JEAN-PAUL BLED : LES GRANDS MINISTRES DES HABSBOURG, DU XVIIe SIÈCLE À LA CHUTE DE L’EMPIRE
Éditions Perrin, février 2023, 382 pages, 24 euros

par Louis de Fouchécour

L’œuvre de Jean-Paul Bled est une référence pour l’histoire du monde germanique et plus particulièrement pour celle de l’Autriche-Hongrie et de l’espace danubien. Au service de sa démarche universitaire et scientifique, notre auteur cultive – peut-être au rebours de la mode – la tradition classique de l’histoire des « grands hommes » et ses dons évidents de conteur s’expriment avec aisance dans l’art de la biographie. Pour la seule histoire autrichienne, ses ouvrages sur les souverains permettent de suivre presque sans discontinuité le fil des années 1700 à 1918, avec les volumes déjà consacrés à Marie-Thérèse d’Autriche, à Sophie de Habsbourg et à son fils François-Joseph, à Rodolphe et au drame de Mayerling, ou encore à François-Ferdinand, la victime de l’attentat de Sarajevo.

En contrepoint de ces premiers rôles par le rang, voici avec ce nouveau volume, sorti en début d’année, un complément original consacré aux « grands ministres des Habsbourg », en d’autres termes aux acteurs de la grande politique autrichienne, souvent inspirateurs autant que serviteurs de leurs souverains. Sur la période qui va des débuts du XVIIIe siècle à l’épilogue de 1918, Jean-Paul Bled a retenu neuf personnages : le condottiere que fut le prince Eugène, les deux diplomates Kaunitz et Metternich, et cinq ministres du règne de François-Joseph, moins connus que les premiers mais qui jouèrent un rôle clé dans l’histoire de la Double Monarchie : successivement Felix zu Schwarzenberg, Alexandre von Bach, Friedrich Ferdinand von Beust, Eduard von Taaffe, Max Vladimir von Beck et le Hongrois Istvan Tisza. La somme de ces neuf biographies, précédées d’une introduction bienvenue sur les origines des Habsbourg, fait revivre avec bonheur le genre des « vies des hommes illustres ». Portraits et caractères, enchaînement mêlé des hommes et des événements, succès et échecs : au total, c’est une lecture captivante qui remet en mémoire une part essentielle de l’histoire européenne.

L’ancienne Autriche-Hongrie est certes un continent englouti aujourd’hui. En méditant sur cette vaste chronique, et « puisque tout recommence toujours », il y a néanmoins matière à réflexion pour notre temps présent. Derrière l’image compassée, conservatrice et en apparence de grande continuité du règne de François-Joseph, on perçoit mieux la somme d’efforts, de réformes et de transformations constantes qui ont été nécessaires pour maintenir dans la durée l’équilibre de la Double Monarchie, avec un échec final lié en définitive à une double impasse : celle de la dyarchie austro-hongroise sur un ensemble en réalité multinational, et celle d’une aspiration à une forme plus fédérale d’organisation des pouvoirs, solution peut-être acceptable pour les peuples slaves mais qui aurait ruiné le pacte dualiste originel.

Il est enfin possible de remarquer la grande familiarité des premiers personnages de la galerie avec les affaires françaises : le prince Eugène est né à Paris et a grandi à proximité de la Cour, et Kaunitz et Metternich ont l’un et l’autre été ambassadeur à Paris. Cette tradition s’est poursuivie dans une certaine mesure avec Schwarzenberg et von Beust, ce dernier également diplomate à Paris pour le compte de la Saxe, avant son entrée au service de l’Autriche en 1866. C’est une singularité que l’on ne retrouve pas chez leurs successeurs, un signe aussi de l’éloignement progressif des intérêts après Sadowa et Sedan.

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