« Georges Pompidou m’a paru capable et digne de mener l’affaire à mes côtés. Ayant éprouvé depuis longtemps sa valeur et son attachement, j’entends maintenant qu’il traite, comme Premier ministre, les questions multiples et complexes que la période qui s’ouvre va nécessairement poser. En effet, bien que son intelligence et sa culture le mettent à la hauteur de toutes les idées, il est porté, par nature, à considérer surtout le côté pratique des choses. Tout en révérant l’éclat dans l’action, le risque dans l’entreprise, l’audace dans l’autorité, il incline vers les attitudes prudentes et les démarches réservées, excellant d’ailleurs dans chaque cas à en embrasser les données et à dégager une issue. Voilà donc que ce néophyte du forum, inconnu de l’opinion jusque dans la cinquantaine, se voit soudain, de mon fait et sans l’avoir cherché, investi d’une charge illimitée, jeté au centre de la vie publique, criblé par les projecteurs concentrés de l’information. Mais, pour sa chance, il trouve au sommet de l’État un appui cordial et vigoureux, au gouvernement des ministres qui, dévoués à la même cause que lui, ne lui ménagent pas leur concours, au parlement, après la courte épreuve du référendum et des élections, une majorité compacte, dans le pays une grande masse de gens disposés à approuver de Gaulle. Ainsi couvert par le haut et étayé par le bas, mais en outre confiant en lui-même à travers sa circonspection, il se saisit des problèmes en usant, suivant l’occasion, de la faculté de comprendre et de la tendance à douter, du talent d’exposer et du goût de se taire, du désir de résoudre et de l’art de temporiser, qui sont les ressources variées de sa personnalité. Tel que je suis et tel qu’il est, j’ai mis Pompidou en fonction afin qu’il m’assiste au cours d’une phase déterminée. Les circonstances pèseront assez lourd pour que je l’y maintienne plus longtemps qu’aucun chef de gouvernement ne l’est resté depuis un siècle. »

Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, tome 2. Plon, 1971

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