JEAN MOULIN, HÉROS DE LA RÉPUBLIQUE

par Christine Levisse-Touzé* et Isabelle Rivé**

Publié dans Espoir n° 135, juin 2003

*Christine Levisse-Touzé, directrice du Mémorial Leclerc, et de la Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Ville de Paris) directeur de recherche associé à Montpellier III.

**Isabelle Rivé, directrice du Centre de la Résistance et de la Déportation de la Ville de Lyon.

Le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon lors d’une cérémonie émouvante et grandiose, télévisée, en présence du président de la République, le général de Gaulle, la famille de Jean Moulin, le gouvernement, les Compagnons de la Libération, le 19 décembre 1964 est l’acte de baptême du héros. L’oraison funèbre d’André Malraux, alors ministre de la Culture, « Comme Leclerc entra aux Invalides, entre ici Jean Moulin… » a fait véritablement entrer Jean Moulin dans la mémoire des Français. Cependant, il n’a pas été le Résistant oublié qu’on a voulu faire croire après la guerre. De 1945 à 1964, Jean Moulin est largement présent dans la mémoire nationale et locale. Des exemples illustrent bien cette présence dans la Mémoire. Toutes les villes, sous-préfectures et préfectures, où Jean Moulin a été en poste en ont commémoré le souvenir par une plaque. Les présidents de la République successifs n’ont pas été en reste. Quelques exemples illustrent bien ce souvenir. Le 27 mai 1945, le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, dévoile la plaque à la mémoire du président du Conseil de la Résistance au 48 de la rue du Four (6ème). En 1946, le nom de Jean Moulin est attribué à un modeste square près de cimetière de Montrouge, à la porte de Châtillon. En 1947, bien que retiré du pouvoir, le général de Gaulle préface le journal de Jean Moulin publié aux Editions de Minuit par Laure sa sœur, sous le titre Premier Combat et le 26 mars 1958, il dévoile la plaque au 26 rue des Plantes (14ème) où Moulin loua un studio. De retour au pouvoir, le général de Gaulle faisant un voyage dans le sud se recueille devant le monument honorant le martyr de Moulin au plateau des poètes à Béziers, en février 1960. Le 26 novembre 1947, Vincent Auriol, président de la République, inaugure la stèle au ministère de l’Air pour honorer le chef du cabinet de Pierre Cot et l’année suivante, le 26 avril 1948, au ministère de l’Intérieur pour honorer le préfet. Le 10ème anniversaire de la Libération à Chartres est l’objet d’un double hommage à Jean Moulin et aux FFI, présidé par le président de la République, René Coty, le président du Conseil Laniel, le général Koenig. Le Club Jean Moulin est fondé en juillet 1958 par Daniel Cordier et Stefan Hessel pour défendre la République en pleine guerre d’Algérie. En 1981, après son élection, François Mitterrand, dépose symboliquement au Panthéon une rose sur les tombeaux de Victor Schoelcher, Jean Jaurès et Jean Moulin. Les villes ou lieux où le résistant a œuvré n’ont pas manqué d’honorer sa mémoire. Ainsi à Lyon, un quai du Rhône est dès 1947 baptisé du nom de Jean Moulin, dont la mémoire est également honorée dans la cour intérieure de l’Hôtel de Ville où une stèle rappelle que les principaux mouvements de Résistance s’unirent sous l’impulsion de Jean Moulin. Les autres lieux fréquentés par Jean Moulin à Lyon ne sont pas matérialisés (il est vrai qu’il se déplaçait beaucoup) mis à part un immeuble situé rue Victor Hugo (2ème arrondissement) qui porte une plaque rappelant que Moulin y rencontrait le général Delestraint. Par ailleurs, une dalle située et inaugurée en 1987 est également dédiée à la mémoire de Jean Moulin et d’André Lassagne, arrêté en même temps que lui. A Caluire, c’est autour du lieu de son arrestation (la maison du Docteur Dugoujon) que s’organisent les différentes commémorations dédiées à Jean Moulin. Une plaque est apposée sur la maison en décembre 1946 puis, en juin 1973 pour le trentième anniversaire de son arrestation, est érigé un monument dû au sculpteur Georges Salendre et représentant un homme couché. L’inauguration a lieu en présence de Laure Moulin et de Louis Pradel, alors Maire de Lyon. La maison du Docteur Dugoujon doit prochainement être réhabilitée afin d’en faire un mémorial ouvert au public.

Il est aussi intéressant de constater que des villes non concernées directement ont rappelé son souvenir. En 1995, Serge Barcellini et Annette Wieviorka ont recensé 37 monuments, 113 plaques, 1000 rues. Il y a aujourd’hui plus de 365 établissements scolaires.

Figure éponyme de la Résistance, Jean Moulin cristallise autour de sa mémoire de nombreuses passions et polémiques, les circonstances de son arrestation ont donné lieu à très nombreuses extrapolations, souvent fantaisistes, tout comme ses appartenances supposées à tel ou tel courant politique.

Les très nombreux travaux d’historiens sur Jean Moulin ont cependant permis de lever les interrogations qui pouvaient demeurer sur la vie et l’action de Jean Moulin. Il reste une figure attachante, souvent brandie comme un emblème politique par les défenseurs des idéaux républicains.

*Christine Levisse-Touzé, directrice du Mémorial Leclerc, et de la Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Ville de Paris) directeur de recherche associé à Montpellier III.

**Isabelle Rivé, directrice du Centre de la Résistance et de la Déportation de la Ville de Lyon.

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