« LA MANO EN LA MANO »

par Philippe Goulliaud,
Journaliste*

*Co-auteur avec Caroline Pigozzi de l’ouvrage Les photos insolites de Charles de Gaulle (Paris, éditions Gründ, Plon, 2019).

Drapeaux français et mexicains, guirlandes, confettis, ballons aux couleurs de la France et du Mexique – bleu blanc rouge et vert blanc rouge -, portraits gigantesques du général de Gaulle et de son homologue mexicain Adolfo Lopez Mateos, Sur les huit kilomètres qui séparent l’aéroport de la grand-place de Mexico, le Zocalo, 800 000 personnes sont rassemblées pour fêter le président de la République française dans une atmosphère de parade américaine. Sur le passage du cortège, des mariachis, groupes de musique populaire traditionnelle, interprètent des airs mexicains mais aussi « La Marche lorraine » ou « La Vie en rose ».

C’est un triomphe digne d’un Empereur romain qui est réservé au général de Gaulle tout au long de sa visite officielle au Mexique, du 16 au 18 octobre 1964, il y a tout juste soixante ans.

A son arrivée à Mexico, le président français prononce un discours en espagnol devant la foule immense rassemblée sur le Zocalo. Le général ne parle pas espagnol mais par courtoisie il a l’habitude d’apprendre par cœur ses discours, en tout ou en partie, dans la langue du pays qu’il visite.

La conclusion de son allocution, prononcée avec un accent français si caractéristique, est restée célèbre. Elle a marqué les esprits : « He aqui, pues, lo que el pueblo francés propone al pueblo mexicano: ¡Marchemos la mano en la mano y viva México! » [« Voici donc ce que le peuple français propose au peuple mexicain : marchons la main dans la main et vive le Mexique ! »] Des paroles qui déclenchent un tonnerre d’applaudissements.

A chaque étape de ce voyage, au cours duquel de Gaulle prononcera pas moins de 39 allocutions, l’enthousiasme grandit. Notamment le 18 mars à l’Université de Mexico, au dernier jour de cette visite historique.

Le peuple mexicain applaudit l’Homme du 18 juin, la figure légendaire, mais aussi l’inlassable avocat du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le président de la République française qui, partout dans le monde, plaide pour l’indépendance des peuples et l’autonomie dans un monde bipolaire où s’affrontent les États-Unis et l’Union soviétique, le capitalisme et le communisme.

La visite du général de Gaulle s’inscrit dans une volonté de renforcer les liens de coopération technique, économique, scientifique mais aussi le dialogue politique entre la France et le Mexique, désireux de ne pas rester enfermé dans une relation exclusive avec le grand voisin américain. La France se démarque, non sans hauteur et sans ambition, de la politique des blocs et offre aux pays en développement, en Afrique, en Asie mais aussi désormais en Amérique latine, une forme de troisième voie. Ce que les États-Unis ne voient évidemment pas d’un bon œil.

Dans cette logique de rapprochement franco-mexicain, en mars 1963, un an avant d’effectuer son voyage à Mexico, le Général avait reçu officiellement à Paris Adolfo Lopez Mateos pour la première visite officielle en France d’un chef d’État mexicain.

Du 20 septembre au 16 octobre 1964, Charles de Gaulle retourne en Amérique latine. Au programme de ce long périple, dix pays sud-américains : Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou, Bolivie, Chili, Argentine, Paraguay, Uruguay et Brésil.

Là encore, l’accueil est enthousiaste. Là encore, le Général encourage ces pays de culture latine, anciennes colonies de l’Espagne ou du Portugal, à s’émanciper des deux super-puissances, les États-Unis qui les considèrent comme leur pré carré et l’URSS dont Cuba est le relais depuis 1959.

Ces voyages sans précédent n’ont pas durablement marqué le début d’une ère nouvelle de coopération entre la France et l’Amérique latine. Mais le général de Gaulle est porteur d’un message que résume Régis Debray, condamné à 30 ans de prison par le régime bolivien, dans une lettre qu’il lui adresse en 1967. « La dignité qu’ils (les révolutionnaires sud-américains) cherchent à retrouver pour eux-mêmes et pour leur pays, votre nom l’incarne (…). Dans les montagnes, quand on écoute, le soir, autour du feu, les radios étrangères, on est heureux de capter la voix de la France qui, lointaine, inintelligible pour beaucoup, discordante parfois, alimente néanmoins l’espoir. »

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