PHILIPPE DE GAULLE

par Philippe de Saint Robert

La mort de l’amiral Philippe de Gaulle m’atteint à l’étranger, me privant de me joindre au dernier hommage qu’on lui rend. Cet hommage fait figure de révélation tant l’homme auquel il s’adresse fut modeste et réservé. Je ne suis pas sûr qu’il ait aimé l’ombre dans laquelle il dut vivre, mais il l’accepta avec le sens du devoir qui était le sien.

J’ai souvent rencontré Philippe de Gaulle et j’ai correspondu avec lui. Il eut la bonté de m’écrire que j’étais de ceux qui avaient le mieux compris son père. C’était moins un compliment qu’il voulait me faire qu’une distance qu’il voulait marquer avec des héritiers politiques qui ne se cachaient pas d’organiser des aggiornamentos avec l’essentiel de son grand dessein. La première fois que je le rencontrai, c’était à son bureau de l’avenue de Suffren. Il était encore sous l’uniforme après la mort du Général. Il me désigna un tiroir de son bureau pour me signifier que les héritiers de l’époque ne cessaient de le rappeler à son devoir de réserve. C’est pourquoi ce n’est que dans la dernière partie de sa vie qu’il se consacra à dire ce qu’il savait et ce qu’il avait vécu. Ces contributions demeurent essentielles au récit de l’histoire incarnée par le Général.

Ce sont deux grands témoignages qu’il nous laisse : ses Mémoires accessoires dont le titre est révélateur de l’humble rôle qu’il s’attribue, et deux volumes d’entretiens avec Michel Tauriac sous le titre De Gaulle mon père dans lesquels il n’a de cesse de compléter et de préciser l’image de son père. Sa contribution est sans égale, car aucun historien ne peut avoir l’éclairage de Philippe de Gaulle, non seulement parce qu’il était son fils, mais parce qu’il avait épousé et suivi sa cause dès la grande aventure de juin 1940.

Philippe de Gaulle écrit de son père : « Ce qui intéresse chez lui, c’est non seulement l’homme d’Etat qui a marqué fortement et incomparablement son pays et son siècle dans toutes les situations ou les circonstances auxquelles il a dû faire face, mais aussi l’homme intime en qui chacun s’efforce de découvrir la personnalité profonde, sinon les secrets de sa réussite. En dépit des apparats officiels, des froideurs de la souveraineté nationale, des réserves de la hiérarchie, auxquels est astreint celui qui doit assumer les plus hautes fonctions de la République au nom du peuple français, Charles de Gaulle aimait la simplicité dans sa façon de vivre en privé et il était doué d’une profonde sensibilité de cœur. [1] »

Le fils du Général a toujours insisté sur ce côté sensible de son père qui n’apparaissait pas en public : « Toute ma vie, écrit-il, j’ai eu le privilège de me faire une certaine idée de mon père, du général de Gaulle, dont je voudrais qu’elle fût partagée par le plus grand nombre possible, lui qui avait eu la qualité, à un degré exceptionnel, de se faire une certaine idée de la France[2] »

Les pages peut-être les plus émouvantes que livre Philippe de Gaulle à Michel Tauriac dans ses entretiens sont celles consacrées à Mme de Gaulle lorsqu’il évoque devant lui les derniers jours de sa mère à la lumière de la foi chrétienne qui a toujours été la source spirituelle de sa famille, même si le Général n’en parlait que discrètement à la fin de ses discours de vœux de fin d’année en invoquant la protection de Dieu. On y apprend que Mme de Gaulle a confié à son fils un billet manuscrit du Général qui lui avait été porté par un officier de son état-major en juin 1943, en Grande-Bretagne où elle était restée avec ses deux filles alors que le Général venait d’arriver à Alger, billet qu’elle gardait précieusement. Philippe de Gaulle confie : « Il en dit long sur l’amour que mon père éprouvait pour elle. Je vous le livre :

Il est là qui écrit à son bureau. Il a devant lui le portrait de sa chère petite femme chérie qu’il admire et qu’il aime tant ! Et voilà que, du coup, tout son amour lui remonte au cœur et il se dépêche de le dire à Yvonne. Tous les deux, bien appuyés sur l’autre physiquement et moralement nous irons très loin sur la mer et dans la vie pour le meilleur et pour le pire.

Charles [3]

Il est éclairant de voir que ni Charles de Gaulle, ni Yvonne de Gaulle, ni Philippe de Gaulle n’ont eu besoin qu’on leur enseigne par voie législative comment mourir dans la dignité.

[1] Philippe de Gaulle, De Gaulle, éditions France Loisirs, 1990, p. 6.

[2] Ibid., p. 7.

[3] Philippe de Gaulle, De Gaulle mon père, Entretiens avec Michel Tauriac, Tome 2, Plon, 2004, p. 530.

X