« L’HONNEUR ET LES HONNNEURS »

par Christian Brumter

Docteur en Droit, ancien Conseiller à la Commission européenne et au Service européen d’action extérieure,
ancien auditeur de l’Institut des Hautes études de la Défense nationale.

L’on comprendra aisément que ceux qui vécurent la nuit de l’Occupation, qui endurèrent privations et sévices et qui partagèrent l’espérance, voulurent marquer leur reconnaissance et leur gratitude envers celui dont la voix seule les guida dans ces tourments.

 À juste titre, l’ordonnance de 29 novembre 1944[1] permettant d’octroyer des réparations à des victimes du régime de Vichy, pouvait-elle servir de base juridique pour rétablir un intéressé dans ses droits et réparer les préjudices, de toute nature, subis.

 Ainsi, animé de cet esprit, Edmond Michelet[2], alors ministre des Armées, a-t-il voulu lancer la procédure visant au redressement administratif et à la reconstitution de carrière du général de Gaulle.

 En effet, une fois prononcée l’annulation, le 11 janvier 1945, par la Chambre de révision de la Cour d’Appel de Riom, de sa condamnation du Tribunal militaire permanent de la 13ème Région[3], une fois décidée l’annulation des décrets des 23 juin 1940 et 8 décembre 1940 le mettant d’office à la retraite par mesure disciplinaire et prononçant sa déchéance de la nationalité française, il ne restait plus, alors, qu’à procéder au redressement administratif et à la reconstitution administrative auxquels, pensait-on, le général de Gaulle avait droit.

 Se fondant sur « l’éclat des services rendus au pays depuis juin 1940, tant avant la Libération, à Londres, à Alger, qu’après la Libération comme Président du Gouvernement provisoire de la République française », les instances compétentes conclurent qu’il importait que le général de Gaule fût placé en tête de la hiérarchie militaire.

L’échéancier suivant prévoyait ainsi que le général de Gaulle, général de Brigade à titre temporaire, soit promu à titre définitif :

« Général de Brigade à compter du 1er juin 1940,
Général de Division à compter du 1er décembre 1941,
Général de Corps d’Armée à compter du 1er juin 1942,
Général d’Armée à compter du 1er décembre 1942 ».

Et qu’il soit promu :

« Commandeur[4] de la Légion d’Honneur à compter du 18 juin 1940,
Grand Officier de la Légion d’Honneur à compter du 8 juin 1942,
Grand-Croix de la Légion d’Honneur à compter du 26 août 1944 ».

En outre, la Médaille militaire devait-elle lui être décernée à compter du 8 mai 1945 et la décision de son maintien, sans limite d’âge, dans la 1ère section du cadre de l’État-Major Général de l’Armée devait-elle être prise.[5]

Informé par la presse, le général de Gaulle repoussa cet honneur, le 22 janvier 1947, en argüant que les actes accomplis entre le 18 juin 1940 et le 22 janvier 1946 ont été exercés « par la force des choses » et qu’il n’est pas « imaginable que l’État ni le Gouvernement se décorent jamais eux-mêmes dans la personne de ceux qui les ont personnifiés et dirigés et pour la manière dont ils l’ont fait ».

Il ajouta d’ailleurs que « pour un homme qui s’était donné la charge de conduire la France et l’Union Française (…) jusqu’à la victoire et à la liberté, il n’est pas d’autre « récompense » que d’y avoir réussi ».

Une telle attitude, à l’évidence, était compréhensible. Elle était sans doute aussi prévisible.

Ce refus des honneurs ne manque d’ailleurs pas de surprendre et il est permis de s’interroger sur les raisons qui conduisirent Edmond Michelet, résistant de la Première heure et fidèle du Général, à enclencher une telle procédure administrative.

Ne saura-t-on jamais les raisons qui poussèrent un ministre du Gouvernement provisoire de la République Française à s’attacher à une telle proposition ?

Cela, plus d’un an après que le général de Gaulle eût, le 20 janvier 1946, quitté ses fonctions ! Peut-être fût-ce le remord teinté de regret causé par le départ du général de Gaulle le 20 janvier 1946[6] ?

Christian Brumter
Colonel (H)

[1] Ordonnance du 29 novembre 1944 concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés. JORF du 2 décembre 1944.

[2] (1899-1970) Ministre des Armées, du 21 novembre 1945, au 16 décembre 1946.

[3] Le Tribunal militaire de Clermont-Ferrand avait en effet prononcé, le 2 août 1940, la condamnation par contumace à la peine de mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de tous ses biens.

[4] Charles de Gaulle fut décoré chevalier de la Légion d’honneur en 1919 et officier de la Légion d’honneur en 1934.

[5] La Médaille Militaire devait en outre être conférée à Winston Churchill, au Président Roosevelt et au Maréchal Staline. Le Président du Conseil Paul Ramadier la remit à Winston Churchill le 10 mai 1947 et l’ambassadeur à Washington Henri Bonnet, la remit à Madame Franklin Roosevelt le 15 juillet 1947 au nom du Président décédé le 12 avril 1945.

Voir, La Médaille Militaire aux Quatre Grands, Le Monde du 17 janvier 1947 et La Médaille Militaire ne pourra être décernée au Généralissime Staline, Le Monde du 6 février 1947.

[6] Malgré l’opposition du Général de Gaulle, l’Assemblée constituante avait adopté un projet de Constitution reconnaissant sa prééminence sur le président de la République – lequel ne peouvait la dissoudre –, l’élection des députés au scrutin de liste à la proportionnelle et l’élection du président de la République par un collège électoral. La nouvelle Constitution fut adoptée le 13 octobre 1946.

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