DU FUJI À L’ATHOS PAR L’AMÉRIQUE
d’Olivier Germain-Thomas

Collection « Le sentiment géographique », éditions Gallimard, 2022

Voilà un grand livre, qui semble échapper à nos feuilletonistes professionnels qui se tiennent à l’ombre des éditeurs. Olivier Germain-Thomas a eu un passé politique ; il l’a quitté par lassitude bien que sa famille politique eût incarné l’espérance de la France. Il se fit alors écrivain voyageur et nous envoya du monde entier des cartes postales illustrées. Il pense qu’il est impossible de renier sa tribu de naissance, mais précise : « Ce n’est pas l’air du temps qu’il faut insuffler – il est vicié –, c’est l’air du large. »

Son parcours va Du Fuji à l’Athos par l’Amérique. Le Fuji est devenu la proie des marchands, il « est retourné dans le magma de feu d’où il était sorti par une poussée écarlate en une somptueuse copulation de vie et de mort. » L’auteur s’interroge : « Les méditations, les rencontres de maîtres, les monastères… Fort bien ! Mais l’expérience asiatique a été aussi une voie de connaissance, d’aventures, et un réjouissement sensuel : odeurs, chants, sourires et nourritures. En route vers l’Amérique, il s’agit du même élan sur un nouveau théâtre. »

Le voyageur s’éprend alors des Amérindiens sur les pas évocateurs de Chateaubriand. Il visite les Navajos et les Hopis : « Natchez est une petite bourgade qui domine le Mississipi. Elle porte le nom d’une tribu indienne qui fut l’alliée des colons français avant de les attaquer en 1729. (…) Chateaubriand qui, fuyant la Révolution, arriva en Amérique en 1791 s’intéressa à ce morceau d’histoire. »

Assistant par permission spéciale à une cérémonie sacrée des Hopis, l’auteur s’abandonne à prendre des photos, ce qui lui vaut un affrontement avec un natif qui lui dit : « Maintenant ce sont les Blancs qui vont mourir. » Pourquoi : « Parce que vous ne savez pas parler à vos ancêtres. Ils ne vous protégeront pas. Vous souffrirez. » L’auteur ressent que l’absence de progrès est « un gage de pérennité tandis qu’il a ouvert leur tombeau à l’arrivée des colons. »

La nature sacralisée que recherche et rencontre le voyageur le conduit à de profondes réflexions. « Est-ce la peur du réel qui pousse à vivre protégé par un monde imaginaire ? » Abordant l’Amérique il remarque : « La solide identité de ces États néanmoins unis s’est faite autour de la démocratie et du libéralisme économique devenus des dogmes. Quasi impossible de penser en dehors de ces deux principes érigés en vérités universelles, ce qu’ils ne sont pas comme l’avenir le démontrera. » Il ajoute : « Sur la carte de la terre, il est banal de constater que la plupart des peuples et cultures s’attachent d’autant plus à leurs racines qu’ils les sentent menacées. »

L’auteur voulait revoir le mont Athos, mais cela lui fut interdit à cause des restrictions sanitaires. Il revit au pied de ce lieu sacré les souvenirs de sa visite ancienne de dix ans, mais il reste imprégné par ces spiritualités orientales qui nous portent sans détruire nos bases. Il y reçoit la richesse de l’orthodoxie comme une antique source jamais épuisée. Pour lui, l’erreur est d’avoir oublié les dieux : « Il ne s’agissait pas de croire en eux, mais de mettre des figures sur les phénomènes naturels, de l’amour à la mort, en passant par le soleil, le Temps, l’indolence ou la meule à grains. » Pour Olivier Germain-Thomas, Dieu est énergie et il voit la lumière comme l’ombre que Dieu fait sur la terre.

Ce livre ai-je dit est un grand livre, ou plutôt un grand poème dédié à l’émotion que procurent l’eau et la terre, un poème dédié à l’univers entier.

Philippe de Saint Robert

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