REMISE DE LA GRAND-CROIX DE L’ORDRE NATIONAL DU MÉRITE À PIERRE LEFRANC

par Dominique de Villepin
Ancien Premier ministre

Le 12 février 2007

Nous sommes réunis ce soir autour d’un patriote fervent, d’un grand serviteur de l’Etat, d’une haute figure du gaullisme.

Nous sommes réunis ce soir pour rendre hommage au courage, à l’engagement, à la passion. Cette passion, cher Pierre Lefranc, c’est bien sûr votre amour de la France, votre foi inébranlable dans la grandeur de notre pays. Cette fidélité à notre République, vous l’avez reçue en héritage dès vos plus jeunes années.

Vous grandissez à Paris, dans une famille profondément attachée à la tradition républicaine. Je pense à votre arrière-grand-père, qui fut l’un des 363 parlementaires à s’engager dès 1877 en faveur de la République. Je pense aussi à vos deux grands-pères, membre de l’Institut et procureur général près la Cour de cassation : ils ont su vous transmettre cette flamme républicaine et ce sens de la patrie qui vous animent depuis toujours.

Auprès de votre mère, restée veuve très jeune avec trois enfants en bas âge, vous n’aurez de cesse d’entretenir votre passion commune pour notre pays. A ses côtés, vous découvrez aussi la politique, vous prenez goût au débat d’idées. Vous apprenez la force des convictions et le sens de l’engagement. Vous en ferez d’ailleurs l’expérience au plus profond de votre chair. Nous sommes le 11 novembre 1940, vous avez alors 18 ans.

Dans le Paris de l’Occupation, les étudiants ne peuvent se résoudre à capituler. Avec vos camarades, vous décidez de braver les Allemands et de vous réunir autour de l’Arc de triomphe pour commémorer le souvenir de la Grande Guerre. Car vous avez le sentiment que rien n’est perdu, que la France doit continuer le combat et qu’elle a toutes les armes pour repousser l’Occupant.

Très vite, l’ardeur vous saisit, l’espoir renaît. Autour de vous, les pavés volent, les premières notes de la Marseillaise résonnent, l’affrontement devient inévitable. Mais la riposte sera brutale. Blessé par un jet de grenade, vous êtes arrêté et emprisonné.

De cet épisode, vous retirez une véritable leçon de vie : la certitude absolue que l’on ne peut transiger avec la dignité de soi, la conviction profonde qu’il y a des valeurs qu’il faut défendre à tout prix, des idées qui méritent que l’on sacrifie sa vie pour elles.

Cette conviction, elle ne cessera de vous guider. Elle deviendra d’autant plus forte qu’en plein cœur de la guerre, vous faites une rencontre essentielle : celle du général de Gaulle.

Cette rencontre, elle marquera à tout jamais votre existence. Après avoir répondu à l’appel du Général, vous devenez fidèle parmi les fidèles. À ses côtés, vous serez désormais de tous les combats.

Le combat de la Résistance et de la libération de la France, d’abord.

Au lendemain du débarquement, vous êtes ainsi parachuté dans un maquis de l’Indre où vous avez pour mission de retarder les convois allemands envoyés en renfort.

Vous rejoignez bientôt l’armée de libération et vous trouvez aux côtés du général de Gaulle lorsque celui-ci franchit le Rhin à Spire. Vous n’oublierez d’ailleurs jamais ce moment historique : alors que sur les rives du Rhin, de Gaulle procède à une remise de décoration, un avion de chasse allemand surgit en rase motte. La DCA et les automitrailleuses sont loin et le Général est sans défense. Dans le viseur du chasseur, de Gaulle demeure pourtant imperturbable et poursuit la cérémonie comme si de rien n’était. Après une boucle dans le ciel, l’avion ennemi s’éloigne et de Gaulle poursuivra sa marche vers Karlsruhe et vers la victoire.

Cher Pierre Lefranc, tout au long de ces années noires, vous n’avez jamais transigé sur vos principes. Vous avez défendu avec le plus grand courage la dignité de notre pays. Vous avez fait honneur à la France.

Pour vous, la flamme du gaullisme ne s’est pourtant pas éteinte une fois notre pays libéré. Votre engagement est aussi fort en temps de paix qu’en temps de guerre et vous êtes encore aux côtés du Général lorsque s’engage une nouvelle bataille : une bataille pour créer les institutions « d’une nation libre groupée sous l’égide d’un État fort ». En 1947, vous prenez ainsi une part active à la formation du Rassemblement du Peuple français. Vous partez dans le Centre pour y implanter le mouvement gaulliste. En quelques mois, vous recrutez des délégués et établissez des listes électorales. Le RPF est bientôt sur pied et vous en devenez le secrétaire national aux jeunes et aux étudiants.

Même si l’aventure du RPF ne porte pas ses fruits, votre fidélité est plus forte que tout : pendant la traversée du désert et malgré vos nouvelles responsabilités dans le secteur privé, vous continuez d’être proche du général de Gaulle. Et lorsque les événements de 1958 font renaître l’espoir, vous êtes en première ligne pour porter l’élan. Avec Jacques Foccart et Olivier Guichard, vous vous trouvez ainsi aux côtés de De Gaulle le 14 mai 1958, dans les bureaux vides de la rue de Solférino. Ce jour-là, dites-vous, « En quelques heures, la France gaullienne se réveille et nous ne savons où donner de la tête. De Gaulle simule le scepticisme mais nous croyons découvrir une lueur au fond de son œil ». Cette lueur, elle est bientôt partagée par tout un peuple et c’est pour vous une nouvelle aventure qui commence.

Une fois de Gaulle revenu au pouvoir, vous déploierez en effet toute votre énergie pour soutenir son action.

D’abord en tant que Chef de Cabinet du Général, puis en tant que chargé de mission, et enfin conseiller technique à l’Élysée.

Après quelques années passées dans l’Indre où vous êtes nommé préfet, vous revenez à Paris pour préparer les élections de 1965. Quelques mois avant les échéances électorales, grâce à votre dévouement et à votre dynamisme, tout est en place pour faire campagne : les affiches et les textes sont prêts, les équipes sont formées. Il ne manque plus qu’un détail à régler, un détail qui vous fera passer de longues semaines dans l’attente : l’annonce officielle de la candidature du Général. Cette annonce arrive finalement le 4 novembre et vous lancez alors toutes vos forces dans la bataille, jusqu’à la réélection du général de Gaulle.

Votre fidélité au Général, le soutien sans faille que lui vous apportez, ils se révéleront également décisifs lors de la crise de mai 1968. A la demande de De Gaulle, vous mettez alors en place les Comités de défense de la République (CDR). Grâce à votre action déterminée, vous contribuez ainsi de manière décisive au succès de la manifestation du 30 mai et au rétablissement de l’ordre.

Cette fidélité, vous en ferez preuve tout au long de votre vie, à travers un engagement sans faille pour entretenir la flamme du souvenir et faire vivre la mémoire.

La mémoire du gaullisme, d’abord.

Fondateur de l’Institut, puis de la Fondation Charles de Gaulle, président de l’Association nationale de fidélité au général de Gaulle, vous n’avez de cesse de multiplier les témoignages et de promouvoir les valeurs qu’avec lui, vous avez toujours portées. Car plus que quiconque, vous connaissez la force du souvenir, vous savez la nécessité d’expliquer le passé pour mieux éclairer l’avenir.

Ce devoir de mémoire, vous vous en acquittez à travers vos articles, vos conférences et les multiples colloques qu’aujourd’hui encore, vous continuez à animer. Vous le remplissez également au fil de vos nombreuses publications. Je pense en particulier à votre De Gaulle raconté aux jeunes avec cet ouvrage, vous faites œuvre de passeur, vous transmettez un flambeau précieux et indispensable aux jeunes générations.

Entretenir la mémoire, c’est aussi faire vivre les valeurs de notre pays et contribuer au rayonnement de la France.

Je ne me risquerai pas à citer ce soir l’ensemble de vos engagements associatifs dans ce domaine. Ils sont impressionnants. Permettez-moi simplement de rendre hommage à votre action au sein de l’association des auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes de Défense nationale. Qu’il s’agisse d’en diriger les travaux ou de participer au jury du prix Vauban, vous avez à cœur de porter haut les valeurs et l’histoire de notre pays.

Ces valeurs, vous les défendez d’ailleurs de manière originale, lors des spectacles d’ombres chinoises que vous donnez avec les membres de votre famille. À travers les personnages dessinés par Caran d’Ache, l’épopée napoléonienne revit, la gloire de l’empereur et la grandeur de la France se déploient.

Et chez vous, cher Pierre Lefranc, ce devoir de mémoire rejoint le goût des arts et de la culture.

Je pense notamment au rôle que vous avez joué dans l’acquisition du manuscrit de la Condition humaine d’André Malraux. Grâce à votre sens de l’histoire, grâce aussi à votre dévouement au service de l’intérêt général, il se trouve désormais dans le fonds de la Bibliothèque nationale de France. Et je n’oublie pas votre passion pour les beaux-arts. Avec votre épouse, Sylvie, mais aussi avec vos enfants, Céline et François, vous partagez un même goût pour la création, un même amour pour la peinture et pour le dessin.

Cher Pierre Lefranc.

Ce combat héroïque pour la libération de la France, cette action déterminée aux côtés du général de Gaulle en faveur de la grandeur et du rayonnement de notre pays, cette œuvre de passeur attaché à préserver et à transmettre la mémoire de notre Nation, nous souhaitons leur rendre hommage aujourd’hui.

Pierre Lefranc, au nom du Président de la République, nous vous élevons à la dignité de Grand-Croix de l’Ordre national du Mérite.

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