Quel sursaut face à la baisse de la natalité ?

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

L’INSEE a publié en janvier les chiffres des naissances enregistrées en 2023, en baisse de 6,8% par rapport à la même période de 2022 avec 678 000 nouveau-nés et un solde naturel de seulement 47 000 naissances par rapport aux décès (631 000), soit le solde le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Au 1er janvier 2024, la France comptait 68,4 millions d’habitants et, depuis une dizaine d’années, le nombre de naissances dans notre Pays ne cesse de diminuer. La natalité, il est vrai, est aussi en baisse en Allemagne, en Italie, au Japon, en Russie, en Chine, en Corée, alors qu’elle demeure élevée en Afrique, au Moyen Orient et en Inde.

Les chiffres publiés par l’INSEE il y a trois ans (janvier 2021) pour la France traduisaient déjà une forte diminution des naissances à la suite du confinement instauré pour faire face à la pandémie de Covid 19. Mais, quelques mois après, la natalité semblait avoir rattrapé son retard conjoncturel avec 723 000 naissances en 2022, avant d’enregistrer une nouvelle baisse correspondant vraisemblablement à une attitude de prudence des couples face aux tensions provoquées par le conflit russo-ukrainien et à une peur de l’avenir liée aussi à l’angoisse climatique.

Aujourd’hui, le taux de fécondité n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. En outre, bien que la France demeure le pays le plus fécond d’Europe, le taux de fécondité au 31 décembre 2023 est descendu à 1,68 % enfant par femme (il était de 1,79% en 2022) alors qu’il faudrait théoriquement un taux de 2,07 (780 000 naissances par an) pour assurer le remplacement des générations actuelles et éviter que la population française (1) continue à diminuer durablement comme c’est le cas depuis 1975.

En 2001, 620 000 nouveaux nés avaient deux parents français. Depuis, en une vingtaine d’années, le pourcentage annuel d’enfants nés sur le territoire français et issus de deux parents français est passé de 85,4% à 74%. Sur la même période, les naissances issues d’au moins un parent né hors de l’Union Européenne ont augmenté de 40%, passant de 8 à 14% et celles issues de deux parents nés hors de l’Union Européenne ont augmenté de 72%, passant de 6,6% à 11,5%.

Plusieurs études officielles font aussi apparaitre une différence de fécondité entre les femmes immigrées (notamment maghrébines ou turques) et les femmes qui ne sont pas immigrées. Et, aujourd’hui, plus du quart des enfants qui naissent en France ont une origine immigrée.

A ce rythme, à compter de 2035 seul l’excédent migratoire permettrait à la France de maintenir sa population.

Cette persistance de la baisse de la natalité est d’autant plus préoccupante pour l’avenir de notre Pays que les enfants qui ne sont pas nés ces deux dernières années représentent, en fait, autant de travailleurs en moins de 2040 à 2080 et, dès lors, moins de cotisants pour les retraites, moins de consommateurs, des difficultés de recrutement ou de fonctionnement pour les entreprises et une diminution des recettes fiscales de l’Etat.

Déjà, un Français sur cinq est âgé de 65 ans ou plus. Les projections les plus sérieuses prévoient que la tranche d’âge des 75-84 ans va passer de 4 millions à plus de 6 millions au cours de l’actuelle décennie et que les progrès réalisés dans le domaine de la santé des seniors vont permettre aux plus âgés (85 ans et plus) de passer de 2,5 millions à 4,8 millions entre 2030 et 2050. Il faut ajouter un autre chiffre à cette perspective : d’ici à 2027, le nombre d’élèves dans le premier et le second degré va diminuer de 500 000 enfants et des classes vont fermer !

Le modèle social fragilisé

Une telle évolution met en danger notre modèle social et nécessite dès lors une politique démographique visant aussi bien la relance des naissances pour consolider l’apport des cotisants que l’accompagnement du vieillissement et des mesures concrètes à hauteur de cet enjeu sociétal.

A l’heure où l’on s’inquiète avec raison de l’accroissement de la dette (plus de 3000 milliards d’euros soit près de 112% du PIB), du retour de l’inflation et du financement des retraites, l’urgence est donc aussi démographique !

Raymond Debord, sociologue de la famille, a souligné dans son livre « Faut-il en finir avec la famille » (paru aux Editions Critiques en 2022) que les dépenses à engager pour une politique familiale ne seront pas une charge, mais un investissement et que « le coût du déclin serait incomparablement plus élevé ».

Certes, l’Etat mène une politique d’allocations et de fiscalité en faveur des familles. Mais celle-ci comporte des incohérences. Il s’efforce, notamment, d’augmenter le nombre de crèches et d’adapter les horaires scolaires des jeunes enfants pour permettre à leurs parents de continuer à travailler. Mais la politique familiale a subi une réforme en 2014 qui remettait en cause l’universalité des aides avec, notamment, la réduction du plafond familial et la mise sous condition de ressources des allocations familiales. L’’inflation est venue renchérir le coût de la vie et de la santé, rendant plus difficile l’accès au logement.

Cette évolution a obligé de nombreux ménages à ajuster leurs dépenses tandis que d’autres choisissent de partir à l’étranger alors qu’une population active plus nombreuse permettrait de diminuer le taux des cotisations sociales, donc d’améliorer la compétitivité des entreprises et la rémunération du travail.

Pluralité des causes de la diminution des naissances

L’évolution du mode de vie et des loisirs, l’égalité des femmes et des hommes face au travail, des difficultés à concilier travail et famille, une certaine inquiétude face aux effets de la mondialisation, aux tensions et aux conflits dans différentes régions du monde, voire des considérations climatiques ou environnementales ont, en outre, peut-être incité certains couples à retarder un projet parental.

Face à la baisse de sa natalité et aux enjeux démographiques qui en résultent la France est donc désormais confrontée au défi d’une véritable grande politique familiale mise en œuvre pour mieux accueillir l’enfant en renforçant les aides à la parentalité et à la solidarité intergénérationnelle. Dans le même temps, il faut adapter notre système éducatif, remédier aux difficultés du système de santé et mettre en œuvre la transition écologique. Ces défis doivent être relevés dans un souci de cohérence des actions à mener : une population active plus nombreuse permettrait une diminution du taux des cotisations sociales, ce qui améliorerait la compétitivité des entreprises françaises tout en leur permettant de mieux rémunérer le travail.

Le Président de la République, lors de sa conférence de presse du 16 janvier dernier a évoqué l’utilité d’un « réarmement démographique » de la France. Les efforts à entreprendre ne sont ni de droite, ni de gauche. Ils s’inscrivent dans l’« instinct vital de la nation tout entière » dont le général de Gaulle a magistralement tracé la ligne pour les générations présentes et futures.

Dépasser les clivages et renforcer la politique familiale

Il faut, par conséquent, traiter les enjeux, les voies et les moyens d’une politique de la famille en dehors de toute idéologie ou de tout engagement partisan. Il faut associer à la réflexion de nos gouvernants présents et futurs les organisations syndicales, les associations familiales, des femmes et des hommes qualifiés issus des différents territoires régionaux…, considérer que l’enfant n’est pas une charge financière ou matérielle mais une source d’épanouissement humain, un membre essentiel de toute nation désireuse d’assurer son avenir, son indépendance, son rayonnement, et un maillon indispensable de « la transmission d’une culture héritée des générations qui nous ont précédés afin qu’elle se perpétue dans le futur » (2).

Les dispositifs et les instruments actuels de soutien à la natalité n’étant plus adaptés à l’évolution de la démographie, l’objectif doit être de mettre au point une politique familiale moderne visant à rétablir un juste équilibre entre les générations par des mesures dégageant les ressources nécessaires pour favoriser les naissances et redonner sa place à la famille dans une France qui ne parvient pas à rajeunir et dont la cohésion se fragilise alors que 69% des Français estiment, selon un sondage CSA pour Europe 1, C News et le Journal du Dimanche, qu’il ne faut pas favoriser l’immigration pour assurer l’avenir démographique de notre Pays.(3).

Pour un véritable dynamisme

Le Chef de l’Etat a annoncé la prochaine mise en place d’un nouveau congé parental -le congé naissance- plus court mais mieux rémunéré, pour permettre « aux deux parents d’être auprès de leur enfant pendant six mois, s’ils le souhaitent ». L’actuel congé parental (distinct du congé de maternité/paternité) peut s’étendre sur trois ans s’il est partagé entre les deux parents (les 1000 premiers jours de l’enfant sont importants pour son développement). Mais son indemnisation est faible (430 euros par mois pour un parent qui s’arrête complétement de travailler) et il n’a été utilisé que par 220 000 bénéficiaires en 2022.

Les syndicats et l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) estiment qu’il faut compléter la nouvelle mesure par « une vraie politique de la petite enfance » avec davantage de places dans les crèches et des solutions de garde destinées à « laisser le libre choix aux familles de garder leurs enfants jusqu’à trois ans ». Ces mesures permettraient aux parents  de mieux concilier travail et vie familiale et, dès lors, encourageraient la fécondité.

Car un pays dont la démographie diminue se dépeuple et ne tarde pas à « se révéler tout aussi incapable de triompher de la concurrence internationale que de continuer à assurer sa cohésion et une protection sociale qui est à l’honneur d’une civilisation fondée sur la dignité et la solidarité humaine » (4).

Jean-Marie Dedeyan

(1) La population française comptait 68,4 millions d’habitants au 1er janvier 20224, dont 2,3 millions dans ses départements et territoires d’outre-mer. 20% des Français ont plus de 65 ans, 18%moins de 15 ans.

(2) Citation de Laurent Chalard dans une tribune publiée par le Figaro Vox (3 mars 2021)

(3) L’historien Pierre Vermeren a consacré une tribune au déclin démographique français dans Le Figaro du mercredi 6 septembre 2023, page 16.

 (4) Source : « La Lettre de Michel Debré » Numéro 8 (novembre 1977) et Numéro 37 (avril 1981)

NDLR : Nous envisagions déjà cette évolution préoccupante dans la Lettre d’information électronique de la Fondation Charles de Gaulle publiée le 16 décembre 2021.

Les lecteurs intéressés peuvent accéder au dossier en cliquant sur le lien suivant.

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