PHILIPPE DE GAULLE

par Denis Tillinac,
Écrivain

[…] C’est un lourd, très lourd destin que d’être à la fois seul fils et presque sosie d’un héros de légende. Ça oblige. Quoi que l’on désire, quoi que l’on fasse, on est ad vitam une ombre portée. L’immense mérite de Philippe de Gaulle aura été de tenir ce rôle avec un naturel qui force le respect. […]

Au terme de sa carrière, […] l’amiral est surtout devenu la mémoire de son père et son éditeur. Il a consacré dix années de sa vie à recueillir, classer, publier les milliers de discours, notes, carnets, nouvelles, semés par la plume du Général depuis son adolescence. Son père avait voulu qu’il acquitte de cette tâche, débutée de son vivant, avec le concours de sa fille Elisabeth qui tapait tous les textes. Si l’on ajoute ses propres mémoires et son entretien avec Michel Tauriac, l’amiral a offert aux historiens, en relais des quatre livres parus avant 1940, des Mémoires de guerre et des Mémoires d’espoir, une manne inappréciable. Certes, cette œuvre d’auteur et d’éditeur est apologétique : le Général a toujours raison, le reste du monde a toujours tort dès lors qu’il le méjuge. Sur le fond, il n’a pas triché, sa vision de De Gaulle est la bonne, elle sonne juste. Parce que c’est lui, ombre de l’ombre, miroir, fac-similé, d’une âme d’élite. Elle éclaire de l’intérieur les biographies au demeurant précieuses de Jean Lacouture et d’Eric Roussel, les propos en vrac recueillis par Peyrefitte – (C’était de Gaulle) à la sortie des conseils des ministres de l’Elysée – et la profusion de livres d’historiens ou de témoignages de proches. Il y manque juste le mystère – ces confins de l’intime qu’il est loisible à tout à chacun de fabuler, parce qu’on n’en saura jamais rien.
C’est un lourd, très lourd destin que d’avoir été le testataire autorisé d’un personnage aussi protéiforme – et qui ne lui appartient pas.  Il fallait du doigté, de la pudeur et une surdose d’humilité pour métamorphoser la pitié filiale en don de sa personne à l’histoire de France. Il incombait à l’amiral d’être digne du Général. Il le fut – comme sa sœur Elisabeth, d’ailleurs sur le même registre de l’effacement. De Gaulle a eu plus de chance avec sa famille que Napoléon.

Extrait du Dictionnaire amoureux du Général (Plon, 2020) de Denis Tllinac

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