EXTRAIT DE LA LETTRE DE JEAN MOULIN À PIERRE COT, 19 OCTOBRE 1941

Mon cher Pierre,

Je suis heureux de pouvoir, d’une terre libre, t’envoyer mes bonnes affections, J’espère que tu es en parfaite santé et que tu as complètement oublié tes malheurs physiques passés. J’espère aussi que Néna et vos chers enfants se portent bien. Embrasse-les bien pour moi – puisque aussi bien je ne pourrai le faire moi-même tout au moins dans un temps rapproché. Tu sais depuis longtemps que j’ai, en effet, décidé de ne pas aller en Amérique, pensant que je pourrais rendre plus de services à notre pauvre pays en suivant une autre voie et en étant plus proche de nos amis anglais.

J’ai su, par contre, par diverses voies, que tu étais, toi-même, beaucoup plus utile aux USA et que tu continuais à faire du très bon travail pour la cause des Alliés. A chacun sa destinée. Je ne peux m’empêcher cependant de regretter que la mienne me prive d’une des seules joies de ma vie : la présence de mes amis.

Je n’ai pu voir ta mère récemment, mais la dernière fois que je l’ai vue elle m’a paru être en très bonne santé. Elle semblait supporter toutes les épreuves avec beaucoup de courage et de sérénité. Ta sœur et tes nièces étaient également très bien.

J’ai eu, avant mon départ, des nouvelles par Marcelle, via la Thuile.

Au mois d’août, sur l’insistance de Paul et d’Andrée, je suis allé passer deux ou trois jours à Saint-Tropez. Malgré le jugement un peu sévère porté sur eux par nos amis de la Thuile, ils sont restés très bien et ne cessent de penser à vous tous. Ils ont même trop parlé au début (tu connais Paul) ce qui lui a valu quelques ennuis.

J’ai eu l’occasion récemment de voir… notre ami de Saint-Aignan* qui reste… et qui pense gentiment à toi.

Je pense que tu as vu sur toi, le jugement… Lévy et celui de l’auteur de « Cidevant ». Je m’excuse de ne pouvoir donner mon adresse et de demander la discrétion sur ma modeste personne, mais je voyage beaucoup en ce moment et j’ai besoin de calme.

J’ai vu pour Pâques notre ami de la rue de Turenne** plein d’allant et toujours de dévouement. Vu aussi son cousin des Finances*** (??) Parfait.

En France, malgré le spectre du communisme agité savamment par Berlin, Paris et Vichy, on tient et le moral en zone occupée continue à être magnifique.

Nous aurons une belle victoire.

Bien à toi Jean »

*Joseph Paul-Boncour

** Pierre Meunier

***Robert Chambeiron

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