LE HÉROS PRÉFÉRÉ

par Jean Moulin

Le 13 octobre 1915, Jean Moulin, âgé de 16 ans, rédige ce devoir. Il est alors élève de 1ère au collège de Béziers. Le manuscrit de ce texte est conservé au Centre Jean Moulin de Bordeaux.

Notre histoire est celle qui renferme le plus de traits héroïques ! En effet, dès ses origines, la France montre des exemples de courage et d’abnégation. Et déjà, avant notre ère, Vercingétorix, le héros de l’indépendance gauloise, combattit est se sacrifia pour la liberté de sa patrie. C’est notre première gloire nationale, c’est lui que je préfère entre tous.

Il employa toute sa vie à affranchir la Gaule du joug écrasant des Romains. Mais malheureusement des obstacles insurmontables se dressèrent sur sa route glorieuse et il mourut en héros dans la fleur de l’âge. C’était un jeune homme robuste et intelligent de la tribu des Arvernes. Il se fit remarquer de bonne heure par son courage et ses qualités. Il devint bientôt le chef du parti populaire. Le sentiment de la patrie gauloise était né en lui. Il voyait avec un serrement de cœur les Romains victorieux vivre aux dépends d’eux et il exhorta les siens à s’unir pour reconquérir leur liberté. Avec ses amis, il alla de ville en ville, invoquant le souvenir de leurs aïeux et les glorieuses conquêtes qu’ils avaient faites. Ils disaient aux habitants que leur devoir était de prendre les armes pour gagner leur indépendance. Ses paroles, son exemple, son action influencèrent les Gaulois qui se levèrent tous contre l’ennemi et César dut cette fois reconnaître le merveilleux accord de la Gaule pour ressaisir sa liberté.

Tout ceci était dû à la persévérance et à la volonté de cet ardent patriote. Vercingétorix avait compris par les expériences fâcheuses qu’avaient tenté les prédécesseurs que pour vaincre il fallait l’effort de tous. Par ses encouragements, il communiqua son ardeur aux Gaulois qui firent taire toutes leurs querelles et se rallièrent sous leur jeune chef.

Ce n’était donc pas simplement une révolte de tribu mais bien toute la Gaule qu’il soulevait. « Chasser l’oppresseur » : tel était le noble but qu’il poursuivait et, comme dit César lui-même, il ne s’arma jamais pour son intérêt personnel mais pour le bien de sa nation.

Vercingétorix avait affaire à des soldats bien entraînés et bien armés ; leurs chefs avaient autant de ruse que de sang-froid, aussi malgré son courage et son habileté, et après avoir senti à un moment la victoire entre ses mains, il fut contraint, écrasé par le nombre, à se retirer à Alésia. Il s’enferma donc dans cette ville avec les débris de son armée et y soutint un siège mémorable. Réduits à une horrible famine, ils firent des efforts désespérés pour se dégager de l’encerclement des Romains. Plus de vingt fois, Vercingétorix, à la tête de ses hommes, chargea avec un élan admirable contre les assiégeants. A chaque fois, il se brisa contre les remparts des Romains. Une armée de secours venant de l’extérieur vint se faire battre devant les retranchements de César. Leur dernier espoir s’étant évanoui, les assiégés se désespérèrent. Alors Vercingétorix, conservant seul une âme ferme au milieu de la consternation générale, réunit ses compagnons. Il leur dit que lui seul était l’auteur de la guerre, que lui seul devait mourir et il alla s’immoler en victime expiatoire.

Et pour conserver, même à la veille de la mort, cette noble fierté gauloise qui nous caractérise, il revêtit sa plus belle armure, monta sur son cheval de bataille et après l’avoir fait caracoler un instant devant la tribune de César, il jeta son épée, son javelot et son casque aux pieds des Romains sans dire un mot. César manqua de générosité et il fit exécuter son glorieux adversaire.

Vercingétorix avait vécu et était mort pour rétablir la liberté de son pays.

Sa vie, son œuvre et surtout sa mort font de ce héros primitif un des plus grands de notre histoire. De tels ancêtres ne pouvaient engendrer que des fils comme ceux qui se battent aujourd’hui glorieusement sur les coteaux de Champagne ou sur les bords de l’Yser.

À vingt siècles d’intervalle, nous voyons les mêmes Français liés pour la même cause. Mais aujourd’hui c’est la revanche et bientôt nous entendrons le coq gaulois célébrer la victoire.

Voir la dissertation :

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