LA FONDATION CHARLES DE GAULLE AU LIBAN

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

Le Liban et la France partagent une longue histoire commune. Certains documents, dont l’origine est cependant parfois contestée, font remonter au XIIIe siècle l’établissement d’une relation spéciale. Le 24 mai 1250, Louis IX (Saint Louis), séjournant à Saint Jean d’Acre aurait remis une charte de protection spéciale à l’émir des Maronites du Mont Liban venu le saluer, accompagné de milliers de catholiques orientaux dévoués à Saint Maron.

Le 4 février 1536, François 1er a signé avec le sultan Soliman le Magnifique un traité dans lequel était reconnu à la France le rôle de protecteur des Lieux Saints et des chrétiens d’Orient. Mais l’engagement écrit non contesté le plus ancien est, en fait, un document signé de Louis XIV.

Le général de Gaulle, qui résida à Beyrouth de 1929 à 1931, lorsque le Liban et la Syrie étaient sous mandat français, a souvent rappelé cette relation pluriséculaire tissée à travers les siècles avec une terre et sa population.

Dans un Orient en proie à des rivalités évolutives et à des tensions constantes, le Liban, qui a accédé à l’indépendance le 22 novembre 1943, a su traverser de nombreuses crises. Sa diversité constitue un atout par lequel les Libanais sont toujours parvenus à faire face aux malheurs et à faire preuve de résilience. C’est aussi l’un des rares pays du monde où Islam et Chrétienté sont arrivés à coexister au fil des siècles dans un esprit de dialogue pétri d’histoire et de respect des diversités culturelles.

Mais, en octobre 2019, la crise politique structurelle née d’un système politique communautariste complexe, une inflation de 100% sur un an, une forte baisse du PIB, un endettement colossal et une crise économique historique ont incité la population libanaise à se mobiliser massivement pour contester le système, exiger des partis communautaristes un gouvernement indépendant et réclamer la mise en œuvre d’un plan de sauvetage économique et financier devenu indispensable  face à une pauvreté qui atteint plus de la moitié de la population.

Le confessionnalisme, l’absence actuelle de véritables responsables politiques rassembleurs et la pénurie ont eu raison de ce mouvement qui voulait changer le Liban. Puis la grave catastrophe provoquée par la double explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, est survenue, entrainant la mort de dizaines de personnes et faisant plus de 6 000 blessés.

La solidité d’une amitié profonde tissée à travers les siècles a conduit la France à envoyer immédiatement d’importants moyens d’aide humanitaire et son Président de la République à se rendre à Beyrouth afin d’y manifester le soutien français et d’amorcer l’indispensable dialogue qui doit s’engager entre les dirigeants politiques libanais pour élaborer les réformes nécessaires. Malheureusement la crise libanaise n’a pas encore vu l’horizon s’éclaircir…

Cité plus de 70 fois dans la Bible, le Liban recèle de nombreuses traces de son passé mémorable. Mais son histoire récente montre que les acteurs régionaux ont violé son indépendance en y important les conflits qui les déchirent et en y pratiquant des jeux d’influence qui mettent en péril le pays et ses habitants. La classe politique, quant à elle, y met en œuvre des pratiques de plus en plus contestées qui fragilisent son indépendance, compromettent les intérêts de sa population et bafouent le bien commun.

La « descente aux enfers » à laquelle s’efforce de faire face courageusement le Pays du Cèdre retarde, malheureusement, le beau projet d’Institut Charles de Gaulle annoncé à Beyrouth en 2018. Certes, la création de cet Institut, fruit d’un partenariat entre la Fondation Charles de Gaulle, l’Ecole Supérieure des Affaires (ESA) et l’Ambassade de France, signé en présence des ministres libanais de l’éducation et de la culture, n’est pas abandonnée.

Les plans sont prêts et l’intérêt du projet évident. Mais en dépit de son intérêt, la sagesse a conduit à en différer la réalisation, tandis que des missions d’enseignement sont, en attendant, assurées périodiquement à l’ESA par la direction des études de la Fondation Charles de Gaulle.

Une association de droit libanais « Les Amis de la Fondation pour la Sauvegarde du Patrimoine du général de Gaulle » est, d’autre part, en cours de création à Beyrouth. L’ambassadeur de France au Liban en a reçu les créateurs à la fin du mois de novembre dernier et confirmé à cette occasion l’attention portée au plus au niveau à la transmission de la Mémoire et des valeurs morales fondement du Bien public aux jeunes générations.

On ne pourra, dès lors, que se réjouir lorsqu’une amélioration de la situation du Liban permettra à notre Fondation de lui apporter encore plus concrètement son appui.

Bien qu’il n’occupe plus tout à fait la place qu’il y avait autrefois, le français reste aujourd’hui au Liban, qui compte 18 communautés religieuses et déclare accueillir 1,5 million de réfugiés syriens, une langue de culture, de dialogue, d’expression d’une nuance – littéraire, diplomatique, ou politique-, un socle de valeurs communes, le vecteur d’une vision partagée des relations paisibles et confiantes, et le rempart contre la pensée unique qui irait de pair avec une langue unique et tentaculaire.

C’est au Liban que Charles de Gaulle a écrit « Le fil de l’épée », paru dès 1932. Enseigner De Gaulle aux étudiants de l’ESA dans un monde où les enjeux de puissance et de souveraineté s’inscrivent dans une compétition permanente sur les cinq continents, constitue dès lors, c’est certain, une contribution très positive à la formation de futurs dirigeants.

Avant de faire des choix importants, un dirigeant doit, en effet, pouvoir appréhender les situations, analyser leurs enjeux, évaluer leurs contraintes, déterminer une approche stratégique de ses décisions dans un environnement en constante évolution. Il doit aussi être en mesure de constituer et d’animer des équipes par un mode de gouvernance qui fédère et qui entraine. C’est le thème de l’apport pédagogique actuel de la Fondation aux enseignements dispensés à l’ESA.

Au-delà de son activité académique et mémorielle, l’Institut Charles de Gaulle du Liban, quand il verra enfin le jour, sera, pour sa part, porteur de la vision gaullienne des relations particulières entre nos deux Pays, de son approche de ce que le Général appelait « l’Orient compliqué », de sa pratique de l’action publique, de sa conception réaliste des rapports avec les pays de la région et de son désir de développer avec eux, face aux enjeux et aux défis du monde actuel, une relation de confiance, à la fois respectueuse et profitable à chacun.

Lorsque le Liban sera parvenu à surmonter ses vicissitudes politiques et la grave crise économique qui minent ses capacités, l’Institut Charles de Gaulle du Liban pourra ainsi s’attacher à refléter le rapport d’amitié et de confiance du Liban avec la France. Par ses travaux, il s’efforcera d’entretenir et de nourrir cette relation chargée d’histoire tout en contribuant à la formation de nouvelles générations de cadres et, dès lors, à la construction du Futur « en puisant dans cette réserve de forces où la race des hommes puise pour se renouveler » (Charles de Gaulle).

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