CES DATES QUI FONT L’HISTOIRE…

7 MARS 1966

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

Le 7 mars 1966, le général de Gaulle, président de la République, informe son homologue américain, le président Lyndon Johnson, que la France a décidé de se retirer du commandement intégré de l’OTAN et de demander, en conséquence, le départ des forces armées américaines et canadiennes installées sur le territoire français.

Rappelons qu’en 1966, l’OTAN, créée en 1949, compte 15 membres, dont la République Fédérale d’Allemagne, contre 28 aujourd’hui. Depuis 1952, son siège est à Paris. Son commandement intégré est composé d’un Commandement allié Opérations, chargé de la planification et de l’exécution de toutes les opérations de l’alliance, d’un Commandement allié Transformation, chargé de la stratégie de combat. Ces structures de commandement sont placées sous l’autorité du Comité militaire où siègent les chefs d’états-majors de la défense des pays membres de l’Alliance.

La décision française s’inscrit dans la logique de la réforme de l’Organisation Atlantique prônée par le général de Gaulle [1] et dans l’esprit de son hostilité à la politique des blocs. Dans la lettre historique adressée au président des Etats-Unis, le chef de l’État français ne remet pas en cause l’appartenance de la France à l’Alliance Atlantique et affirme même son attachement à l’Alliance ; mais il estime que celle-ci ne doit pas aliéner les états-membres à la volonté et aux intérêts des Etats-Unis :

« Notre alliance atlantique achèvera dans trois ans son premier terme. Je tiens à vous dire que la France mesure à quel point la solidarité de défense ainsi établie entre quinze peuples libres de l’Occident contribue à assurer leur sécurité et, notamment, quel rôle essentiel jouent à cet égard les Etats-Unis d’Amérique. Aussi, la France envisage-t-elle, dès à présent, de rester, le moment venu, partie au traité signé à Washington la 4 avril 1949. (…) »

« Cependant, la France considère que les changements accomplis ou en voie de l’être, depuis 1949, en Europe, en Asie et ailleurs, ainsi que l’évolution de sa propre situation et de ses propres forces, ne justifient plus, pour ce qui la concerne, les dispositions d’ordre militaire prises après la conclusion de l’alliance soit en commun sous la forme de conventions multilatérales, soit par accords particuliers entre le gouvernement français et le gouvernement américain.

« C’est pourquoi la France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements ‘’intégrés’’ et de ne plus mettre ses forces à la disposition de l’OTAN ».

Elle « est disposée à s’entendre avec ses alliés quant aux facilités militaires à s’accorder mutuellement dans le cas d’un conflit où elle s’engagerait à leurs côtés » (…).

Le retrait de la France est officiellement annoncé le 8 juin 1966 à la Conférence de Bruxelles. A la suite de ce retrait français du commandement intégré, le siège de l’OTAN, est installé en Belgique, près de Mons, tandis que les forces aériennes de l’OTAN en Europe, qui ont leur siège à Wiesbaden et comprennent, notamment, six escadres en France, restent en Allemagne.

A l’occasion d’une de ses conférences de presse, le 28 octobre 1966, le Général de Gaulle précise que les forces françaises stationnées en Allemagne vont y rester et que la France se réserve la possibilité de juger si ses troupes doivent être engagées en cas de conflit.

Les rapports de la France avec l’OTAN vont alors connaitre ; jusqu’en 1974, une alternance de phases de rapprochement et de tension.

Maurice Vaïsse, éminent professeur en histoire des relations internationales à l’Institut d’études politiques de Paris, membre du conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle et grand spécialiste des Documents diplomatiques français, a rappelé dans l’un de ses articles [2] que : « en 1958, la France traverse une crise de confiance dans l’Alliance atlantique, résultant pour beaucoup des pressions américaines lors de l’affaire de la Communauté Européenne de Défense (CED), de la crise de Suez et, plus largement du soutien des Etats-Unis au mouvement de décolonisation ».

Le nouveau chef de l’Etat, qui a mis fin à la guerre d’Algérie, a relancé et rendu autonome la recherche sur le nucléaire, et qui entend repositionner la défense de la France en lien avec sa politique étrangère, estime, pour sa part, que la France, sans remettre en cause son appartenance à l’Alliance Atlantique, a intérêt à être moins dépendante des Etats-Unis, à garder le contrôle de sa défense et qu’il est nécessaire de réformer l’OTAN.

Et comme, depuis sa création, l’OTAN s’est orientée vers une intégration de plus en plus étendue, le Général de Gaulle, ne pouvant accepter une évolution qui risque d’entrainer la France dans des conflits qui ne sont pas les siens (notamment au Vietnam) et qui altère l’esprit de défense des Français, a donc décidé d’en quitter le commandement intégré. Sa décision, annoncée le 7 mars 1966, suscite de très nombreux commentaires en France et dans le monde.

Quelques mois plus tard, le 1er septembre 1966, le Général de Gaulle, en visite au Cambodge où il a été accueilli par le chef de l’Etat, le prince Norodom Sihanouk, prononce devant plus de 100 000 personnes réunies au grand stade du complexe sportif de Phnom Penh un discours dont le retentissement mondial marque encore bien des esprits.

Le Chef de l’Etat français y évoque les combats qui ravagent l’Indochine, l’impossibilité d’une solution militaire dans le conflit engagé par les Etats-Unis au Vietnam et la « nécessité de laisser les peuples disposer à leur façon de leur propre destin ».

Durant les années de leur présidence à l’Elysée, la politique extérieure de la France menée par le Général de Gaulle puis par Georges Pompidou est marquée par le constant souci de promouvoir l’indépendance du Pays et d’assurer sa souveraineté tout en participant à la construction du Marché commun européen et en s’attachant à entretenir des relations diplomatiques propices au développement économique et commercial comme au rayonnement scientifique et culturel du Pays.

Après De Gaulle

Le 26 juin 1974, les relations au sein de l’Alliance atlantique se détendent, un mois après l’installation du Président Giscard d’Estaing à l’Elysée, avec la signature de la « Déclaration sur les relations atlantiques » dont le texte a été préparé avant le décès du président Pompidou en concertation avec les responsables français. Ce texte reconnait que les forces nucléaires britanniques et françaises participent à la défense du monde libre et renforcent la dissuasion globale.

Au fil des années la doctrine française de défense évolue de la sanctuarisation du territoire national à une sanctuarisation élargie à l’Europe occidentale et la France participe aux sommets occidentaux.

En juin 1983, le Président Mitterrand accueille à Paris les participants à la réunion du Conseil atlantique. Mais des divergences de conceptions persistent entre dirigeants français et américains, François Mitterrand contestant, notamment, la conception américaine d’une sécurité mondiale assurée par l’OTAN et s’interrogeant sur le rôle de l’OTAN après la fin de l’URSS et du Pacte de Varsovie.

La France estime, à l’époque, qu’une « identité stratégique européenne est possible », alors que les Etats-Unis, gênés par le concept d’une entité européenne de défense autonome, souhaitent que l’OTAN conserve son rôle, voire puisse mener des actions politico-militaires.

En 1989, survient l’écroulement du mur de Berlin suivi, en 1990, de la réunification des deux Allemagne et en 1991 de la dissolution du Pacte de Varsovie. La même année l’URSS se dissout et donne naissance, notamment, à la Fédération de Russie. Mais en 1991 survient aussi la guerre du Golfe où les Etats-Unis vont assurer la défense d’un enjeu stratégique de grande importance puisque c’est dans le Golfe Persique que se trouve une grande partie des réserves mondiales de pétrole.

Le 7 novembre 1991, les chefs d’états et de gouvernements des seize pays de l’OTAN, réunis à Rome pour un Conseil atlantique évoquent « Le nouveau concept stratégique de l’Alliance » et définissent un concept de sécurité qui n’est pas circonscrit à l’aire nord-atlantique. Ce nouveau concept est appliqué dans les Balkans où la crise de la Fédération Yougoslave a atteint un paroxysme.

L’année suivante, le traité de Maastricht de 1992 comporte un article 42 qui établit que « L’Union respecte les obligations de certains Etats membres, lesquels estiment que leur défense commune se réalise par l’intermédiaire de l’OTAN, dans le cadre du Traité de l’Atlantique Nord », lequel traité stipule dans son article 8 que chaque Etat membre « assume l’obligation de ne souscrire aucun engagement international en contradiction avec le Traité ».

Après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République le 17 mai 1995, les rapports entre la France, les Etats-Unis et l’Alliance atlantique s’améliorent d’autant plus que la crise survenue dans l’ex Yougoslavie conduit la France à participer à nouveau, à partir de décembre 1995, au Comité militaire de l’OTAN lorsque l’emploi des forces y est envisagé, et à son ministre de la Défense à se rendre aux réunions du Conseil atlantique.

Du 23 au 25 avril 1999 une réunion au sommet est organisée à Washington à l’occasion du 50e anniversaire de l’Alliance. Les participants y officialisent la transformation de l’OTAN en « une nouvelle Alliance plus grande, plus flexible, capable d’entreprendre de nouvelles missions, y compris les opérations de réponse aux crises ». Le document adopté à Washington rappelle que l’OTAN « soutient pleinement le développement de l’identité européenne de la défense à l’intérieur de l’Alliance ».

Cependant, l’évolution d’une alliance défensive vers une alliance plus large engagée dans des opérations de stabilisation et de rétablissement de la paix (Kosovo en 1998-1999, Afghanistan en 2001 en réponse aux attentats perpétrés par le réseau djihadiste Al-Qaida  le 11 septembre…), présentée comme un « bras armé de l’ONU » agissant, en fait, sans mandat du Conseil de sécurité, n’a pas manqué de susciter de fréquentes interrogations et critiques.

En 2007, la situation géopolitique n’étant plus la même qu’en 1966, le Président Nicolas Sarkozy prononce, le 17 août, son premier discours de politique étrangère à la Conférence des ambassadeurs. Il y envisage de « faire avancer la relation avec l’OTAN » puis annonce, le 7 novembre, le projet de réintégration de la France dans ses instances de commandement.

Le retour de la France dans deux des structures de commandement intégré, à l’exclusion du groupe des plans nucléaires, a été officialisé le 17 juin 2008 à l’occasion de la présentation d’un nouveau « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ».

[1] Dès son retour au pouvoir en 1958, « le général de Gaulle a adressé aux gouvernements des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne un mémorandum dans lequel il exposait la nécessité d’une réforme substantielle de l’Alliance Atlantique pour développer l’autonomie et le rôle de ses membres, en particulier la France…Cette proposition resta sans suite ». Tribune de M. Pierre Maillard, Ambassadeur de France, ancien conseiller diplomatique du général de Gaulle, publiée dans le numéro 156 de la revue ESPOIR, page 73. Mars 2009.

[2] ‘’La France et l’OTAN : une histoire’’ article de Maurice Vaïsse publié dans la revue POLITIQUE ETRANGERE N° 2009/4 (hiver), pages 861 à 872.

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