LA MÉDITÉRRANÉE, ESPACE ET ENJEU D’AFFRONTEMENTS

par Jean-Marie Dedeyan

Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

La Méditerranée n’est pas seulement un espace maritime de 2,5 millions de Km2 incluant deux mers intérieures (Adriatique et Egée), séparé de l’Atlantique à l’ouest, par le détroit de Gibraltar, de la mer Noire à l’Est, par le Bosphore (voie d’accès à la mer de Marmara par les Dardanelles), et reliant 21 Etats abritant près de 520 millions d’habitants. Au carrefour de trois continents (Afrique, Asie et Europe), elle est aussi le berceau de grandes civilisations, le théâtre géographique et historique de la vie de peuples et de cités établis au fil des siècles sur ses rivages, une mer « au milieu des terres » propice à la navigation et aux échanges, mais aussi aux rivalités et aux confrontations. L’actualité nous confirme quotidiennement que la Méditerranée et ses rivages demeurent un espace et un enjeu d’affrontements. De nos jours, la mer Méditerranée borde 21 pays sur trois continents. Elle occupe ainsi une position géopolitique essentielle entre l’Europe (12 pays), l’Afrique (5 pays) et l’Asie proche orientale (4 pays).

Une longue histoire

Les grandes civilisations méditerranéennes ont « façonné » une partie du monde actuel :

– Les Phéniciens, dès le XIVe siècle avant JC, ont exploré la mer Méditerranée et développé des comptoirs sur son pourtour,

– Les Grecs ont affirmé leur préséance, mis en place des comptoirs commerciaux et étendu l’usage de leur langue à partir du VIIe siècle avant JC (les Phocéens ont créé Marseille, Rhodes s’est implantée en Sicile, à Corinthe, à Corfou, à Syracuse, etc.). Et c’est entre le VIe et le Ve siècle avant JC que la Grèce a mis en place le premier système démocratique de l’Histoire. A la mort du roi Philippe II, assassiné en 336, son fils Alexandre le Grand est parvenu à vaincre les Perses et à étendre le royaume hellénique jusqu’à l’Asie.

– Les Carthaginois, nés de la colonie de Phéniciens installés à Carthage sur les rivages de Tunisie, ont exploré la côte de l’Afrique du Nord dès le début IXe siècle avant JC puis ont progressivement pris l’ascendant sur les Phéniciens du Levant jusqu’à donner naissance à la civilisation qui a dominé la Méditerranée entre 814 et 146 avant JC

– Les Romains qui, bien avant leur arrivée en Gaule, se sont établis en Asie Mineure (actuelle Turquie, Syrie, Mésopotamie et Palestine-Israël) en 188 avant JC (Traité d’Apamée). Lorsqu’Octave devient Auguste en 27 avant JC, ils sont implantés sur la quasi-totalité du littoral nord, est et sud de la Méditerranée (« mare medi terra », la mer au milieu des terres) y déployant leur administration, leurs méthodes et y menant des opérations de police maritime sur la « Mare Nostrum » qui ont aidé des milliers de navires marchands à naviguer en Méditerranée quasiment à l’abri des pirates,

– Les Byzantins, issus de la division de l’Empire romain en deux par Théodose en 395, qui, après la chute de Rome en 476, ont fait de Constantinople la capitale de leur empire. Celui-ci devient le centre des échanges de toute la Méditerranée orientale. Il va durer jusqu’au XVe siècle ; mais il doit faire face à l’invasion de l’Islam, né dans l’ouest de l’Arabie au VIIe siècle et dont Mahomet est le chef politique et religieux.

-Les Musulmans occupent la Syrie en 637, l’Egypte en 640, Chypre en 649, Carthage en 698. Puis l’Islam, qui est apparu en 622, s’étend à l’ouest vers la Cyrénaïque, la Tripolitaine, bientôt le Maghreb, et, enfin, l’Espagne où un émirat omeyyade relevant des califes de Damas est instauré en 711. Plusieurs dynasties se succèdent à la tête de l’empire musulman, les Omeyyades puis les Abbassides, jusqu’à son éclatement en différents états.   Et dans les territoires qu’ils occupent continuent à vivre d’importantes communautés juives et chrétiennes qui sont à la fois protégées et discriminées

Cependant, les Byzantins conservent la maîtrise de la Méditerranée orientale alors que l’empire arabe, « partagé entre de multiples capitales, religieuses (La Mecque, Jérusalem), militaires (Koufra, Kairouan), administratives ou résidentielles (Damas, Bagdad, Fès) et culturelles (Cordoue) », n’est pas aisément gouvernable et connait des révolutions de palais.

Trois zones d’influence

Trois zones d’influence se partagent dès lors l’espace méditerranéen : l’Islam, la chrétienté grecque et la chrétienté latine et, jusqu’au XVe siècle, la Méditerranée constitue une zone d’échanges commerciaux, intellectuels, artistiques et culturels encouragés par le développement des activités des marchands venant principalement d’Italie (Amalfi, Gênes, Pise, Venise…) et une certaine tradition de tolérance entre les populations natives

La lutte pour la succession de Mahomet va entrainer la division des musulmans entre Sunnites (dont le « Calife » peut être élu ou issu de la dynastie qui s’impose au pouvoir) et Chiites (qui veulent que, Mahomet n’ayant pas eu de fils, le pouvoir revienne aux descendants de son cousin et gendre, Ali). Plusieurs califats indépendants, chacun dirigé par des dynasties rivales vont alors exister dans la vaste région. Les califes partisans d’Ali sont qualifiés de Chiites ; Les partisans de Mahomet, Omeyyades puis Abbassides, sont Sunnites.

A partir du IXe siècle, des nomades turcs issus de la steppe asiatique et commandés par le petit-fils d’un chef Kirghize nommé Seldjouk (d’où leur appellation de seldjoukides) commencent à contester la domination des arabes sur le monde musulman.

Ces Turcs Seldjoukides parviennent à conquérir Bagdad, ne laissent au Calife arabe que des pouvoirs religieux, puis s’emparent de l’Arménie, chrétienne depuis le début du IIIe siècle, tandis que sur des terres enlevées aux Grecs un autre chef de tribu prénommé Osman ou Othman (d’où l’appellation d’Ottomans portés par ses combattants) instaure le sultanat de Roum, fondé aux dépens de l’empire romain d’orient.

Conscients de la menace qui pèse sur leur empire, les Byzantins ne tardent pas à appeler à l’aide les chrétiens d’Europe.

Les Croisades

De 1095 à 1270, huit croisades sont organisées par des monarques et de grands féodaux européens pour libérer la Terre Sainte. La première est ordonnée par le Pape Urbain II pour aider les Byzantins contre les musulmans et libérer le tombeau du Christ (1099) dans la zone musulmane, à Jérusalem où le calife Al-Hakim a fait raser les églises (1009) puis a interdit aux pèlerins chrétiens de venir dans la ville (1078). Estimant que pour garder Jérusalem il faut y demeurer, les chevaliers victorieux créent, alors, les états francs d’Orient [1].

Les deuxième et troisième croisades aboutissent, au XIIe siècle, à un échec des croisés. Les musulmans, sous la houlette de Saladin, sultan d’Egypte, remportent des victoires et récupèrent Jérusalem.

Les expéditions militaires successives ne remportent pas de succès durables et font naître un esprit de revanche. Elles contribuent, toutefois, à susciter la reconquête de l’Espagne par les états chrétiens du nord de la péninsule, à renforcer la puissance de Venise et de Gènes et à affaiblir l’Empire Byzantin dont la capitale Constantinople, ville chrétienne, est prise par d’autres chrétiens en 1204 lors de la quatrième croisade. Un quart de la ville est alors donné au nouvel empereur, Baudouin de Flandre. Le reste est réparti entre les chefs de la croisade et les Vénitiens. La rupture est, alors, définitive entre l’Eglise Catholique et les Orthodoxes.

Les Ottomans ne vont pas manquer d’en tirer parti et, le 29 mai 1453, menés par Mehmet II, s’emparent de la ville, cœur économique et politique de l’empire Byzantin, en se livrant à des

massacres, au pillage des édifices religieux et culturels, à des incendies de biens immobiliers et à d’innombrables mises en vente de captifs et captives réduits en esclavage.

Sous le règne de Soliman le Magnifique (1520-1566) les Ottomans vont ensuite s’emparer de plusieurs iles et territoires méditerranéens : Rhodes, Chio, Chypre, Alger, Tripoli, Tunis… avant de devoir affronter une coalition européenne (La Sainte Ligue) menée par Charles Quint. Mais à la fin du XVIe siècle les deux tiers des côtes méditerranéennes, de l’Albanie à l’Algérie sont sous contrôle ottoman.

Vaincues sur mer lors de la célèbre bataille de Lépante (1571), les forces ottomanes profitent des divisions politiques de la sphère européenne pour s’avancer sur son sol. Elles parviennent à Presbourg (1661) puis menacent Vienne.

Mais une nouvelle coalition européenne est alors constituée depuis l’Autriche et les troupes impériales, conduites par Charles V de Lorraine, réussissent, avec l’appui de l’armée polonaise, à battre les Ottomans le 12 septembre 1683 puis à s’emparer des forteresses ennemies barrant la vallée du Danube, mettant fin à la domination ottomane en Europe et sur la Méditerranée. Ces victoires et celles qui les ont suivies ont, à l’époque, joué un rôle important dans l’accession de l’Autriche au rang de grande puissance européenne.

Un souffle nouveau

Les progrès de la navigation ont permis, à la même époque, l’affrètement de bateaux de plus grande capacité et le développement de la navigation océanique. Les échanges des pays européens avec d’autres pays du monde, qui s’effectuaient essentiellement par les ports des rives de la Méditerranée jusqu’à la prise de Constantinople, ont nécessité la recherche d’autres voies pour l’acheminement des produits et des épices d’Asie.

Les Portugais, de leur côté, concurrents de Venise et de Gènes, ont, pour éviter les ports musulmans, cherché d’autres itinéraires maritimes afin d’organiser leurs échanges commerciaux en contournant l’Afrique par l’océan Atlantique et l’océan Indien.

Dans le même temps, après sa découverte (en 1492) par Christophe Colomb, le continent américain a suscité l’intérêt des pays européens dont les envoyés ont commencé à réaliser l’exploration, puis la conquête et l’exploitation. Les nouvelles grandes puissances se trouvent dès lors sur la façade atlantique de l’Europe.

Au XIXe siècle, alors que la France vient de coloniser l’Afrique du Nord, le commerce maritime dans l’espace méditerranéen retrouve un souffle nouveau grâce au percement du canal de Suez (193 Km), imaginé par Ferdinand de Lesseps et inauguré le 17 novembre 1869 après dix ans de travaux. Cette voie d’eau, extraordinaire à l’époque, permet aux navires d’accéder directement à l’océan Indien en évitant le long contournement de l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance et sans rupture de charge entre la Méditerranée et la mer Rouge. L’Egypte, qui perçoit des taxes de transit au passage des navires empruntant le canal bénéficie de cette nouvelle ressource.

A la suite de la première guerre mondiale, le canal est placé sous la protection militaire de la Grande Bretagne qui, jusqu’à leurs indépendances, a disposé ainsi d’une voie d’accès plus rapide à plusieurs de ses possessions, notamment Aden, le Somaliland, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, Mascate, Oman, le Qatar, les Seychelles, l’Ile Maurice, l’Inde, le Pakistan, la Birmanie, Ceylan, la Malaisie et Singapour, tout en s’assurant l’accès au pétrole de la péninsule arabique par des mandats sur la Palestine, la Transjordanie et l’Irak.

Les guerres mondiales en Méditerranée

Lors de la guerre de1914-1918, deux alliances militaires s’affrontent : la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie) et la Triple Entente (France, Grande-Bretagne, Empire Russe). Il ne faut cependant pas oublier que la Turquie ottomane a rejoint la Triple Alliance dès 1914, suivie par la Bulgarie en 1915.

De son côté, l’Italie a finalement rejoint la Triple Entente en 1915, suivie par la Grèce, la Roumanie, le Japon et la Chine. Menacés par l’Allemagne qui attaquait leurs navires neutres, les Etats-Unis sont venus soutenir la France et ses alliés à partir du 2 avril 1917. La guerre est alors devenue mondiale.

Sortie très affaiblie du conflit, l’Europe, contrainte de reconstruire ses infrastructures détruites, de relancer ses productions et son commerce tout en dénombrant des millions de morts et d’invalides, se retrouve affaiblie sur la scène internationale.

Le traité de Versailles signé le 28 juin 1919 rend l’Allemagne responsable de la Guerre. L’empire Austro-hongrois est démantelé, les royaumes des Balkans se réunissent pour former la Yougoslavie, l’empire Ottoman disparait, donnant naissance à la Turquie et à des pays du Proche et du Moyen Orient placés sous mandats français et britanniques.

De son côté, après la révolution bolchévique d’octobre 1917, l’empire Russe fait place à l’URSS (30 décembre 1922), tandis que l’Ukraine, la Biélorussie, les pays Baltes, la Finlande et la Pologne deviennent indépendants.

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, des opérations et des combats historiques se déroulent de 1940 à 1945 en Afrique du Nord, au Proche-Orient, dans le bassin Méditerranéen où les flottes s’affrontent, et dans les pays d’Europe du Sud occupés par les forces de l’Axe en 1940.

La décolonisation

Après la guerre, lors de la création de l’Organisation des Nations Unis en 1945, près du tiers de la population mondiale vit dans des territoires dépendant de puissances coloniales.

Dans les années qui vont suivre la capitulation de l’Allemagne nazie mettant fin au conflit armé en Europe, l’ONU encourage les mouvements souverainistes en proclamant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Membres de l’ONU, les puissances coloniales reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants des différents territoires qu’elles administrent et ceux-ci vont progressivement accéder à l’indépendance.

La Constitution de 1946 donne, ainsi, naissance à l’Union française, formée par la République française (France métropolitaine, DOM-TOM et Algérie), des Etats associés et des Territoires associés. La Tunisie et le Maroc refusent d’y adhérer et deviennent indépendants en 1956. Deux ans plus tard, au retour au pouvoir du Général de Gaulle, la Constitution de la Ve République (4 octobre 1958) instaure la Communauté française et, à partir de 1960, ses Etats membres accèdent successivement à l’indépendance.

Pendant la guerre froide, la Méditerranée va être l’un des espaces d’affrontement entre l’URSS et les Etats-Unis sans que les pays européens puissent véritablement en influencer le cours.

La Méditerranée : 21 pays souverains et 6 territoires

De nos jours, la mer Méditerranée borde 21 pays sur trois continents. Elle occupe ainsi une position géopolitique essentielle entre l’Europe (12 pays), l’Afrique (5 pays) et l’Asie proche orientale (4 pays). 

PAYS                                POPULATION                      SUPERFICIE                      CAPITALE

AFRIQUE

Algérie                                 44 903 000 h                     2 381 740 Km2                        Alger

Egypte                               110 990 000 h                        995 450 Km2                        Le Caire

Libye                                      6 812 000 h                     1 759 540 Km2                       Tripoli

Maroc                                   37 458 000 h                       446 300 Km2                        Rabat

Tunisie                                 12 356 000 h                       155 360 Km2                        Tunis

ASIE

Israel                                       9 038 000 h                         21 710 Km2                       Jerusalem

Liban                                       5 490 000 h                         10 230 Km2                       Beyrouth

Syrie                                      20 400 000 h                       185 181 Km2                       Damas

Turquie                                  85 341 000 h                       769 630 Km2                       Ankara

EUROPE

Albanie                                   2 275 000 h                         27 400 Km2                        Tirana

Bosnie-Herzégovine               3 234 000 h                         51 200 Km2                        Sarajevo

Croatie                                    4 030 000 h                         55 920 Km2                        Zagreb

Chypre                                    1 243 000 h                           9 240 Km2                        Nicosie

Espagne                                47 559 000 h                       499 440 Km2                        Madrid

France                                   67 106 000 h                       551 695 Km2                        Paris

Grèce                                    10 385 000 h                       128 900 Km2                        Athênes

Italie                                       59 037 000 h                      294 110 Km2                        Rome

Malte                                           533 000 h                             320 Km2                        La Valette

Monaco                                         36 000 h                                2 Km2                         Monaco

Monténégro                                 627 000 h                       13 812 Km2                        Podgorica

Slovénie                                   2 120 000 h                        20 120 Km2                        Ljubljana

TERRITOIRES À STATUTS SPÉCIFIQUES

Différents territoires dotés de statuts particuliers ont également des façades méditerranéennes :

  • Gibraltar, territoire britannique de 6,8 Km2 situé sur la péninsule ibérique (36 900h).
  • Ceuta (20 Km2, 20 000h) et Melilla (12,5 Km2, 80 000 h), villes espagnoles autonomes situées sur la côte d’Afrique du Nord.
  • Le Mont Athos en Grèce (République monastique qui réunit une vingtaine de monastères et leurs dépendances, placée sous juridiction conjointe du patriarcat œcuménique de Constantinople et du ministère des affaires étrangères grec).
  • Les bases britanniques d’Akrotiri et Dhekelia, à Chypre (ces bases militaires souveraines sous contrôle du Royaume Uni, sont situées au sud de l’ile près de Limassol et près de Larnaka)
  • La bande de Gaza (360 Km2 et 2 166 000 h), sous contrôle du Hamas, est revendiquée par la Palestine, ancienne Cisjordanie (5 655 Km2 et 5 250 000 h), qui est gouvernée par l’Autorité palestinienne. Reconnue par 135 états, la Palestine bénéficie du statut d’« Etat observateur non-membre des Nations Unies ».

Au fil des années, la mer Méditerranée est devenue, grâce au Canal de Suez, l’une des principales voies de navigation commerciale de la planète avec des flux de cargos, de porte-containers et de pétroliers qui alimentent non seulement ses ports mais aussi ceux de l’océan Atlantique, de la Manche et de la Mer du Nord.

L’espace maritime méditerranéen est donc à la fois un couloir de circulation mondiale jalonné de points chauds, mais aussi une voie indispensable d’approvisionnement énergétique et d’échanges d’informations grâce au réseau dense et vulnérable de câbles sous-marins de communication qui y véhiculent une part très importante des flux internationaux de données échangées à l’échelle mondiale.

Un creuset qui chauffe

Au cours des cinquante dernières années, la température du creuset méditerranéen n’a guère cessé de monter : conflit israélo-arabe, durcissement de l’Iran des ayatollahs, ambition du président Erdogan de reconstituer l’empire ottoman et manœuvres turques pour accaparer des gisements d’hydrocarbures dans les ZEE grecque et libyenne [2] ou tenter de profiter du potentiel de gisements prometteurs dans les eaux chypriotes en Méditerranée orientale [3], guerre civile dans différentes régions syriennes, tensions en Egypte, crise économique et institutionnelle au Liban [4] (au large duquel des études sismiques suggèrent la présence d’hydrocarbures dans une zone contestée en partie par Israël), poussée démographique en Afrique du nord [5], armement de l’Algérie (dont le durcissement politique sinueux inquiète les Algériens eux-mêmes et qui dispose de sous-marins opérationnels fournis par la Russie et de missiles de croisière d’une portée de 1000Km), guerre civile en Libye[6] où le gouvernement d’Ankara, déjà engagé contre les Kurdes en Syrie [7], a envoyé plus de 3000 supplétifs syriens et 200 instructeurs de l’armée turque (Leur présence en Libye peut aboutir à des pressions turques sur le gouvernement de Tripoli pour la gestion des migrations vers l’Europe), contrecoups des printemps arabes contestant la gestion autoritaire de différents gouvernements en place, évolution répressive et fiasco parlementaire en Tunisie (où près de 90% des électeurs ne sont pas allés voter lors des élections législatives de janvier 2023), stagnation/régression économique en Afrique du Nord, fragilisation des populations, influence des formations islamistes, présence accrue du risque djihadiste, vulnérabilité des réseaux de transport d’hydrocarbures et de câbles de communication sous-marins,  développement de courants migratoires [8], chantage aux migrants, développement du trafic de stupéfiants par le détroit de Gibraltar et la mer d’Alboran [9], pollutions multiples et dégradation de l’environnement, etc.

Quatre grands défis

Les enjeux actuels de l’espace méditerranéen conduisent ses riverains à répondre à quatre grands défis : environnemental, migratoire, énergétique et géopolitique.

– Le défi de l’environnement et du dérèglement climatique

Dotée de très beaux paysages le bassin méditerranéen est l’une des régions les plus exposées au dérèglement climatique et aux risques sismiques. Des mouvements tectoniques majeurs ont, à l’origine, façonné le tracé plus ou moins rectiligne de ses côtes africaines et les avancées montagneuses qui caractérisent sa bordure septentrionale, dotée de trois péninsules (ibérique, italienne et balkanique) qui s’avancent vers le sud en leur allouant des domaines maritimes et des ZEE plus étendus que ceux des états du sud.

Ses écosystèmes sont fragiles et donc vulnérables. Canicules, sécheresse, incendies de forêts, montées des eaux, inondations, pollutions, séismes [10] s’y succèdent. Différentes essences d’arbres, des espèces animales et végétales subissent les effets de ces phénomènes. La production agricole (olivier, vigne, fruits secs…), les pratiques d’élevage et la transhumance sont affectées par l’élévation des températures.

En outre, les ressources en eau des pays méditerranéens sont inégalement réparties, rendues plus fragiles par un accroissement démographique conséquent, à l’origine d’une urbanisation incontrôlée et d’une vaste littoralisation [11] génératrice de pollutions tant autour des zones urbanisées que dans le milieu marin.

Or les océans jouent un rôle essentiel dans la régulation climatique. Ils absorbent une forte proportion de chaleur liée au réchauffement et plus de 20% des émissions de CO2 d’origine humaine. Les dérèglements actuels ont pour conséquence, outre l’augmentation de la température, l’appauvrissement des sols, l’élévation du niveau de la mer et l’acidification des eaux, une modification des courants marins, une diminution de certaines espèces de poissons, le déplacement d’autres espèces vers des zones moins exposées et des effets préoccupants sur la biodiversité [12]

En février 2022, les maires de 25 des plus grandes villes du pourtour méditerranéen ont collectivement réclamé l’instauration d’une zone de réglementation des émissions de polluants atmosphériques pour « lutter contre la pollution de l’air des navires et réduire les pluies acides qui s’abattent sur notre mer et notre littoral ».

Les dangers concernent, en fait, à la fois l’air, l’eau, la biodiversité des sols, les forêts, la santé et la qualité de vie des populations. Selon Guillaume Sainteny, président du plan bleu des Nations Unies, « la préservation de l’espace maritime et de ses beaux paysages confrontés aux effets du changement climatique nécessite un changement des comportements et une gouvernance plus respectueuse de l’Homme et de la nature ».

– Le défi migratoire

Dès l’antiquité, le bassin méditerranéen a connu des mouvements de population. Les conflits successifs, les colonisations, l’accroissement démographique, les flux économiques et commerciaux ont incité les populations sans emploi ou opprimées à quitter leur terre natale pour rechercher un nouveau mode de vie.

Au cours du XXe siècle, l’accentuation de la fracture entre le littoral nord, plus prospère, et le littoral du sud et de l’est, au développement plus lent, a conduit les pays d’Europe occidentale à rechercher une main d’œuvre moins coûteuse pour effectuer certaines tâches que leurs habitants ne souhaitaient plus accomplir. De nombreux travailleurs venus du Maghreb ont, ainsi, été engagés en Espagne dans les exploitations agricoles, en France, en Italie et en Belgique dans le bâtiment, la restauration, la construction automobile, des travailleurs venus de Turquie se sont installés en Allemagne, d’autres, venus d’Albanie ont été accueillis en Grèce, etc.

De nos jours, cette migration de travail légale est à la fois réglementée et tend à être freinée. Il faut, en outre, la distinguer des migrations de transit, des séjours touristiques (moins de 90 jours) et des séjours de 90 jours à un an (effectués, par exemple, par des étudiants).

En fait, sur 68 millions d’habitants, la population de la France compte actuellement 7 millions d’immigrés régulièrement enregistrés (10,3%) dont 2,5 millions ont acquis la nationalité française depuis leur arrivée dans notre pays et 4,5 millions sont d’une autre nationalité.

Selon une étude de l’INSEE publiée en 2021, 47,5% des immigrés vivant sur le territoire français sont nés en Afrique, 33,1% sont nés en Europe. Leurs pays de naissance les plus fréquents sont l’Algérie (12,7%), le Maroc (12%), le Portugal (8,6%), la Tunisie (4,5%), l’Italie (4,1%), la Turquie (3,6%) et l’Espagne (3,5%). La moitié des immigrés est originaire de l’un de ces sept pays. L’ensemble de la population de nationalité étrangère vivant en France représente 7,7% de la population de notre pays, contre 6,5% en 1975 et 4,4% en 1946.

Jusqu’au milieu des années 1970, les flux d’immigration étaient majoritairement masculins, comblant les besoins de main d’œuvre nés de la reconstruction d’après-guerre, puis ceux de la période des Trente Glorieuses. A partir de 1974 l’immigration de travail a été freinée et l’immigration familiale a commencé à augmenter. En 2021, 52% des immigrés étaient des femmes, contre 44% en 1975 et 45% en 1946.

En 2022, le ministère de l’Intérieur a délivré un total de 320 330 premiers titres de séjour, dont 108 340 à des étudiants étrangers. 65 833 Ukrainiens ont bénéficié d’une autorisation provisoire de séjour et 19 819 étrangers en situation irrégulière ont dû quitter le territoire français (+ 14,9% par rapport à l’année précédente).

Toujours en 2022, les Guichets Uniques de Demande d’Asile (GUDA) ont reçu 156 103 demandes d’asile, dont une grande partie provenant d’Afghanistan, du Bengladesh, de Turquie, de Géorgie et de République Démocratique du Congo. Cette augmentation a été également constatée dans d’autres pays de l’Union Européenne où 900 000 demandes d’asile ont été enregistrées de janvier 2022 à fin novembre 2022 (contre 587 000 en 2021).

De leur côté, l’Office Français des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et la Cour Nationale de Droit d’Asile (CNDA) ont prononcé 56 179 décisions accordant un statut de protection soit une légère augmentation de 3,3% par rapport à 2021.

Par ailleurs, les éloignements d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire français se sont élevés à 15 400 en 2022, sans doute freinés par les effets du Covid 19 sur les transports aériens et la réglementation sanitaire, alors qu’ils atteignaient 23 700 en 2019. Dans le même temps, les préfectures ont notifié 152 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF).

Mais, à l’évidence, depuis une vingtaine d’années, des milliers de migrants traversent la Méditerranée souvent au péril de leur vie pour fuir la pauvreté, les répressions politiques ou les menaces terroristes.

Selon le HCR, la guerre civile qui a sévi en Syrie à partir de 2011 à la suite du Printemps arabe a, ainsi, entrainé un exode massif vers les pays voisins : Turquie (3 millions de réfugiés), Liban (I million), Jordanie (600 000). Selon Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union Européenne dont le siège est à Varsovie) un tiers des migrants cherchant à traverser la Méditerranée en 2015 étaient Syriens. Les deux autres tiers venaient de zones de guerre (Afghanistan, Soudan) ou de pays pauvres d’Afrique subsaharienne.

En 2023, alors que le pacte européen pour la migration et l’asile n’est toujours pas au point, Frontex fait état d’une forte augmentation des arrivées irrégulières au cours des douze mois de 2022 (64% par rapport aux chiffres de 2021), les Balkans et la Méditerranée centrale étant davantage utilisées par les migrants.

Des réseaux de passeurs sont à l’œuvre et les médias relatent régulièrement les épreuves endurées par les réfugiés tout au long de leur parcours jusqu’à l’espace Schengen créé par 22 états membres de l’Union Européenne et 4 états qui n’en font pas partie (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse), à l’intérieur duquel ils peuvent plus aisément rejoindre la destination d’accueil où ils espèrent organiser leur nouvelle vie.

En 2022, l’Union Européenne stricto sensu a enregistré 176 579 arrivées irrégulières que l’on peut répartir en trois routes migratoires : la route centrale (102 529 arrivées), la route orientale (42831) et la route occidentale (31219 provenant des côtes de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Ouest). Mais il ne faut cependant pas oublier que l’Union subventionne largement le maintien de dizaine de milliers de migrants en Turquie dont le Président n’hésite pas à laisser entrevoir l’ouverture des camps d’hébergement si ses revendications n’ont pas de résultat suffisamment tangible.

Or certaines des zones affectées par le récent séisme survenu en Turquie et Syrie sont, sur le territoire syrien, sous contrôle de rebelles (djihadistes, mercenaires turcs ou militants kurdes dans le Nord-Est du pays). Et depuis la défaite de l’Etat islamique en 2019, la coalition anti-jihadiste internationale pilotée par les Américains continue à mener des opérations dans le nord-est de la Syrie, principalement avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) où les Kurdes occupent une place importante et de nombreux combattants islamistes se sont mis à l’abri dans le désert, à l’est du pays.

Le retour dans différents pays de l’Union Européenne de dizaines de djihadistes européens partis combattre dans la région il y a quelques années et auxquels, lors du dernier séisme,  l’effondrement de plusieurs bâtiments de détention a redonné une certaine liberté pourrait donc faire courir à l’Europe un risque accru d’actes terroristes.

Les spécialistes observent que si le nombre de migrants clandestins en Europe a atteint un pic en 2015 avec plus d’un million d’arrivées par mer, il a diminué les années suivantes avec les mesures mises en œuvre au niveau de l’Union Européenne et des Etats membres , notamment le renforcement des opérations de surveillance et de sauvetage en mer (Frontex, Mare Nostrum, Triton, Sophia), l’adoption en 2020 d’un protocole sur la migration et l’asile visant à réformer le système européen d’asile et à renforcer la solidarité entre les Etats membres, la mise en œuvre de mesures de soutien aux pays tiers d’origine et de transit des migrants, etc.

La migration clandestine continue cependant à susciter des problèmes pour les pays riverains de la Méditerranée : contrôle des frontières, accueil et intégration des demandeurs d’asile et des réfugiés, coopération régionale et internationale, lutte contre les réseaux de passeurs et les trafics illicites…

– Le défi des énergies

Moteur de l’économie mondiale, l’énergie est un enjeu essentiel. Si les énergies fossiles sont indispensables au confort de vie et à l’activité économique, les besoins énergétiques de l’humanité ne cessent d’augmenter alors que ces énergies ne sont pas inépuisables, dégradent l’environnement et entrainent le réchauffement climatique de notre planète.

Si l’objectif d’un développement durable visant à laisser un environnement stable, sain et paisible aux futures générations constitue un enjeu socio-économique et un défi technologique, les efforts pour l’atteindre ont à peine commencé et les énergies fossiles (pétrole, gaz, uranium pour le nucléaire) ont encore des perspectives d’utilisation nécessitant la poursuite des efforts de production et d’exploration.

La Méditerranée est une voie d’accès essentielle aux principales réserves mondiales d’hydrocarbures du Moyen Orient et du Golfe persique, ainsi qu’aux importantes réserves de gaz de l’Algérie. La Turquie, par laquelle transitent des hydrocarbures provenant de Russie et d’Azerbaïdjan, s’efforce d’y devenir un intermédiaire indispensable pour le marché européen.

De surcroit, les explorations d’hydrocarbures effectuées ces dernières années dans les ZEE des pays riverains des côtes africaines (Egypte, Libye, Algérie) et orientales (Chypre, Israël, Palestine, Liban, Syrie) de la Méditerranée ont révélé la présence de gisements offshore de pétrole et/ou de gaz naturel.

Leurs perspectives d’exploitation sont prometteuses mais, déjà, sources de contestations, de revendications et donc de tensions dont les effets peuvent modifier l’équilibre géopolitique de l’ensemble de l’espace méditerranéen.

Si l’Algérie est encore l’un des principaux producteurs d’hydrocarbures (elle est le premier exportateur africain de gaz naturel avec plus de 41 milliards de m3 en 2020 et ses réserves pétrolières sont estimées à 12 milliards de barils), la Libye possède d’importantes réserves de pétrole (48,4 milliards de barils), l’Egypte, confrontée à une sévère crise économique et à des difficultés de financement, possède la troisième plus grande réserve de gaz naturel d’Afrique derrière le Nigéria et l’Algérie. Mais les capacités de production souffrent des rivalités tribales et des tentatives d’intrusion djihadiste.

Dans la partie orientale du bassin méditerranéen, la récente découverte de gisements en eau profonde, à proximité des côtes du Liban et d’Israël, est en train de donner naissance à un nouveau pôle énergétique dont les réserves sont estimées à 1,7 milliard de barils de pétrole et à 3450 milliards de mètres cubes de gaz naturel.

Israël a commencé à exploiter les deux champs de Tamar et Léviathan, et a conclu en 2019 avec l’Egypte un accord pour la construction d’un gazoduc acheminant le gaz de ce site vers les infrastructures égyptiennes.

L’Etat hébreu a ensuite conclu, en 2020, un accord sur le projet de gazoduc East Med. Celui-ci est destiné à acheminer vers l’Europe du Sud, à partir de 2025, entre 9 et 11 milliards de mètres cubes de gaz chypriote et israélien via la Grèce et l’Italie. Mais la situation intérieure et les violences de plus en plus fréquentes en Cisjordanie occupée peuvent en perturber les délais et les modalités de réalisation.

Pour leur part, Chypre prépare les infrastructures d’exportation de gaz du gisement Aphrodite, le Liban vient d’aboutir à un accord sur le périmètre d’exploitation d’un permis contesté par Israël et la Syrie, qui dispose d’importantes réserves pétrolières, a confié depuis dix ans à une entreprise russe l’exploration gazière et pétrolière de sa ZEE durant 25 ans.

De son côté, la Turquie a entrepris des forages d’exploration au large de l’île grecque de Kastellorizo, au sud-est de la mer Egée et envoie des équipes de forage dans la ZEE de Chypre, au mépris des règles de droit international et en faisant accompagner le navire de recherche d’hydrocarbures par des bâtiments de ses forces navales.

Soucieux d’organiser la coopération contre les différentes manœuvres de la Turquie, six pays (Egypte, Chypre, Grèce, Israël, Jordanie, Italie et Autorité palestinienne) ont créé, en janvier 2019, le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, dont le siège est au Caire. Ils ont été rejoints en mars 2021 par la France et, en observateur, par les Etats-Unis.

– Le défi géopolitique

Aujourd’hui, à l’ère de l’émergence de l’Afrique, la Méditerranée demeure l’un des centres de l’histoire du monde. L’espace méditerranéen abrite 25% du trafic maritime mondial, 30% du transport pétrolier et les deux tiers des flux énergétiques desservant l’Union Européenne. Ses fonds marins accueillent des réseaux de ravitaillement énergétique et de très nombreuses lignes immergées de télécommunications assurant l’acheminement de milliards de données numériques et d’innombrables flux d’échanges d’informations. Pour sa part, le Canal de Suez, nationalisé le 26 juillet 1956 par Gamal Abdel Nasser, a été emprunté par 25 000 navires en 2022, ce qui représente 10% du transport mondial de marchandises

En outre, depuis la fin du XIXe siècle, plusieurs des rivages méditerranéens sont devenus un lieu de tourisme à l’ensoleillement attractif : la côte d’azur, la riviera italienne, les îles Baléares, les îles grecques, la Tunisie, le Maroc, et, jusqu’aux crises qui s’y sont succédé depuis 1975, le Liban (considéré à l’époque comme la Suisse du Moyen-Orient).

La mer Méditerranée est aussi le deuxième bassin mondial de croisières, après les Caraïbes et les compagnies maritimes spécialisées en organisent chaque années un grand nombre sur des paquebots pouvant accueillir jusqu’à 4000 passagers, ce qui génère d’importants flux de passagers et de devises.

L’objectif doit donc être d’y maintenir la paix et la stabilité en dépit des rivalités et des tensions. Cela nécessite un effort de compréhension pour les différents peuples, un effort de participation à leur développement et une capacité militaire pour montrer notre puissance et notre détermination à protéger nos intérêts tout en servant la paix et la justice dans un espace où s’établit la frontière sud de l’Europe et dont la stabilité et l’équilibre face à la progression des extrémismes constituent aujourd’hui encore un véritable défi.

Des mécontentements et des ambitions qui s’opposent

Si la fin de la guerre froide après la chute du mur de Berlin et l’effacement de l’URSS a pu, un moment, adoucir la confrontation Est-Ouest, il faut considérer qu’aujourd’hui la Méditerranée, traversée par l’ancienne ligne de confrontation historique entre la chrétienté et l’Islam, est redevenue une région d’intérêt stratégique où s’opposent différentes ambitions.

À côté de l’Europe de l’Est, redevenue zone de tensions préoccupantes, elle est aussi un enjeu essentiel pour l’ordre international [13] et les nouvelles alliances qui voient le jour. Et sur certains de ses rivages, la liberté et la dignité humaine y sont soumises à rude épreuve.

Dans les Balkans, le Président de la République, lors d’un sommet international organisé en avril 2019 à Berlin, à son initiative et à celle de la Chancelière Allemande Angela Merkel, a souhaité que la France se dote d’une véritable stratégie pour les Balkans et œuvre pour la stabilité des six pays des Balkans occidentaux qui ne sont pas membres de l’Union Européenne.

Située entre l’Europe centrale et la Grèce, proche de l’Italie et de la Hongrie qui entretiennent des relations intéressées avec leurs voisins et souhaitent un élargissement de l’Union Européenne, jadis convoitée par les Ottomans, zone tampon historique entre l’Empire Ottoman et les empires d’Europe centrale (notamment l’Autriche-Hongrie), la région des Balkans est aujourd’hui à la fois une voie d’entrée en Europe pour les migrants, une voie d’accès à la mer Méditerranée pour les puissances du continent et une zone de conflits culturels et religieux entre populations d’ethnies différentes, auxquelles sont venues s’ajouter au fil des siècles des slaves et des migrants d’origine turco-mongole.

Si la Slovénie a adhéré à l’Union en 2004 et la Croatie en 2013, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie n’en sont pas membres et de nombreuses réformes doivent encore y être mises en œuvre pour stabiliser la région, soutenir son développement économique et social, lutter contre les trafics illicites et pour y renforcer l’état de droit et la sécurité.

Dans cette Europe centrale où subsistent des spécificités ethniques, les stratégies d’influence sont indispensables pour assurer les équilibres et contenir l’empreinte historique de la Russie et de la Turquie dans une région fragmentée depuis la dislocation de l’ex Yougoslavie à partir de 1991.

En Turquie, qui célèbrera en octobre prochain le centième anniversaire de la fondation de la République par Mustafa Kemal, les conséquences du dramatique séisme survenu cet hiver (50 000 morts) ont mis en évidence de nombreuses défaillances, des manquements au code de l’urbanisme et des corruptions que l’opposition n’a pas manqué de dénoncer. Le président Erdogan, arrivé au pouvoir en 1999 à la suite d’un précédent séisme dont la gestion contestée avait causé la défaite du gouvernement de Bulent Ecevit aux législatives suivantes, fait actuellement très activement campagne [14].

Il s’efforce de conserver les suffrages d’une majorité des 64 millions d’électeurs turcs face à une coalition de formations politiques allant de la droite nationaliste à la gauche démocrate (dominée par le CHP social-démocrate fondé par Mustafa Kemal Ataturk), menée par son rival Kemal Kiliçdaroglu et face aux maires d’Ankara et d’Istanbul, vainqueurs des municipales de 2019, qui réclament tous un changement de régime.

Or, l’attitude actuelle de la Turquie interroge. Sortie de sa neutralité dans la foulée des printemps arabes le régime turc tente de faire le pont entre l’Orient et l’Occident tout en étant membre de l’Otan [15]. Mais les opportunismes successifs de son président en perturbent les plans.

Le gouvernement turc veut, ainsi, parvenir à un  compromis accordant à la Turquie le bénéfice d’une zone économique exclusive plus étendue en Méditerranée orientale tout en mettant en avant la capacité du pays à assurer un accès à la Méditerranée aux Etats membres de l’organisation des Etats turciques : Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Turkménistan, rejoints en 2018 (comme pays observateur) par la Hongrie dont le Premier ministre Victor Orban affirme la descendance d’Attila et donc l’origine hunnique du peuple Hongrois, manifestant ainsi l’intérêt de la Hongrie pour l’Asie centrale.

De nombreux experts de la région estiment, de leur côté, que le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie s’inscrit, en fait, dans le projet du chef de l’Etat turc de réunir les populations turcophones d’Asie centrale tandis que le déploiement de bâtiments de la marine turque en méditerranée orientale peut, s’il persiste, susciter de nouvelles dissensions, voire une demande de révision par la Turquie, au détriment de ses voisins, des frontières établies à Lausanne en 1923 pour mettre fin à l’empire ottoman.

Les empires n’ont pas de frontières. Ils n’ont que des « marches ». L’intérêt des démocraties est donc de les contenir dans des frontières légitimes.

En Syrie, le régime en place depuis 1973 à Damas s’attache à maintenir son emprise autoritaire sur le pays et veille à entretenir ses alliances extérieures. Douze ans après son exclusion de la Ligue arabe [16], des discussions ont, ainsi, eu lieu en avril dernier en Arabie Saoudite avec les ministres des affaires étrangères de 9 des 22 états membres de la Ligue pour envisager une réintégration de la Syrie dans l’organisation. Et au début du mois de mai le président iranien Ebrahim Raïssi s’est rendu en Syrie pour une visite d’Etat à l’invitation de son homologue syrien Bachar el-Assad.

Au Liban, les crises qui se succèdent depuis plusieurs années ont provoqué l’effondrement du pays. La gravité du désastre économique, social et financier a été amplifiée par l’explosion dramatique survenue le 4 août 2020 dans les installations du port de Beyrouth. La population libanaise, qui souffre de la chute vertigineuse de son pouvoir d’achat, déplore l’incapacité des dirigeants à mettre en œuvre un programme sérieux de redressement, alors que le mandat du Président Aoun est achevé depuis le 31 octobre 2022 et que nul ne sait quand les responsables politiques parviendront à s’entendre sur le choix de son successeur. Le Président de la République Libanaise, maronite par tradition, est élu par le Parlement. Mais les élections législatives de 2022 ont assuré un droit de veto au Hezbollah, dont les élus et ceux du parti du président du Parlement libanais, Nabih Berri, représentent la communauté chiite pro-iranienne dont les députés nouvellement élus sont en mesure d’opposer une minorité de blocage.

Leur alliance cherche donc à imposer son choix aux coalitions constituées par les autres leaders communautaires tandis que ceux-ci cherchent à imposer une approche globale assurant leur influence sur l’évolution du Liban alors que la population réclame un changement durable de l’actuelle logique institutionnelle, fondée sur le partage confessionnel du pouvoir et, depuis des années, sur la captation clientéliste des ressources publiques.

Considéré jusqu’en 1975 comme l’un des pays les plus prospères du Proche Orient, le Liban, dont la monnaie a perdu près de 90% de sa valeur, fait ainsi face à l’une des plus graves crises de niveau mondial et se trouve livré à une classe dirigeante incapable de s’entendre pour former un gouvernement apte à mener les réformes auxquelles l’aide internationale est conditionnée. Son avenir dépend d’un réel sursaut politique préalable à tout programme réaliste et durable de redressement.

En Israël, l’Etat hébreu qui a 75 ans cette année se trouve confronté à la plus grave crise politique de son histoire depuis le lancement d’une réforme judiciaire qui est l’objet de multiples contestations, y compris au sein de l’armée.

En Cisjordanie les attaques se multiplient. A Jérusalem les rassemblements de manifestants palestiniens se sont mis à scander des soutiens aux brigades du Hamas à l’origine de tirs de roquettes en provenance de Gaza et à celles du Hezbollah qui agit au Sud Liban depuis le territoire contrôlé par le mouvement chiite soutenu par l’Iran.

Le risque d’un nouveau soulèvement palestinien et celui d’une tentative de frappe nucléaire de l’Iran sur Israël ne peuvent désormais être écartés, avec, s’ils surviennent, des conséquences importantes pour la stabilité de la région et pour l’Europe dont l’alimentation en énergie et en denrées acheminées par voie maritime peut se trouver brusquement réduite si ce type de conflit survient inopinément.

En Egypte, présidée fermement depuis 2013 par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, des groupes djihadistes sont encore présents dans différents points du territoire du pays, un tiers de sa population vit toujours sous le seuil de pauvreté et les conditions de vie continuent à soulever le mécontentement des Egyptiens au risque d’un durcissement du régime.

En Libye, le pays n’a toujours pas trouvé de stabilité depuis la disparition de Kadhafi en 2011. Le maréchal Haftar, chef de l’armée nationale Libyenne (ANL), soutenu par l’Arabie Saoudite et l’Egypte, contrôle l’Est et une partie du Sud du pays, alors que le Premier ministre Fayez al-Sarraj, soutenu par l’ONU, s’efforce d’œuvrer pour contenir les ingérences étrangères et les multiples jeux d’influence. L’arrivée récente de militaires turcs, de mercenaires russes, et les livraisons d’armes successives de différents Etats aux belligérants malgré l’embargo décrété en 2011 compliquent la perspective d’une véritable trêve.

En Tunisie, souvent citée comme un modèle des printemps arabes, le Président Kais Saied a suspendu le parlement en juillet 2021 puis a organisé au début de cette année des élections législatives dont le premier tour a été marqué par 90% d’abstention. Depuis deux ans, l’aggravation de la crise économique, du chômage et les contestations sociales ont entrainé une succession de pics d’inflation, de chocs financiers et de dérives hégémoniques et arbitraires dont le pays peine à se relever dans un contexte où les acquis démocratiques de 2011 ne sont plus appliqués, ce qui suscite une forte déception des Tunisiens.

Après les arrestations de nombreux opposants, dont le chef du parti Ennahda (de tendance islamo-conservatrice), la crainte de la restauration d’un régime autoritaire se développe actuellement en Tunisie.

En Algérie, avec laquelle les relations de la France ne progressent guère depuis la visite du Président Macron en août 2022 et celle de sa Première ministre Elisabeth Borne en octobre dernier, la situation intérieure est marquée par un pouvoir issu du FLN qui ne veut rien changer,  par des difficultés économiques et sociales nées de la baisse de la rente pétrolière et par des tensions politiques qui ont suivi le soulèvement populaire du Hirak (février 2019) visant le départ du président Bouteflika, candidat à un cinquième mandat. L’ancien ambassadeur de France à Alger a exposé dans Le Figaro (Jeudi 9 janvier 2023 p.22) sa crainte des répercussions en France de l’évolution de la situation politique algérienne.

A l’extérieur, les relations entre le Maroc et l’Algérie, depuis longtemps difficiles, continuent à se dégrader du fait de la signature par le Maroc des accords d’Abraham conclus en septembre 2020 entre Israël, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan (alors que l’Algérie soutient la cause palestinienne) et en raison des divergences qui persistent sur le dossier du Sahara occidental, revendiqué par les indépendantistes du Front Polisario depuis le départ des Espagnols de ce territoire en 1975.

La rupture des relations diplomatiques entre les deux pays survenue le 24 août 2021 ne permet pas la reprise du dialogue entre les deux parties qui saisissent chaque occasion pour montrer leur différence et tenter d’affirmer leur prééminence sur les pays d’Afrique du Nord.

Par ailleurs, alors que l’Iran tisse sa toile en Afrique avec le relais des communautés chiites libanaises présentes sur le continent, le régime de Téhéran partage des intérêts stratégiques avec le régime algérien au point d’aider discrètement les forces sahraouies du front Polisario via le Hezbollah libanais, au grand dam des autorités marocaines.

Un équilibre fragile

Si l’on n’y prend garde, les différences religieuses, économiques, démographiques, éducatives, socio-culturelles et politiques qui marquent l’espace méditerranéen en fonction de la propre histoire de chacun des pays riverains vont être source, dans un futur proche, de nombreuses difficultés susceptibles de fragiliser les démocraties du sud de l’Europe.

L’économie, la politique, la démographie, les restaurations autoritaires de différents Etats et leurs évolutions [17] commandent des rapports de force. Or, à l’heure des ajustements en cours dans les industries européennes stratégiques, des difficultés d’approvisionnement de plusieurs pays en gaz survenues depuis l’intervention russe en Ukraine, des manœuvres diplomatiques sur plusieurs fronts dont la fragilité préoccupe autant les observateurs que les populations concernées, la Méditerranée est redevenue une zone de tensions.

Des tensions qui sont nourries de crises et de conflits susceptibles de menacer la libre circulation des navires et la sécurité de notre territoire.

Comme l’a souligné le vice-amiral d’escadre Pascal Ausseur dans le cahier spécial de la revue ESPOIR consacré à la Mer par la Fondation Charles de Gaulle, en septembre dernier : « Une confrontation est donc envisageable, qui pourrait prendre de multiples formes : annexion partielle de territoire, appropriation ou interdiction d’espace maritime, chantage gazier ou démographique, guerre informationnelle, déstabilisations d’implantations militaires à l’étranger, manipulation des diasporas… ».

De son côté, l’avocat Thibault de Montbrial, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure a estimé dans un récent entretien publié dans Le Figaro [18] que « le rapatriement des femmes et des enfants français partis combattre pour l’Etat islamique expose l’hexagone à un risque d’action violente ».

Vers un avenir plus serein ?

Ces préoccupations, majeures dans la perspective d’un avenir plus serein, s’inscrivent dans la nécessaire réflexion de nos dirigeants sur la défense du territoire français et des territoires de nos voisins de l’Europe méditerranéenne, de nos intérêts, de la place et du rôle de nos pays dans un monde où apparaissent de nouvelles stratégies de puissances dont l’épicentre, n’est plus le même qu’au XXe siècle et dont l’aboutissement est, en fait, une « désoccidentalisation » visant à substituer d’autres valeurs et d’autres pratiques à celles des états démocratiques.

Cette réflexion doit non seulement porter sur nos relations avec chacun des états méditerranéens et prendre en compte leur approche de l’entretien des liens qu’ils ont eux-mêmes tissés avec des pays susceptibles d’embrouillements ; mais elle doit nécessairement, tenir compte à la fois de l’évolution de la politique américaine, de l’attitude de la Chine et de la Russie, dont le président n’hésite pas à employer la force et à violer les règles du droit international.

La Russie est activement présente en Syrie [19] et, tout en affrontant l’Ukraine depuis le 24 février 2022, elle a déployé une escadre en Méditerranée orientale où elle dispose de bases navales d’appui à Tartous et Lattaquié et d’une base aérienne à Hmeimim au sud-est de Lattaquié (dont la piste peut désormais accueillir des bombardiers supersoniques et des avions gros porteurs). Menant une stratégie d’influence en Afrique, la Russie souhaite, en outre, ouvrir un port militaire sur la mer Rouge et a entamé des négociations dans ce but avec les autorités soudanaises à Khartoum.

Il ne faut pas négliger, d’autre part, l’attitude de l’Iran (chiite) qui, poursuivant sa dangereuse tentative nucléaire, cherche à garantir sa sécurité [20], établit des partenariats de nature ambivalente avec la Russie, vient de rejoindre l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), soutient le Hezbollah au Liban pour tenter d’y instaurer une république islamique et souhaite développer son activité économique en projetant la réalisation d’un corridor de 1600 Km reliant l’Iran à l’un des ports de Syrie dont elle soutient le régime.

La Syrie, comme l’Iran est un sujet de préoccupation constant pour Israël qui s’efforce d’agir pour se protéger par des missions aériennes et des opérations clandestines visant des sites et des positions militaires syriennes, iraniennes ou du Hezbollah libanais.

Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l’Ecole Normale Supérieure, évoquant les répercussions géopolitiques du récent séisme en Syrie et Turquie a rappelé [21] que l’émirat d’Abou Dhabi « utilise sa puissance financière  pour alléger la dépendance de ce dernier (le président syrien)  envers ses parrains russe et iranien… » et souligné que  « la Syrie grâce à sa position critique à la jonction des territoires turc, israélien, iranien et arabes, demeure la clef de voûte géopolitique du Levant de demain ».

Il faut, aussi, prendre en compte les ambitions de l’Arabie saoudite (gardienne de deux des trois lieux saints de l’Islam sunnite : La Mecque et Médine)). Sa superficie (2 millions de Km2), son poids économique et sa stabilité constitutionnelle font du royaume saoudien une puissance régionale rivale de l’Iran sur le plan religieux comme au point de vue de l’influence politique.

Le prince Mohamed Ben Salman y a lancé en 2017 la construction d’une ville nouvelle « futuriste », non loin du Mont Sinaï au nord-ouest du royaume, dans une zone dont il entend faire un carrefour proche de la Méditerranée, à l’entrée de l’Afrique et de l’Asie.

Le géo-politologue Dominique Moïsi [22] considère que « L’Arabie Saoudite, quelle que soit sa peur de l’Iran, et quelle que puisse être sa volonté de se rapprocher stratégiquement, technologiquement et économiquement d’Israël, a clairement laissé entendre qu’elle ne pourra rejoindre les accords d’Abraham (signés par Israël le 15 septembre 2020 avec les Emirats Arabes Unis et le royaume de Bahreïn) sans une solution au problème palestinien ».

Il convient, en outre, de considérer la posture géostratégique de la Chine, premier importateur mondial de pétrole du Moyen-Orient, qui a investi dans différents projets d’infrastructures en Algérie et dans plusieurs terminaux portuaires méditerranéens [23].

La Chine, qui dispose depuis 2017 d’une base militaire à Djibouti pouvant désormais accueillir l’un des porte-avions de sa flotte, y étudie, en outre, la construction d’une base de lancements spatiaux par la société chinoise Hong Kong Aerospace Technology (dont le président Djiboutien a annoncé le projet sur Twitter en janvier 2023).

Selon le Washington Post, les services américains de renseignement ont, d’autre part, observé la reprise de travaux à proximité du port de Khalifa aux Emirats Arabes Unis pouvant constituer les futures structures d’une installation militaire chinoise destinée à assurer la sécurité des approvisionnements en hydrocarbures de la République Populaire de Chine provenant du golfe persique où l’Iran poursuit son programme d’enrichissement d’uranium tout en réaménageant ses relations avec la Russie.

Le gouvernement chinois cherche, on le sait, à développer ses relations économiques et diplomatiques non seulement dans la région méditerranéenne mais également dans d’autres régions du monde (projet de nouvelles routes de la soie annoncé en 2013 par le Président Xi Jinping) pour mener une politique extérieure d’ampleur planétaire.

Celui-ci ne cache pas que l’objectif pour la Chine est de s’imposer comme la première puissance mondiale en termes de rayonnement international à l’horizon 2050. La récente reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite a été négocié sous l’égide de la Chine qui démontre ainsi la « souplesse » et l’utilité de sa diplomatie partenariale [24] dans de nouvelles régions.

Elle s’emploie à y développer ses activités économiques et commerciales à partir d’une centaine de ports stratégiquement situés tout en s’appuyant sur un réseau d’installations militaires au Moyen Orient, en Afrique et en Asie du Sud-Est comprenant, en 2030, cinq bases navales et une dizaine de sites de soutien d’où la collecte et le suivi des renseignements d’intérêt stratégique pourront être plus aisément assurés.

En ouvrant une session d’étude à l’Ecole de gouvernance du Parti Communiste Chinois, le 7 février dernier, Xi Jinping a souligné que « La modernisation chinoise est un nouveau modèle pour le progrès humain. Elle dissipe le mythe selon lequel la modernisation est égale à l’occidentalisation ».

Et, plus récemment, à l’occasion du premier anniversaire du conflit russo-ukrainien, les autorités chinoises ont présenté le 23 février un plan en douze point pour un règlement politique du conflit mentionnant qu’il faut « respecter la souveraineté de tous les pays » et « abandonner la mentalité de la guerre froide ».

Or, selon plusieurs diplomates, la référence au respect de la souveraineté parait concerner aussi Taiwan et donc la position des Etats-Unis hostiles à tout projet de réunification.

Le centre de gravité de l’espace eurafricain

Ce qui est plus sûr, c’est qu’en dépit des différences de gouvernance, des tensions socio-démographiques et culturelles, des incompréhensions, des relations tourmentées et des jeux d’équilibre qui compliquent les rapports entre ses différents riverains, le bassin méditerranéen, tout en conservant sa position géostratégique entre les blocs eurasiatique, moyen-oriental et africain, apparait désormais comme « le futur centre de gravité d’un espace économique Eurafricain de plus de 2 milliards d’habitants à l’horizon 2050 ».

La France et l’Europe ont donc intérêt à prendre part résolument au développement de cet espace. Dans les prochaines années, il devrait pouvoir bénéficier de nombreuses opportunités dans plusieurs secteurs économiques : l’agriculture, les mines, les hydrocarbures, les énergies renouvelables, la santé, la réduction des pollutions, les télécommunications, l’éducation, le tourisme (la région méditerranéenne est la première destination touristique du monde).

Dans ces secteurs de réelles potentialités existent et justifient l’attention toute particulière que nos dirigeants doivent porter aux enjeux des relations avec les pays riverains, au développement de leurs capacités de production et de transformation, à la qualité des échanges commerciaux avec ces pays et aux défis géostratégiques, éducatifs et culturels, résultant des projets et du comportement des différents acteurs concernés.

Dans une récente chronique, Nicolas Baverez a souligné dans Le Figaro [25] que l’Union européenne « se trouve devant un choix cardinal : se repenser en termes de souveraineté ou bien cesser d’être un acteur du XXIe siècle pour redevenir, comme au cours de la guerre froide, l’objet de la rivalité entre les Etats-Unis et les empires autoritaires ».

Michel Debré, ancien Premier ministre du Général de Gaulle, écrivait déjà, pour sa part, il y a plus de 4O ans [26] : « une France qui vieillit, dont l’économie stagne, dont la société est égoïste, dont la défense faiblit, dont l’Etat gère le quotidien au gré des querelles partisanes…n’est pas une France apte à la grande politique qu’imposent la guerre du pétrole, le réveil de l’Islam…. Une démocratie moderne doit prévoir, prendre des initiatives, intéresser ses citoyens au commandement du futur et, par-dessus tout, savoir qu’il n’y a point de liberté sans détermination ni capacité ».

Une région d’intérêt stratégique

La France est une puissance globale. Elle possède le deuxième espace maritime du monde [27] et dispose d’une force de dissuasion nucléaire tout à fait crédible. Elle doit, dès lors, s’attacher à rester en capacité de préserver ses intérêts et sa sécurité partout dans le monde, tout en manifestant son aptitude à exercer son influence sans être alignée sur la politique étrangère américaine même si elle partage des valeurs et des intérêts avec nos alliés américains.

Dans une allocution prononcée le 29 janvier 1969 à l’Ecole militaire, le Général de Gaulle a souligné que « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche et l’exploitation de la mer, que les ambitions des Etats chercheront à dominer afin d’en contrôler l’activité et les ressources ».

L’ancrage méditerranéen de la France est une composante importante de son histoire. Le temps du dialogue amorcé à Barcelone en novembre 1995 pour mettre en œuvre des partenariats euro-méditerranéens, puis la création de l’Union pour la Méditerranée en 2008 à l’initiative du Président Sarkozy ont, à l’époque, constitué un espoir dont, à ce jour, la démarche intergouvernementale [28] thématiquement ambitieuse n’a pu malheureusement atteindre encore ses objectifs, les intérêts respectifs des participants n’étant pas les mêmes.

La Méditerranée est le centre de nombreux échanges humains, économiques, politiques, culturels. Ses deux rives ont un héritage en partage qu’il importe de faire fructifier en renforçant le dialogue et la coopération dans plusieurs domaines y compris la recherche technologique et scientifique pour faire face aux mutations actuelles et préparer l’avenir de nos enfants.

Qu’il s’agisse des sciences du vivant, de recherche fondamentale ou de recherche appliquée à la santé, à l’alimentation, aux énergies, au climat, aux océans, à l’espace, à l’Intelligence artificielle, aux semi-conducteurs, aux technologies nouvelles, etc., les champs d’étude et d’expérimentation de nos chercheurs sont innombrables et offrent de nombreuses perspectives d’innovation. Il faut, dans cette perspective, encourager et faciliter la coopération entre les différents acteurs concernés et les chercheurs de nos voisins méditerranéens sur les sujets n’ayant pas d’incidence sur les intérêts vitaux et la souveraineté de notre Pays.

Peuvent être envisagés, notamment, l’octroi de visas scientifiques, l’aide à la mise au point des brevets, l’accueil d’élèves ingénieurs des pays partenaires dans nos grandes écoles et l’organisation de rencontres, notamment dans les domaines où nos recherches peuvent bénéficier des efforts déjà entrepris par certains d’entre eux et dans ceux où l’expérience de nos grands organismes de recherche peut les aider à développer dans leur propre pays un programme porteur d’avenir [29].

Le temps de la prospective doit donc maintenant faire place à celui d’actions plus concrètes visant à contenir les influences extérieures en Méditerranée orientale, à combler le fossé qui, dans sa partie occidentale, risque de s’accentuer entre ses deux rives [30], et à en faire, sans hésiter à agir avec nos voisins de l’Europe du Sud également concernés [31], un espace de coopération, plus sûr, plus prospère et plus stable dépassant les différences liées à l’Histoire afin d’élaborer un cadre d’intérêts mutuels propice à l’épanouissement paisible des prochaines générations.

Jean-Marie Dedeyan

Notes :

[1] Les états latins d’Orient créés par les croisés au Levant forment « la première possession outre-mer des Européens, lesquels ne s’étaient jusque-là étendus que sur le continent ». Quatre états sont créés lors de la première croisade, les autres lors de la prise de Constantinople au cours de la quatrième croisade, puis, par la suite, dans l’Empire byzantin et, après le départ des croisés de Terre sainte, à Chypre et à Rhodes.

[2] Le gouvernement intérimaire de la Libye prépare avec l’aide de la Turquie l’exploitation pétrolière et gazière du plateau continental reliant les deux pays en dessous des eaux de la mer Méditerranée, en violation du droit international de la mer au large des îles grecques de Crète et de Rhodes. Dans Le Figaro du 18 octobre 2022, Renaud Girard a souligné que cette coopération « entrave en outre le développement du projet East-Med, gazoduc alimentant le sud de l’Europe en gaz israélien (champs de Tamar et Léviathan) et égyptien (champs de Zohr) en passant par Chypre et la Grèce…, ce qui libère les Européens de toute pression russe ou turque.. », alors que les présidents Poutine et Erdogan souhaitent faire de la Turquie le fournisseur en gaz de l’Europe pour éviter les sanctions frappant les livraisons de gaz russe.

[3] Depuis près de 50 ans, plus d’un tiers (38%) du territoire de l’ile de Chypre est occupé par la Turquie qui souhaite une bipartition définitive de l’ile en deux états. Dans la partie nord qu’elle occupe depuis l’été 1974 elle fait stationner 35 000 militaires et y déploie des drones performants. Le processus diplomatique encouragé par les Nations Unies en vue d’une réunification n’a toujours pas progressé.

[4] Au large duquel des études sismiques réalisées en 2D et en 3D suggèrent la présence d’hydrocarbures dans une zone contestée en partie par Israël.

[5] Alors qu’au début du XXe siècle la population française était deux fois plus nombreuse que la population du Maghreb, de Rabat à Tunis, le déséquilibre est désormais inversé. De surcroit, la richesse produite par habitant y est beaucoup plus faible qu’en Europe. Si les 212 millions d’habitants des cinq pays de la côte sud de la Méditerranée représentent près de la moitié de la population de l’Union européenne, leur PIB cumulé est soixante fois moins élevé que celui de l’Union.

[6] Le conflit libyen est devenu un enjeu géostratégique important depuis l’intensification de la guerre civile en avril 2019, la progression de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) du général Khalifa Haftar et sa tentative d’évincer le gouvernement d’union nationale soutenu par les Nations Unies. En septembre 2019, des mercenaires russes ont apporté leur renfort aux forces du général Haftar déjà soutenu par l’Egypte, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et, plus discrètement, la France ; puis la Turquie, à son tour, a décidé de soutenir le gouvernement d’union nationale (GNA), dirigé, à Tripoli, par Fayez al-Sarraj, soutenu, de son côté par l’Italie et le Qatar.

L’internationalisation de la crise libyenne s’explique par la dimension internationale de la révolution, les enjeux pétroliers et gaziers, les rivalités commerciales et la dualité idéologique des soutiens apportés aux deux coalitions. La persistance d’un conflit internationalisé en face des côtes méditerranéennes de l’Union Européenne et l’afflux de réfugiés qui en découle sont d’autant plus préoccupantes que chacune des deux coalitions ne cesse d’introduire en Libye de nouveaux armements pour renforcer ses positions.

[7] Le président turc considère que la présence d’une population kurde dans la partie sud-est de la Turquie moderne constitue une menace pour son intégrité territoriale. Depuis l’été 2022 il a, en outre, amorcé sous l’égide de la Russie un début d’ouverture vers le régime de Damas, alors qu’il apportait jusqu’à présent son soutien aux opposants à Bachar El-Assad. Une entrevue entre les ministres syrien et turc de la défense a eu lieu à Moscou le 28 décembre dernier.

[8] Selon l’Agence Européenne des Frontières (FRONTEX), le nombre d’entrées irrégulières dans l’espace de l’Union Européenne (630 000 dont 45 % sur la route des Balkans) a augmenté de 64% en 2022.

[9] La mer d’Alboran est située entre la péninsule ibérique au nord, le Maghreb au sud et le détroit de Gibraltar à l’ouest.

[10] Depuis 2020 l’IFREMER développe en Méditerranée un dispositif sous-marin de surveillance des mouvements sismiques le long de la faille Nord Alfeo (dans la zone volcanique sicilienne) pour mieux comprendre la sismicité complexe de cette région où l’ancienne plaque africaine vient s’insinuer sous l’amorce de la plaque européenne.

[11] Les besoins annuels en eau de l’Egypte, par exemple, sont actuellement de l’ordre de 80 milliards de m3 et pourraient atteindre 115 milliards de m3 en 2035 si la croissance démographique (1,7% par an) se poursuit, alors que la ressource en eau actuelle est de 60 milliards de m3. Or l’Ethiopie vient d’édifier sur les rives du Nil, à 2000 Km en amont du Caire, le grand barrage de la Renaissance qui réduit le débit du fleuve en aval. Le deuxième plus grand fleuve du monde, déjà menacé par le changement climatique, ne va donc plus suffire aux besoins agricoles de l’Egypte et à ceux de sa population (106 millions d’habitants).

[12] Les rejets de dioxyde de souffre ont un impact négatif sur la biodiversité dans un rayon de 200 Km.

[13] Même si depuis la fin de leurs interventions en Afghanistan et en Irak les Etats-Unis réorientent leurs priorités vers la région indopacifique, l’armée américaine dispose toujours de bases bien équipées dans 4 pays riverains et sa VIe flotte reste présente en Méditerranée. Le rapport des forces y demeure donc favorable aux forces navales de l’OTAN. Fin 2022, l’Alliance y déployait trois groupes navals réunissant une vingtaine de bâtiments aptes au combat de haute intensité, contre une quinzaine de bâtiments russes. En outre, le porte-avions Charles de Gaulle, bien protégé par les navires et le sous-marin nucléaire qui l’escortent, dispose à lui-seul d’un groupe aérien embarqué comprenant 20 Rafales Marine, 2 avions de surveillance et trois hélicoptères. De Toulon ou lorsqu’il croise en Méditerranée, il peut rapidement rejoindre l’océan Indien par le canal de Suez et la mer Rouge.

[14] Le Président Erdogan remet en jeu son mandat alors que la monnaie turque est en baisse, l’inflation dépasse 54%, la pauvreté augmente, tandis que, pour la première fois, six partis d’opposition ont surmonté leurs divergences. Ils font campagne pour tenter de revenir à un régime parlementaire et rétablir l’état de droit en Turquie. Les opérations électorales et les résultats du scrutin du 14 Mai vont donc être étudiés attentivement par de nombreux observateurs nationaux et internationaux.

15) Après plusieurs mois d’attente, la Turquie a approuvé le 30 mars dernier l’adhésion de la Finlande à l’OTAN. Cette adhésion est ainsi approuvée désormais par l’ensemble des 30 Etats membres de l’Alliance.

16) A la suite de la répression sanglante (500 000 morts) d’un mouvement populaire contre le régime de Bachar El-Assad. L’Arabie Saoudite et et les pays du Golfe avaient alors tenté de soutenir l’opposition tandis que, de leur côté, la Russie et l’Iran soutenaient le régime en place à Damas.

[17] Entre 1990 et le début de l’année 2020 touchée fortement par les effets du COVID 19, la population des 5 pays du Maghreb a augmenté de 57% alors que celle de l’Union Européenne n’a, dans le même temps, progressé que de 6%.

[18] Interview publiée dans Le Figaro du samedi 28 janvier 2023, page 11, à l’occasion du rapatriement en France de 32 enfants et de 15 femmes épouses de djihadistes ayant exercé des responsabilités au sein de l’Etat islamique. En 2015, les services de renseignement occidentaux estimaient les effectifs djihadistes en Syrie à 27000 dont 1700 Français.

[19] L’un des spécialistes du Proche-Orient, Georges Malbrunot, a souligné dans une analyse parue au lendemain du tremblement de terre du 6 février dernier en Syrie et en Turquie que « Damas presse la communauté internationale de lui venir en aide » alors que le régime syrien est l’objet de sanctions depuis 2012 et que certains conseillers du Président Macron « s’interrogent, depuis un certain temps déjà, sur la pérennité d’une posture uniquement fondée sur la morale » (Le Figaro du mercredi 8 février 2023. Page 17)

[20] Lors de la conférence internationale sur la Sécurité qui s’est tenue à Munich en Allemagne le 17 février 2023, le ministre israélien de la défense a souligné que « l’Iran mène actuellement des discussions pour vendre des armes de pointe, notamment des drones et des MGP (missiles guidés de précision) à pas moins de 50 pays différents. ». Et, selon un article publié la même semaine par The Guardian (14 février), « les responsables américains pensent que Téhéran améliore rapidement l’efficacité de ses drones en les utilisant en situation réelle en Ukraine ».

[21] Article publié sur le site américain al-monitor.com et en tribune du FIGAROVOX le 16 février 2023

[22] Les Échos du lundi 6 février page 10.

[23] Ces terminaux sont situés en Egypte (Port-Saïd, Damiette), en Espagne (Valence), en France (Fos-Marseille), en Grèce (Le Pirée), en Italie (Vado Ligure) et en Turquie (Ambari).

[24] L’Arabie Saoudite (sunnite) et l’Iran (chiite) avaient rompu leurs relations en 2016 après l’attaque de missions diplomatiques saoudiennes par des manifestants dans la République islamique à la suite de l’exécution par le régime saoudien d’un célèbre religieux chiite.

[25] Chronique dans Le Figaro du lundi 19 décembre 2022. Page 17.

[26] La Lettre de Michel Debré, numéro 28, Mai 1980.

[27] La Fondation Charles de Gaulle a publié, en septembre 2022, avec la participation d’une trentaine de spécialistes civils et militaires, un très intéressant numéro spécial de sa revue ESPOIR consacré à la mer et aux enjeux de l’espace maritime français.

[28] L’Union pour la Méditerranée réunit les 27 pays membres de l’Union Européenne et les 15 pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Son siège est à Barcelone. La Syrie a suspendu sa participation le 1er décembre 2011, la Libye y participe avec le statut d’observateur et le Grande Bretagne l’a quitté le 31 janvier 2020 lors du Brexit

[29] Un cadre de coopération avec l’Union Européenne a été défini à Barcelone en 1995. Il a été remplacé par la Politique européenne de voisinage qui vise à étendre son champ d’action au-delà de la méditerranée à tous les voisins de l’UE. Un programme de coopération transfrontalière a été également mis en place pour le bassin méditerranéen. Puis des instruments politiques ont été instaurés : le Comité de suivi de la politique en matière de sciences et de technologies, l’introduction de la science et de la technologie dans les accords d’association conclus entre l’UE et les Pays partenaires méditerranéens, des instruments destinés à dresser un état des lieux des systèmes scientifiques, technologiques et d’innovation dans la région, des instruments conçus pour la coopération scientifique (INCONET, BILAT, ERAWIDE, SICA…) et des points contacts nationaux sont en place pour la collaboration scientifique entre l’UE et les plus petits partenaires. Les structures et les mécanismes existent. Il faut aussi encourager ces actions.

[30] La Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale a publié en février 2022 un excellent rapport parlementaire sur « Les enjeux de défense en Méditerranée » dans lequel ses rapporteurs, qui ont procédé à 17 auditions d’experts civils et militaires, considèrent que la Méditerranée doit « devenir le pilier de l’autonomie stratégique européenne ». Ils soulignent que « l’ensemble des pays membres de l’Union Européenne seraient affectés par une crise majeure en Méditerranée » et qu’ils « doivent partager…les mêmes défis pour préserver la stabilité de cet espace ».

[31] Si la concertation avec l’Italie, Malte, l’Espagne et même le Portugal est indispensable, il ne faut évidemment pas négliger le Maroc, premier producteur du continent africain pour les automobiles, les engrais, les kits de diagnostic du cancer et de la leucémie, dont la langue scientifique demeure le français même si sa pratique diminue dans les classes populaires.

La relation de la France avec le Maroc, naguère privilégiée, souffre aujourd’hui d’un refroidissement qui peut s’expliquer, mais seulement en partie, par la prudence de la diplomatie française sur le dossier du Sahara occidental, alors que l’Algérie apporte un soutien politique et militaire au mouvement sahraoui indépendantiste. Trente ans après l’accord de paix conclu en 1991 entre Rabat et le Front Polisario (créé en 1973), l’un des enjeux diplomatiques actuels du Maroc est la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental, ancienne province espagnole car un nouvel appel à la lutte armée a été lancé le 13 janvier dernier par Brahim Ghali, réélu secrétaire général du Front et président de la « République arabe sahraouie démocratique ».

NDLR : La carte illustrant cet article est issue du fonds cartographique des Archives diplomatiques du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (site de La Courneuve).

X