AUX CÔTÉS DE PIERRE LEFRANC À L’INSTITUT CHARLES DE GAULLE

par Jean-Louis Matharan
Professeur agrégé, docteur en histoire, ancien collaborateur de l’Institut Charles de Gaulle

Parmi tous ceux qui ont travaillé avec Pierre Lefranc et qui l’ont connu dans des activités et des circonstances très variées, je donne ici un aperçu, forcément subjectif, sur la façon dont je le vis et l’appréciais à la fin des années quatre-vingt à l’Institut.

J’ai rencontré Pierre Lefranc, pour la première fois, dans son bureau du premier étage de la rue de Solferino au début de l’année 1987. Même si la décision semblait prise de devoir me confier la direction du Service des études et recherches de l’Institut, Pierre Lefranc devait la confirmer et il voulait se faire sa propre opinion.

Cet entretien, comme la proposition de venir travailler à l’Institut, je les devais à Olivier Delorme qui m’entrainait, avec amitié, dans une entreprise collective. L’lnstitut renforçait son équipe pour préparer les commémorations à venir de l’année 1990 : le centenaire de la naissance de De Gaulle, le cinquantième anniversaire de l’Appel du 18 juin, le vingtième anniversaire de la mort du Général. J’allais succéder à Olivier Delorme au deuxième étage, lui grimpant au troisième pour préparer aux côtés de Bernard Tricot les Journées internationales : De Gaulle en son siècle.

Pour Pierre Lefranc, et il me le dit dès le mois d’avril quand je rentrai dans mes nouvelles fonctions, la préparation décisive de 1990 ne devait en rien empêcher la poursuite des travaux habituels de l’Institut, notamment ceux des Etudes et recherches. Il s’agissait donc de mener de front l’ordinaire et l’extraordinaire.

Je devais d’abord assurer le fonctionnement de l’ordinaire sous son autorité. C’est ce que je m’appliquais à faire, accompagné par Olivier Delorme et Catherine Trouiller. La publication des actes du colloque, Brazzaville – Aux sources de la décolonisation, la préparation scientifique et matérielle de celui sur De Gaulle et ses premiers ministres, sa tenue et sa publication, la préparation et la tenue des cycles annuels de conférences à l’Institut, les expositions photographiques à l’extérieur, la participation aux comités de rédaction de la revue ESPOIR, rythmèrent la période. Chacune de ces différentes activités était accompagnée de nombreuses réunions, Pierre Lefranc participait à quelques-unes, toutes faisaient l’objet de compte-rendu précis dont il était le destinataire, s’y ajoutaient les échanges oraux plus ou moins courts.

Nécessairement, au fur et à mesure de l’approche du Centenaire, le Service des études et recherches vint conforter l’entreprise conduite par Bernard Tricot et Olivier Delorme, y concourant également, de façon propre, par la coréalisation avec la Bibliothèque nationale de la grande exposition Charles de Gaulle, la conquête de l’histoire ou l’établissement de la Nouvelle bibliographie internationale sur Charles de Gaulle, publiée dans les temps à la veille du colloque.

Dans cette variété de tâches – et je ne parle ici que de celles dont j’avais la charge – j’ai appris à connaitre les qualités de Pierre Lefranc. Elles m’apparurent progressivement au long de ces années dans les échanges en tête à tête, les petits mots laissés sur le bureau signés PL, les remarques rapides devant les portes des bureaux de l’Institut, au long des réunions à plusieurs et pendant tous ces moments ou l’essentiel se saisit qui n’est pas mesurable.

Il avait un esprit politique, cette aptitude à lier et à relier, à chercher l’accord sans lâcher sur ce qui lui paraissait essentiel. Il mêlait à la finesse des analyses, celles des hommes comme des situations, l’humanité des rapports, la gaieté de son caractère et la détermination.

Il avait l’esprit clair, l’aptitude à organiser et à déléguer. Ayant exposé ce qui lui paraissait devoir être fait, il demandait alors « Qu’en pensez-vous ?» et chacun savait que tout pouvait être discuté de façon argumentée. La chose délibérée, souvent modifiée, il mettait toute sa volonté à ce qu’elle soit conduite comme elle avait été arrêtée.

Il accordait sans réserve sa confiance, celle que suscitent le travail et l’honnêteté des rapports. Il n’aimait ni les postures ni les faux semblants, se moquant avec humour des préjugés propres à chaque milieu. D’un naturel impatient, il s’étonnait, ou faisait semblant, que telle ou telle chose ne soit pas encore faite ou que nous n’ayons pas obtenu telle ou telle réponse : c’était particulièrement vrai le vendredi après-midi quand s’approchait le week-end…

Il avait le goût et le sens de l’amitié, celle qui soutient avec constance, s’exprime de façon attentionnée et délicate. Le respect qu’il avait pour chacun pouvait aller avec une certaine bonhomie.

Cette période fut un moment particulier.

Le travail mené, et qui montait en puissance, s’est fait dans l’entente et l’amitié de ceux qui eurent la chance d’y contribuer, et parmi tous ceux, nombreux, qui contribuèrent à cette réussite, particulièrement ceux qui chaque jour venaient rue de Solferino, au fond un groupe restreint.

Pour Olivier Delorme, Bruno Leroux, Catherine Trouiller, moi-même, nous bénéficions de la confiance et de la bienveillance des membres du conseil d’administration de l’Institut, de celle, exigeante et entière, de Bernard Tricot, mais je crois que l’esprit de Pierre Lefranc, si bien relayé par Danielle Sonnet, sa collaboratrice, entretenait avec bonheur l’ensemble. Un esprit de liberté, efficace et loin des conformismes de pensée et d’action. II fut pour nous, à mes yeux, le garant de notre grande autonomie, de notre entière liberté de conception et d’expression.

Pierre Lefranc, parce qu’il était fidèle, était inventif et moderne. Attentif aux changements, il portait en lui cette responsabilité qu’il avait reçue de faire vivre l’Institut et de veiller à son épanouissement.

C’est ce souci constant de mener à bien le développement de l’Institut et d’assurer sa pérennité qui explique sa détermination à ce que soit créée la Fondation malgré les obstacles et certaines rivalités qu’il jugeait inévitables mais secondaires.

Qu’ajouter ? Sinon que les lieux, rue de Solférino, s’accordaient à merveille à l’entreprise et à l’amitié, Pierre Lefranc animait cette maison partie prenante de ce qui s’y déroulait.

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