaux, influenceurs, vedettes du football, autorités dites indépendantes, technostructure européenne –, ont en commun de ne pas être désigné par l’élection. Tous les pouvoirs en perte de vitesse – élus locaux, députés, sénateurs, président – sont au contraire, directement ou indirectement, issus des urnes. La séparation des trois pouvoirs, théorisée par Montesquieu (législatif, exécutif, judiciaire) a cédé la place à une foire d’empoigne entre une demi-douzaine de pouvoirs dans laquelle les plus forts sont les plus éloignés du citoyen.

Des exemples ? Nous assistons depuis trente ans à une montée lente mais continue du pouvoir judiciaire dans les usages protocolaires, dans le niveau des rémunérations, dans la crainte politique qu’il inspire, comparé au sort subi par les dirigeants mis en place par le suffrage universel. L’ascension des « autorités indépendantes », considérées comme indépendante pace que justement elles ne doivent rien aux urnes, est un autre signe.

Naguère, l’élection était censée garantir l’indépendance d’un décideur : le modèle est inversé. Vous êtes élu ? Vous êtes suspect. La Haute Autorité de transparence de la vie publique (HATVP), dernière née de ces autorités dites indépendantes, dont la vocation est de traduire en punitions concrètes le discrédit moral des pouvoirs élus, est présidée par un député défroqué promu magistrat financier. Une série télévisée comme Mongeville installe dans l’opinion l’image d’un juge retraité roulant en Jaguar et dégustant des grands crus bordelais dans un salon Louis XV pendant qu’à ses pieds, sur le tapis, une jolie fonctionnaire de police écoute son discours sr le droit pénal. Nul ne s’interroge sur le train de vie de e retraité, ni ne doute de son intégrité. Car dans Mongeville, les méchants sont les élus.

Nos édiles, y compris les maires, vivent désormais sous un flux continuel d’insultes et sous une pression médiatico-numérique désordonnée qui les entraîne dans des logomachies indignes ; les députés sont perçus comme des ignares sectaires, les sénateurs des notables inutiles.

Ce qui frappe, c’est la vitesse à laquelle les pouvoirs qui montent prennent la place des pouvoirs qui déclinent. Les autorités nommées empilent de plus en plus de compétences au moment où le cumul des mandats électifs, lui, est limité jusqu’à l’absurde.

Les citoyens ont compris cette évolution : ils se déplacent de moins en moins pour voter. Ce n’est pas seulement que l’offre politique les déçoit, c’est que les enjeux décisifs ne se jouent plus dans les bureaux de vote.

La dernière campagne législative en a donné une ultime illustration : à deux semaines du scrutin, le chef de l’Etat a annoncé la création d’un Conseil national de la refondation, composé de militants associatifs, de forces vives désignées et de citoyens tirés au sort, instance « indépendante » chargée de faire le travail du Parlement. Le message a été entendu : l’abstention a battu un record au premier tour.

Il est donc à prévoir que le cycle des élections tel que nous le connaissions depuis 1848 – candidature, campagne, vote, dépouillement, contentieux – va s’éteindre.

Sans doute, à une échéance plus ou moins rapprochée, sera institué le vote électronique, plus fiable, moins cher, moins carboné. Cependant le vote électronique ne sera pas la résurrection, mais bien le coup de grâce du système représentatif. Car le vote électronique ne pourra que déboucher sur la banalisation du scrutin, qui évoluera vers un système de notation permanent, des décideurs et des institutions. Le vote permanent tuera le vte événement. On ne votera plus choisir une personne, mais pour noter un comportement. Le vote ne sera pas un outil au service de la légitimité du gouvernant, mais un instrument de sa précarité.

Sous la monarchie de Juillet, la question du droit électoral avait été essentielle, au point qu’elle a provoqué la Révolution de 1848. Une querelle avait opposé les partisans du suffrage censitaire existant – système qui réservait le droit de vote à ceux qui payait l’impôt foncier – aux partisans du suffrage universel. A Ledru-Rollin qui se battait pour le suffrage universel, Royer-Collard répondait qu’on ne vote pas pour promouvoir une opinion (il y a les journaux pour cela) mais pour défendre un intérêt. Un citoyen qui ne paye pas l’impôt n’a pas d’intérêt à défendre et donc aucune raison de voter, disait-il. En 1848, la thèse de Ledru-Rollin s’est imposée. Le vote-opinion a régné pendant près de deux siècles.

Ce règne semble arrivé à son terme. Les notations des internautes seront des votes-intérêt. La démocratie représentative aura tourné à la dictature volubile.

*Xavier Patier a publié plus de vingt-cinq romans, nouvelles et essais, tel Bientôt nous ne sons plus rien (La Table ronde, 1994), prix Jacques-Chardonne, et Le Silence des termites (La Table ronde, 2008), prix Roger-Nimier. Dernier ouvrage paru : Demain la France. Tombeaux de Mauriac, Michelet, de Gaulle (Le Cerf, 2020), grand prix catholique de littérature.

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