« Jean Moulin, le héros oublié »

par Fabrice Grenard

Paris, Plon, 2023, 266 pages, 15,90 €.

Trait d’union entre la France libre à Londres et l’Armée des ombres dans la France occupée, Jean Moulin (1899-1943) est le dernier des grands héros de la Résistance, auquel le président de la République Emmanuel Macron a rendu hommage le 8 mai 2023 à Lyon. Spécialiste de Seconde Guerre mondiale, l’historien Fabrice Grenard consacre une biographie à cet homme dont la vie est moins connue que la légende posthume.

Originaire de Béziers, sous-préfet à vingt-six ans, préfet à trente-sept ans, Jean Moulin rencontre le général Charles de Gaulle à Londres le 25 octobre 1941. Résidant à Londres depuis la capitulation imposée par le Maréchal Pétain, régulièrement en froid avec le Premier ministre britannique Winston Churchill, de Gaulle y a prononcé son appel du 18 juin 1940. Entre le militaire de culture maurassienne, dont le rapport à la IIIe République est orageux, et le préfet, dont la carrière a été portée par le Parti radical, la première entrevue scelle une entente politique et intellectuelle indéfectible. Les deux hommes sont d’accord sur tout. Jean Moulin est officiellement nommé représentant du général de Gaulle auprès des mouvements de la résistance intérieure et délégué du gouvernement français pour la France non occupée. Jamais « Max » ne manquera à sa loyauté envers l’homme du 18-Juin.

Jean Moulin a occupé les fonctions de sous-préfet à Albertville en Savoie entre 1925 et 1930 puis à Châteaulin dans le Finistère entre 1930 et 1933 enfin à Thonon-les-Bains en Haute-Savoie en 1933. Promu préfet en 1937, le haut-fonctionnaire est, après un premier poste dans l’Aveyron, nommé à Chartres en 1939, d’où il suit la dégradation de la situation internationale. Il est surpris par la débâcle de mai et juin 1940. Bafouant les consignes parisiennes, il reste en Eure-et-Loir à l’été 1940 pour tenter de protéger ses administrés des affres de l’Occupation mise en œuvre en lien avec l’administration militaire allemande. Le préfet applique l’arsenal législatif autoritaire, répressif et antisémite de Vichy. Il obéit aux injonctions relatives au recensement des Juifs dans le département. Il tente de se suicider lorsque l’occupant essaie de lui imposer la signature d’un document faux compromettant des tirailleurs noirs : il en reste marqué par une cicatrice visible sur la gorge. Le 2 novembre 1940, il est révoqué par Marcel Peyrouton, le nouveau ministre de l’Intérieur.

Représentant du général de Gaulle, d’abord auprès des mouvements du sud de la France, puis auprès de ceux du Nord, Jean Moulin est doté d’une nouvelle légitimité politique. Il devient « Max » ou « Rex », selon les situations. Sous la fausse identité du marchand d’art Joseph Mercier, il s’emploie à coordonner, avec son secrétaire personnel Daniel Cordier, et non sans peine, les mouvements de résistance intérieure, dont le plus imposant et le plus à droite est Combat, qui réunit le Mouvement de libération nationale et Liberté, sous la houlette du remuant Henri Frenay. Il ferraille aussi avec Pierre Brossolette. Il assure l’arrivée depuis Londres des moyens matériels destinés aux opérations clandestines. Jean Moulin apporte ainsi à de Gaulle la caution dont celui-ci avait besoin pour fédérer autour de lui, dans son duel avec le général Henri Giraud, qui a les préférences des Alliés, les mouvements de résistance acquis aux principes républicains. Le 2 octobre 1942, la première convention passée entre la France libre à Londres et des mouvements de résistance en France débouche sur la création de l’Armée des ombres.

Après le 27 mai 1943, le Général est définitivement consacré comme le chef unique de la résistance en France, que les Alliés sont obligés de considérer comme tel. Ce résultat acquis de haute lutte n’aurait pas été possible sans la ténacité et la loyauté de Jean Moulin. Le 21 juin, il est arrêté dans la maison d’un médecin sympathisant à Caluire près de Lyon. Début juillet 1943, il décède au cours de son transport en Moselle, vraisemblablement des tortures qu’il a subies des mains de Klaus Barbie et de ses sbires. Ses cendres entrent au Panthéon le 19 décembre 1964.

Philippe BOULANGER
Docteur en droit public, auteur notamment de Jean-François Revel. La démocratie libérale à l’épreuve du XXe siècle (Les Belles Lettres, 2014)

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