Photographie d’illustration : © collection de la Fondation Charles de Gaulle

DANS L’HÉRITAGE SOCIAL DU GÉNÉRAL DE GAULLE,
LA SÉCURITÉ SOCIALE, L’ÉDUCATION, LA FORMATION PROFESSIONNELLE, LA PARTICIPATION, LE SPORT…

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

Affiche d’illustration : © collection de la Fondation Charles de Gaulle

Tout au long de sa vie, le général de Gaulle a fait preuve d’humanisme et montré par ses propos, ses écrits et ses actes l’attention qu’il portait à la question sociale et aux conséquences de l’organisation sociale sur la vie de l’individu. La tradition familiale, ses lectures, ses entretiens avec des écrivains, des philosophes, l’attention particulière qu’il portait à la pensée sociale du XIXe siècle et du début du XXe, son intérêt pour la conception du rôle social de l’officier, exposée dans le numéro de mars 1891 de la Revue des deux mondes par un grand militaire comme Hubert  Lyautey, ont forgé sa pensée et inspiré une action politique visant à dépasser les clivages  pour transcender les divisions et diminuer la fracture sociale en rassemblant les Français autour d’une « certaine idée de la France », ferment de l’unité nationale.

La tradition familiale

De prime abord, Charles de Gaulle n’est pas un penseur social. Mais par l’éducation qu’il a reçue, par ses nombreuses lectures, par une tradition familiale influencée par le catholicisme social des familles du Nord au XIXe siècle, confrontées aux inégalités autant qu’au développement de l’industrie, à un patronat traditionnellement paternaliste mais familier des négociations collectives, Charles de Gaulle a pu observer les dérives du capitalisme et, progressivement, se forger une conception de l’économie de marché et des relations sociales fondée sur un souci d’indépendance nationale, de grandeur de la France et de cohésion de sa population.

Dans un essai sur « La pensée sociale du général de Gaulle face à l’héritage du catholicisme social », le professeur Philippe Levillain, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, a estimé que « le général de Gaulle n’est pas un doctrinaire, mais un pragmatique… ». Il a « une haute conception du rôle régulateur de l’Etat, ni providence, ni gendarme, mais autorité d’arbitrage dont le rôle est défini par des institutions démocratiques ».

Le professeur René Rémond, lorsqu’il présidait la Fondation nationale des Sciences politiques, considérait pour sa part que Charles de Gaulle n’a pas cherché à être un penseur social mais qu’à ses yeux « la paix sociale peut être la condition d’une action efficace pour une grande politique ».

Les lectures

Le professeur Alain Larcan, qui a présidé le Conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle de 1999 à 2011, s’est, lui aussi, penché sur les références aux grands écrivains et penseurs faites par le général de Gaulle dans ses différents ouvrages.

S’agissant des catholiques sociaux, Larcan relève qu’à différentes reprises, l’auteur mentionne « Albert de Mun, René de La Tour du Pin, le Père de Pascal, Frédéric Le Play, Marc Sangnier, Eugène Duthoit, bref les fondateurs les plus en vue du catholicisme intransigeant (de Mun, La Tour du Pin), les théoriciens les plus revendiqués par les catholiques sociaux (Le Play, le Père de Pascal), le fondateur d’un mouvement de résurrection du Christianisme par la démocratie (Marc Sangnier) et un grand pédagogue de la doctrine sociale de l’Eglise (Eugène Duthoit) ».

Larcan observe que Montalembert, Lacordaire, Lamennais, les premiers catholique sociaux étudiés par Jean-Baptiste Duroselle dans son célèbre ouvrage sur « Les débuts du Catholicisme social en France » (1822-1870) « apparaissent également et pas moins que Proudhon et Marx ».

Il mentionne aussi Péguy et le Père dominicain Ducatillon (Professeur à l’Institut catholique de Paris et Provincial de France de son ordre en 1954) que Charles de Gaulle a rencontré par l’intermédiaire du philosophe Daniel Rops. Il convient d’y ajouter Georges Bernanos, Jacques Maritain et Emmanuel Mounier.

Mais Philippe Levillain estimait qu’il n’est pas aisé d’identifier rigoureusement dans l’Histoire les fondements intellectuels du comportement d’un chrétien. Le général de Gaulle alimentait sa foi et sa sagesse chrétienne par ses conversations et ses lectures. Mais il ne s’exposait pas et Levillain a estimé que « la réserve du croyant rencontrait probablement la réserve du militaire ».

Les semaines sociales

On peut aussi considérer avec cet éminent spécialiste que l’enseignement social de l’Eglise dispensé par différents conférenciers dans le cadre des Semaines sociales de l’Eglise organisées à partir de 1904 et auxquelles participait Gustave de Corbie, oncle maternel et parrain de Charles de Gaulle, a pu « enrichir la sensibilité sociale de son filleul et sa conscience d’une France des villes et des villages marquée par des disparités sociales et par un patriotisme confortant sa cohésion…mais appelant au dévouement des classes supérieures vis-à-vis des classes laborieuses et à un rôle social des élites pour éviter que l’Homme soit asservi par les machines du modernisme ».

Une vision humaniste

On peut ainsi observer que les déclarations et les actes du général de Gaulle, de la Seconde guerre mondiale (Discours d’Oxford) à son retrait de la vie publique en 1969 s’inspirent d’un constant souci d’organiser la société au service de l’Homme tout en préservant ses libertés sans pour autant que celles-ci affaiblissent l’intérêt collectif.

Il développe largement cette conception dans ses mémoires, tout en y affirmant l’importance de l’éducation et de l’école. Il évoque ainsi dans ses Mémoires d’espoir « la tradition d’une République qui se veut pédagogue et éducatrice ».

Comme on le sait, dès son retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle a traité d’abord les dossiers relevant de l’unité nationale : l’Algérie, les rapports d’association qui se substituent à la souveraineté de la France dans l’Union française et le statut de l’enseignement privé qui met fin à de longues années de rapports conflictuels. Et la mise en œuvre du Marché commun lui inspire un nationalisme pragmatique : « Puisque, en notre temps, la France doit se transformer pour survivre, elle va dépendre plus que jamais de ce que vaudra l’esprit de ses enfants à mesure qu’ils auront à assumer son existence, son rôle et son prestige… Ce qui est nouveau, c’est le Marché commun et le Traité de Rome. Il s’agit que l’enseignement qui leur soit donné, tout en développant comme naguère leur raison et leur réflexion, réponde aux conditions de l’époque qui sont utilitaires, scientifiques et techniques ».

Pierre Laurent, secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale dans les années 1960 a précisé lors d’un colloque organisé en 2003 par l’Institut Charles de Gaulle que le général de Gaulle avait une conception de la culture intégrant non seulement l’enseignement traditionnel mais aussi la formation scientifique et technologique et que lorsqu’il était Président de la République il s’est investi personnellement dans la généralisation des brevets d’études professionnelles et, en 1966, dans la création des Instituts Universitaires de Technologie (IUT). A ses yeux, ceux-ci constituaient un outil essentiel de promotion sociale permettant à leurs élèves issus de familles ouvrières d’accéder au statut de cadre intermédiaire.

Par la suite, après les événements de Mai 1968, le général de Gaulle a décidé de tester la participation dans les universités, assurant à Michel Droit lors d’un entretien télévisé, le 10 juin 1968 : « Au lieu du capitalisme, du socialisme, il y a une troisième solution, c’est la Participation. Il faut que la refonte et le perfectionnement de l’Université se fassent avec la participation de ses maîtres et de ses étudiants ».

Hervé Gaymard a d’ailleurs souligné le 5 octobre 2015, lors d’un séminaire de la Fondation Charles de Gaulle qu’il préside : « Un lien est très tôt établi dans la pensée et dans l’action du général de Gaulle entre la démocratie politique, l’indépendance nationale et l’Etat social ».

L’évocation de cette vision humaniste éclaire l’entrée dans l’histoire du général de Gaulle.

Dès 1941, il a fait des conditions de vie et de la protection sociale un des fondements de la reconstruction du Pays. C’est le message qu’il adresse lors du discours qu’il prononce à Oxford le 25 novembre 1941, un mois à peine après la promulgation de la charte du travail par le gouvernement de Vichy, en octobre 1941 : « Si complète que puisse être un jour la victoire des armées, des flottes, des escadrilles des nations démocratiques, si habile et prévoyante que se révèle leur politique vis-à-vis de ceux qu’elles auraient, cette fois encore, abattus, rien n’empêchera la menace de renaitre plus redoutable que jamais, rien ne garantira la paix, rien ne sauvera l’ordre du monde, si le parti de la libération, au milieu de l’évolution imposée aux sociétés par le progrès mécanique moderne, ne parvient pas à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties, au point de lui paraitre plus désirables que n’importe quels avantages offerts par son effacement. On ne voit pas d’autre moyen d’assurer en définitive le triomphe de l’esprit sur la matière. Car, en dernier ressort, c’est bien de cela qu’il s’agit. »

Et le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance publie sous l’intitulé « Les jours heureux » un programme préconisant « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec une gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ».

Quelques semaines plus tard, le Gouvernement provisoire dirigé par le Général de Gaulle commence à remplacer l’organisation sociale du gouvernement de Vichy, notamment la « Charte du travail », en rétablissant les syndicats dans leurs biens et attributions existant avant la guerre (au 3 septembre 1939), en affirmant que « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes ET toutes les femmes de chez nous » [1] et en instituant une formule nouvelle de relations entre les travailleurs et les dirigeants : les Comités d’entreprises, au sein desquels les représentants syndicaux siègeront désormais, pour la première fois, aux côtés de ceux du patronat.

Puis deux ordonnances du 30 septembre 1944 établissent un mode de protection des travailleurs contre la maladie, les accidents du travail et le dénuement de la vieillesse, et, le 19 avril 1945, une autre ordonnance institue le régime particulier des Assurances Sociales Agricoles.

La création de la Sécurité sociale

Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui, un an après le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire, créent la Sécurité sociale, portent à l’évidence la marque de la Résistance. Elles sont préparées par un ministre, Alexandre Parodi, membre du Comité des experts dans la Résistance, le premier à porter le titre de ministre du Travail et de la Protection sociale, et sont prises par le gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle.

Dans son article 1er, l’ordonnance du 4 octobre dispose : « Il est institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature, susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportaient ».

Organisée dans un cadre professionnel et reposant sur l’assurance financée par des cotisations   assises sur le salaire, la protection des risques maladie et vieillesse est étendue à tous les salariés par une ordonnance du 19 octobre 1945 et sa gestion confiée à une caisse unique, tandis qu’une deuxième ordonnance publiée le même jour codifie la législation en vigueur et qu’une troisième ordonnance établit le nouveau statut de la mutualité.

Le général de Gaulle est ainsi parvenu à obtenir un consensus de toutes les composantes des mouvements de la Résistance sur la conception d’un système français de protection sociale qui, avant-guerre, était l’objet de divergences conflictuelles.

Un haut fonctionnaire issu du Conseil d’Etat, Pierre Laroque, qui a rejoint Londres en 1943, est choisi comme directeur général de la Sécurité sociale par le général de Gaulle. Il accomplit un important travail pour mettre en place les structures nécessaires et les dispositions relatives à l’application des différents risques à traiter : assurance maladie, retraite, accidents du travail, maladies professionnelles, allocations familiales et maternité [2].

En novembre 1945, Ambroise Croizat, député communiste, devient ministre du Travail. Il succède à Alexandre Parodi. La direction des organes de gestion est, dans le même temps, modifiée. Tout en restant autonomes et distinctes de l’Etat, les nouvelles caisses de Sécurité sociale sont administrées majoritairement par les représentants des assurés.

Brunot Valat, éminent spécialiste de l’histoire de la Sécurité sociale, a décrit Pierre Laroque comme « un exceptionnel maître d’œuvre, au point de susciter, sans l’avoir cherché, une sorte d’identification rétrospective entre sa personne et le plan fondateur de 1945 ».

Dès juillet 1946 le nouveau système commence à remplir sa mission. 80 ans plus tard, il bénéficie aujourd’hui à plus de 65 millions de Français couverts par le régime général de la Sécurité sociale qui verse chaque année 470 milliards d’euros de prestations aux assujettis.

Dans son livre « De Gaulle mon père », l’amiral Philippe de Gaulle évoque des propos tenus par son père, en juin 1963, sur la Sécurité sociale : « Quand je l’ai créée, j’avais les syndicats contre moi. Fidèles à leur tactique de lutte des classes, ils refusaient ce qui était octroyé et non pas arraché. Ils craignaient, en outre, de perdre le monopole des assurances sociales et des mutuelles catégorielles… Aussi ai-je d’abord obligé les patrons à assurer les inscriptions et la plus grande partie des cotisations. Puis les modalités auraient dû basculer progressivement au cours des décennies jusqu’à ce que chacun assume en totalité ses responsabilités… ».

L’extension de la protection sociale s’est poursuivie progressivement [3] lors du retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 : création de l’UNEDIC fin décembre 1958 pour assurer la gestion du risque chômage ; création d’un régime d’assurance maladie en 1961 pour les exploitants agricoles, en 1966 pour les professions indépendantes : artisans, commerçants, professions libérales (98% des Français étaient ainsi couverts en 1969, contre 53% en 1945).

L’historien Frédéric Tristram, maitre de conférences à Paris I Panthéon-Sorbonne, a montré que les mesures prises par ordonnances en août 1967, par Jean-Marcel Jeanneney, ministre des Affaires sociales, traduisaient ce souci de bonne gestion en divisant le régime général de Sécurité sociale en trois caisses spécialisées par risque et gérées paritairement par les syndicats et le patronat, comme l’était l’UNEDIC dès 1958.

D’importantes novations sont, en effet, intervenues le 21 août 1967 sous la forme de quatre ordonnances préparées par le ministre des Affaires sociales et co-signées par le Premier ministre Georges Pompidou et le ministre de l’Economie et des Finances, Michel Debré.

La première des 4 ordonnances instaure la séparation des risques, la gestion paritaire des caisses et la création de trois caisses nationales : la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). La gestion de la trésorerie commune est confiée à l’Agence centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS)

Les réformes du système médical et du logement

Le général de Gaulle, qui agissait souvent en dialoguant avec des hommes dont il appréciait la compétence et l’intégrité, a aussi initié une modernisation du système hospitalier par les ordonnances de décembre 1958 [4] inspirée largement par le Professeur Robert Debré, pédiatre de renommée mondiale, père de Michel Debré. A cette occasion les centres hospitaliers universitaires (CHU) ont été créés pour assurer une triple mission : les soins aux malades, l’enseignement et la recherche. Une réforme qui reste le symbole d’un changement de génération dans les hôpitaux.

La loi Boulin de décembre 1970 instituant la carte sanitaire recensant la totalité des lits et des équipements lourds, et divisant la France en secteurs sanitaires de 80 000 habitants par circonscription a complété cette réforme.

Précédemment, dès 1960, a été instaurée une actualisation des modalités de conventionnement des médecins libéraux pour rapprocher le prix des soins et le montant des remboursements.

Il convient, d’autre part, de rappeler que la loi du 13 juillet 1965 a marqué une étape importante des politiques de logement social en reconnaissant aux locataires d’immeubles HLM la faculté d’acquérir leur logement.

Ces différentes mesures sociales s’inscrivent dans la perspective des grands équilibres financiers voulus par le fondateur de la Ve République. Et si, dans les années soixante, la dépense sociale a sensiblement augmenté, les gouvernements ont eu le constant souci d’un financement qui ne se traduise pas par un endettement.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler qu’à l’époque, le redressement et la modernisation de l’économie ont assuré un véritable retour de la croissance, permettant à de nombreux ménages d’acquérir des biens d’équipements nouveaux : auto, télévision, électroménager, etc.

L’action éducative

Soucieux de concilier démocratisation et intérêt national, le général de Gaulle a toujours porté attention à la jeunesse et à l’éducation. D’abord en souvenir de son père qui fut un éminent professeur de lettres classiques, de philosophie et d’histoire/géographie ; mais aussi parce qu’à ses yeux l’évolution de la France et du monde imposait une adaptation de notre Pays.

Il en évoque la perspective dans ses Mémoires d’espoir : « puisque, en notre temps, la France doit se transformer pour survivre, elle va dépendre plus que jamais de ce que vaudra l’esprit de ses enfants à mesure qu’ils auront à assumer son existence, son rôle et son prestige… Il s’agit donc que, sans leur inculquer… ce qu’ils devront penser et croire, on se garde de stériliser chez eux les élans et les espérances. Il s’agit aussi que l’enseignement qui leur est donné, tout en développant comme naguère leur raison et leur réflexion, réponde   aux conditions de l’époque qui sont utilitaires, scientifiques et techniques ».

Conformément à sa déclaration du 2 mars 1945 à l’Assemblée consultative provisoire son objectif en 1958, est aussi de former « les 12 millions de beaux bébés qu’il faut en dix ans à la France » car « pour que la fécondité règne à nouveau (après la guerre), il faut aussi une réforme profonde de l’éducation ».

Selon le général de Gaulle, l’Etat a donc une responsabilité en matière d’éducation et de formation, notamment en évaluant les besoins, en organisant l’action éducative et en orientant les jeunes vers les voies qui leur conviennent et dont les compétences conviennent aux besoins de la France dans un monde qui se modernise et dont la vie économique va connaitre des mutations dans différents domaines. L’enseignement dispensé doit donc préparer ses bénéficiaires au changement.

Dès janvier 1959, la scolarité obligatoire est prolongée par ordonnance, les collèges d’enseignement général succèdent aux anciens cours complémentaires et sont suivis d’une classe terminale de troisième. Les filières demeurent distinctes pour faciliter l’orientation des élèves soit vers l’enseignement court, soit vers l’enseignement long et le baccalauréat, soit vers l’enseignement professionnel ou technique court.

La situation détériorée de l’enseignement privé au retour du général de Gaulle en 1958 le conduit aussi, dès la formation du gouvernement suivant son élection à la présidence de la République, à recommander au Premier ministre Michel Debré et à son ministre de l’Éducation nationale, le socialiste André Boulloche, compagnon de la Libération, d’examiner dans leur ensemble les modalités et les conditions de l’aide publique à l’enseignement privé [5].

La loi du 31 décembre 1959 promulguée le 3 janvier 1960 tente alors de mettre fin aux querelles scolaires en instaurant un système de contrats entre l’Etat et les établissements d’enseignement privé qui le souhaitent. L’Etat proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts. Une aide publique est octroyée aux écoles privées mais en contrepartie leurs programmes doivent être conformes à ceux de l’enseignement public, l’inscription des enfants qui ne partagent pas la même religion que l’établissement scolaire ne peut être refusée et une inspection régulière y est obligatoire.

85% des établissements privés ont, à l’époque opté pour la conclusion d’un accord avec l’Etat, la plupart choisissant le contrat simple (la rémunération des enseignants y est financée par l’Etat) mais sans « l’association » (l’Etat participe aussi aux dépenses de fonctionnement) dont la contrepartie était un contrôle pédagogique de même type que pour l’enseignement public.

Alors qu’aujourd’hui plusieurs groupes parlementaires et de nombreux experts s’interrogent sur un « abaissement » du niveau d’enseignement dans de nombreux établissements scolaires publics, en évoquent les dérives, parfois l’insécurité (harcèlement, irrespect, désobéissances, violences qui traduisent l’insuffisance éducative de certains parents …) et dénoncent l’insuffisance des mesures mises en œuvre pour tenter d’y remédier, différentes enquêtes montrent que de nombreuses familles choisissent l’école libre. Ce n’est cependant pas son rôle de répondre aux difficultés actuelles qui sont d’abord sociétales.

Beaucoup d’établissements ont, toutefois, pu s’ouvrir à toutes les classes sociales. Et si la place de l’enseignement libre en France continue à susciter différentes contestations, la loi Debré a le mérite d’avoir établi formellement, dès 1960, la liberté d’enseignement. On a même vu, récemment, le lycée musulman Averroès de Lille signer un contrat d’association avec l’Etat.

Trois ans plus tard, en 1963, le général de Gaulle se prononce pour la mise au point de dispositions de sélection et d’orientation. En 1965, les baccalauréats sont répartis en cinq voies dont une technique et en octobre de la même année ouvrent, à titre expérimental, les quatre premiers IUT à Rouen (spécialité chimie), Nancy (spécialité biologie appliquée), Paris (spécialité électronique) et Toulouse (spécialité construction mécanique).

Ces Instituts Universitaires de Technologies dispensent une formation diplômante ‘’courte’’ qui va permettre à des jeunes issus de milieux modestes de devenir cadres moyens en trois ans puis, par la formation professionnelle, d’accéder à des postes d’encadrement supérieur tout en incitant les entreprises à participer à la promotion sociale en évitant de laisser une place trop prépondérante aux diplômés des grandes écoles.

Le décret du 7 janvier 1966 a ensuite institué onze IUT dont certains dédiés à des disciplines nouvelles utiles au développement des entreprises comme l’informatique.

En 1966, les établissements scolaires de l’enseignement secondaire sont dotés de conseils d’orientation à la fin de la troisième et le principe est posé de la prise en compte des aptitudes individuelles et des besoins de la nation.

Après les mouvements universitaires de 1968, la loi d’orientation de l’enseignement supérieur (dite loi Edgar Faure) adoptée le 12 novembre 1968 à l’unanimité s’efforce de répondre aux besoins d’organisation et introduit la participation dans le mode de fonctionnement des universités. Il a fallu toute l’autorité du général de Gaulle pour faire adopter cette réforme à ses yeux essentielle.

La Participation et ses perspectives

L’ambition sociale du général de Gaulle visait à promouvoir une conception de l’Homme qui donne un véritable sens à sa vie sociale et à celle des autres. La Participation et l’intéressement représentent, effectivement, un autre apport essentiel à sa politique sociale.

Dès le 7 janvier 1959 une première ordonnance a prévu un certain nombre de dispositions en faveur des entreprises appliquant à titre facultatif un système d’intéressement. Mais la Participation envisagée par le général de Gaulle ne correspond pas seulement à une petite ligne sur la feuille de paye et va bien au-delà d’un simple aménagement du droit du travail. Elle représente, en fait, dans notre monde exposé à des tensions, des rivalités et des évolutions technologiques qui fragilisent l’emploi une voie incontournable pour apaiser les craintes et raviver un dialogue plus confiant entre tous ceux pour lesquels l’avenir reste toujours à construire ensemble.

Pour le général de Gaulle, l’idée d’une association « capital-travail » ardemment soutenue par quelques gaullistes de gauche (Louis Vallon, René Capitant, Philippe Dechartre…), visait à favoriser la participation des salariés aux grandes destinées de l’entreprise afin d’agir de concert avec l’association des actionnaires pour définir un projet commun de développement, profitable aux deux parties.

Ce faisant, en dépit des conceptions plus conservatrices et des avis mitigés des élus gaullistes, il s’agissait de réduire les antagonismes et les conflits d’intérêts tout en aidant les travailleurs à sortir d’une sujétion aux exigences du capitalisme, à la dépendance technique de la machine et au travail.

Le 22 juin 1967, une loi habilite le gouvernement à prendre les mesures propres « à assurer la participation des travailleurs aux fruits de l’expansion » puis l’ordonnance du 17 août rend obligatoire l’intéressement et ouvre le champ à la négociation entre employeurs et salariés [6].

Le rapport au Président de la République qui précède cette ordonnance sur la participation des salariés expose que « Les efforts entrepris à la libération de la France voici plus de vingt ans maintenant ont permis une amélioration considérable de la condition des travailleurs : l’institution de la sécurité sociale et des allocations familiales, l’augmentation régulière des rémunérations, la législation protectrice en matière d’emploi leur ont permis d’atteindre un niveau de vie plus élevé et de bénéficier d’une sécurité plus grande.

Mais il apparaît désormais qu’une étape nouvelle doit être franchie : il faut faire participer les travailleurs à l’expansion des entreprises et les y intéresser directement, et cela d’autant que le Vème Plan subordonne justement la croissance économique à une augmentation des investissements dus principalement à l’autofinancement ; dès lors, le progrès, œuvre de tous, doit être pour tous une source d’enrichissement, ce qui signifie que tous doivent prendre une part de l’accroissement du capital qu’il entraîne.

Sans doute l’ordonnance du 7 janvier 1959 avait-elle prévu un certain nombre de dispositions en faveur des entreprises appliquant à titre facultatif un système d’intéressement ; mais il est maintenant indispensable que l’association des travailleurs à l’expansion et à la répartition de ses fruits prenne un caractère obligatoire. C’est ce qu’a voulu le Parlement en votant l’article 33 de la loi du 12 juillet 1965.

Dans le même temps, une telle réforme sociale doit concourir à la marche et aux progrès de l’économie et en particulier accroître les capacités d’investissement des entreprises. En outre, un régime de participation, sans diminuer en rien l’autorité de la direction, peut favoriser l’établissement de rapports nouveaux entre salariés, représentés par leurs syndicats, et patrons… ». [7]

Après les événements de Mai 1968, marqués par les contestations étudiantes, la Participation a été aussi appliquée à l’université et a inspiré la loi d’orientation de l’enseignement supérieur projetée par Edgar Faure puis adoptée grâce au soutien du général de Gaulle.

A la suite des mouvements sociaux des années 1960-1970 et des évolutions de la société, différentes formes d’association des citoyens au processus de décision politique ont, d’autre part, été progressivement mis en place.

Une conception humaniste et pragmatique de la politique

La politique prend toute sa valeur dès lors qu’il s’agit de servir l’Homme. Dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat soumis par referendum le 27 avril 1969, le général de Gaulle interrogeait les Français : « Comment ne pas reconnaitre que si l’impulsion de l’époque transforme matériellement notre Pays dans ses profondeurs, elle lui impose, en même temps, de changer les conditions morales et sociales de son existence ? ».

Il s’agissait pour lui d’établir des structures permettant à l’Etat de dialoguer avec les élites montantes dans les différentes régions et d’envisager avec leurs représentants les incidences de l’ouverture du marché commun et les effets du développement des échanges dans le contexte de l’époque, marqué par la guerre froide et les tensions Est-Ouest.

Nul ne peut contester la continuité et l’importance de l’œuvre sociale du général de Gaulle et des gouvernements qu’il a présidés après la Seconde guerre mondiale puis de 1958 à 1969.

Les différentes mesures mises en œuvre durant ces années sans négliger le rôle des forces vives de la Nation ont permis à la fois le redressement de la France et un renouveau de la vie sociale que ses successeurs se sont efforcés de poursuivre dans un contexte économique marqué par la modernisation des outils de production, le développement des échanges, la mondialisation de la compétition et des environnements politiques intérieurs et extérieurs souvent différents d’un président de la République à l’autre.

Bernard Ducamin, membre du Conseil d’Etat, qui fut chargé de la préparation des conseils des ministres ainsi que des questions constitutionnelles, juridiques et judiciaires au cabinet du général de Gaulle à l’Elysée, a rappelé lors d’un colloque organisé par l’université Lille III en décembre 1989 que « Ce qui crée une difficulté dans l’appréhension de la pensée sociale du général de Gaulle, c’est qu’il entend mettre les choses dans l’ordre… Il faut une économie saine, une industrie puissante… ; on ne fait une politique sociale en profondeur que si l’on a modernisé le Pays. Il y a donc des priorités. Et pour réussir, il faut qu’il tienne compte des circonstances et qu’il respecte les institutions qu’il a lui-même mises en place. Il a des ministres, il a un Premier ministre ; il convient que ce soient ces hommes, chacun à sa place, qui réalisent les objectifs qu’il a fixés ».

L’historien Pierre Manenti estime pour sa part, dans son « Histoire du Gaullisme social » [8], que « le gaullisme s’est toujours soucié des plus faibles, des plus nécessiteux, de ceux qui en ont besoin. L’ambition du gaullisme, c’est un Etat ni capitaliste, ni socialiste, mais une troisième voie à la française, c’est-à-dire où un Etat interventionniste, participationniste et libéral… ».

Dans son livre « Michel Debré, l’architecte du Général » [9], Patrick Samuel évoque le lien d’estime et de confiance unissant le général de Gaulle à son premier Premier ministre.

De son côté, Alain Juppé, le Premier ministre de Jacques Chirac, a souligné dans la revue ESPOIR (N° 171, hiver 2013) que « si le Président de la République veille au respect de la constitution, fixe les grandes orientations de la politique et assure par son arbitrage le fonctionnement des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat, le Premier ministre est chargé de conduire la mise en œuvre des grandes orientations ».

Le général de Gaulle n’avait donc aucunement l’habitude de faire remonter jusqu’à lui le détail des réformes préparées par le gouvernement. Leur inscription à l’ordre du jour d’une des réunions du Conseil des ministres suffisait pour en débattre quand il l’estimait utile.

Ainsi, Michel Debré a donc pu disposer d’un réel espace d’initiative dans ses attributions de chef du Gouvernement.

La Formation professionnelle

Chargé de mener le redressement de la France, Michel Debré estimait que l’avenir de notre Pays dépendait non seulement de la compétence des acteurs économiques, techniques et scientifiques, de leur faculté de s’adapter, mais aussi du social donnant aux Français la possibilité d’une promotion sociale et de rapports sociaux plus harmonieux.

Le général de Gaulle a donc rapidement perçu la pertinence des réflexions de son Premier ministre sur l’utilité de doter notre pays d’un système de formation « capable d’accompagner et de soutenir durant toute leur vie active travailleurs et cadres ».

L’historien de l’éducation, Pierre Benoist, auteur d’une « Histoire de l’éducation » parue en 2004, souligne ainsi que Michel Debré a marqué l’histoire de la formation professionnelle, d’abord en 1959 par une loi du 31 juillet sur la promotion sociale, suivie d’une autre, le 28 décembre, visant à favoriser la formation économique et sociale des travailleurs appelés à exercer des responsabilités syndicales ; puis, le 3 décembre 1966, en instaurant par une nouvelle loi les structures du système français de formation des adultes.

La loi relative à la promotion sociale visait à faciliter l’accès des travailleurs à un emploi de qualification supérieure dans l’entreprise. La loi de 1966 dite « d’orientation et de programmation sur la formation professionnelle » a établi, quelques années après, les bases institutionnelles d’une politique coordonnée et concertée tout en affirmant le principe du congé de formation.

Les principaux articles de cette loi fondatrice ont, par la suite, été repris, notamment dans la loi élaborée par Jacques Delors quand Jacques Chaban Delmas était Premier ministre de Georges Pompidou.

Une jeunesse forte pour assurer la relève…

L’éducation physique et les loisirs sportifs de la jeunesse ont également fait, dès 1947, l’objet de l’attention du général de Gaulle. A cette époque, la préoccupation est à la fois d’accompagner le baby-boom qui a suivi la Libération, en mettant en œuvre une politique de la jeunesse avec le souci d’éviter de l’embrigader comme l’a fait le régime de Vichy et d’éviter le risque d’une emprise idéologique des communistes sur les forces vives du Pays [10]. Mais il faut « régénérer une jeunesse fragilisée moralement et physiquement par la guerre », raviver ses espoirs car « cette jeunesse rendue forte ravivera la France ».

Les archives du RPF comprennent plusieurs rapports et de nombreux comptes-rendus de réunions consacrées à la jeunesse et à la réorganisation de l’éducation physique et sportive. Toute la jeunesse est concernée.

En 1947, une Commission nationale et un « Secrétariat Education physique et Sport » sont donc mis en place. L’un des principaux experts en est le professeur de médecine Paul Chailley-Bert, petit-fils de Paul Bert. Président du PUC (Paris Université Club), spécialiste de physiologie du sport et ami de René Capitant, il a été Commissaire de la République à Nancy à la Libération, puis se voit confier le poste de Conseiller national du RPF pour l’Education physique et le Sport.

De 1947 à 1951, les études et débats du RPF sur ces sujets ont permis de « penser de manières différentes l’avenir de la jeunesse et les représentations du progrès social ».

Les orientations présentées au général de Gaulle ont ensuite permis d’enrichir le programme mis en œuvre de 1958 à 1965 par Maurice Herzog , le vainqueur de l’Annapurna (le 3 juin 1950 avec Louis Lachenal) nommé Haut-Commissaire puis Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports dans le gouvernement de Michel Debré.

Dans un article publié en 2012 par la revue Inflexions [12], le général Jean-René Bachelet a rappelé à juste titre que Maurice Herzog a élaboré « la politique du Sport la plus ambitieuse, la plus globale et la plus cohérente qui ait jamais été conçue dans le Pays ».

Cette politique comprenait un volet militaire reflétant « la symbiose Armée-Nation dans le domaine du sport ». Dès 1959 est aussi instaurée l’obligation de prévoir des installations sportives dans tout nouvel établissement scolaire ou universitaire.

De 1960 à 1965, 2300 terrains de sport, 550 piscines et 1140 gymnases sont également réalisés après qu’à l’issue des jeux olympiques de Rome où la France n’a pas brillé le général de Gaulle ait affirmé : « Si la France brille à l’étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs. Un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif » [13].

En 1965, a pu être diffusé un remarquable « Essai de doctrine du sport », préparé sous la conduite de Jean Borotra par une commission de soixante spécialistes réunis par Maurice Herzog. La commission y intègre, notamment, l’existence d’un droit à la pratique sportive et à l’accomplissement sportif le plus complet tout en affirmant le caractère culturel, social et sanitaire du loisir sportif.

Dans sa préface, le Secrétaire d’Etat (auquel vont succéder les gaullistes François Missoffe (janvier 1966-30 mai 1968), Roland Nungesser, Joseph Comiti puis Pierre Mazeaud) rappelle, pour sa part, la place du sport dans les programmes d’éducation et souligne qu’il est « un exceptionnel moyen d’éducation, un précieux facteur d’épanouissement de la personnalité et un moyen de promotion humaine ».

En une vingtaine d’années, le sport de masse a donc pu fortement progresser, passant de 10% de jeunes sportifs assidus à plus de 45% au début des année 1970 et, selon l’IFOP, 78% des parents d’élèves du second degré considéraient alors que l’éducation physique et sportive permet de faire de meilleures études.

Pour pérenniser cette démarche, la loi Mazeaud, préparée par l’éminent juriste vainqueur de l’Everest (et futur président du Conseil constitutionnel) en concertation avec toutes les organisations intéressées, a établi en mai 1975 que les activités sportives font partie intégrante de l’éducation et sont inscrites dans tous les programmes de formation éducative.

Qu’il réside à Colombey-les-deux-Eglises ou qu’il soit en fonction à l’Elysée, le général de Gaulle n’a pas manqué de manifester son attachement aux sports, en assistant à plusieurs compétitions nationales, en recevant des athlètes et des champions au Palais de l’Elysée ou en regardant les reportages télévisés des grands événements en famille, à La Boisserie. Et aujourd’hui nos équipements sportifs sont, en dépit d’un récent déficit d’encadrement et d’une crise du bénévolat dans les clubs, désormais comparables en nombre et en qualité à ceux de nos voisins européens.

« La seule querelle qui vaille est celle de l’Homme »

La politique sociale menée immédiatement après la seconde guerre mondiale puis de 1958 à 1969 sous l’autorité du général de Gaulle a permis des avancées sociales significatives dans un constant souci d’application concrète de décisions mûrement réfléchies.

Qu’il s’agisse de l’élargissement de la protection sociale, de la santé, de la démocratisation de l’éducation, du sport, de l’accès au logement pour les familles à revenu modeste, des allocations de chômage, des conditions de travail, des retraites, de l’instauration du droit de vote et d’éligibilité des femmes, du soutien aux personnes défavorisées ou de la réduction de la pauvreté, les progrès réalisés ont incontestablement contribué à faire de la France une société plus juste et plus ouverte.

Seule une économie compétitive, des finances publiques solides et une approche humaniste à la hauteur d’une ambition partagée ont rendu possibles ces réformes.

Un enjeu permanent

Ces dernières années, la révolution numérique a commencé à transformer l’entreprise et permis de nouveaux progrès dans la vie humaine notamment en matière de santé, de travail, de loisirs et de communication. Il peut en résulter des formes nouvelles d’organisation et une évolution des processus de décision auxquelles les jeunes générations vont devoir s’adapter. L’important est qu’elles veillent à donner à la Nation un cadre politique qui donne à l’individu la maitrise de son destin et le rende compatible avec les principes républicains et les valeurs qui font la grandeur de la France.

Michel Debré, en 1978 écrivait dans le numéro d’avril de sa lettre mensuelle : « De  même que le général de Gaulle avait une certaine idée du rôle de la France dans le monde, concrétisé par la politique d’indépendance nationale et de coopération, de même qu’il avait une certaine conception de la démocratie, concrétisée par les institutions de la Ve République, de Gaulle avait une philosophie de la vie sociale résumée dans l’idée de participation, qui doit être perçue comme une troisième voie entre le capitalisme et le collectivisme. A ce titre, elle doit inspirer l’ensemble de notre vie sociale, de la base jusqu’au sommet ».

L’ancien Premier ministre estimait qu’un choix s’ouvre ainsi à la France : « d’un côté le laisser-aller, ce qui conduit à des mesures démagogiques (augmentations des loisirs, abaissement de l’âge de la retraite, distribution de revenus particuliers d’un total supérieur au revenu national), de l’autre le travail, l’épargne, l’investissement, l’exportation, qui imposent la solidarité civique et la participation des travailleurs ».

Vingt ans après un autre gaulliste éminent, Philippe Seguin s’exprimait à l’occasion de la Convention du monde du Travail organisée par le RPR le 22 novembre 1998 : « Nous ne croyons pas que la solution de la question sociale réside dans la seule application d’un système économique, qu’il s’appelle libéralisme, socialisme, monétarisme, ou autre. Nous revendiquons en la matière le pragmatisme. Mais un pragmatisme qui soit mis au service des valeurs permettant d’assurer à chaque homme sa place et sa dignité dans la société… ».

Tel est bien l’enjeu actuel : transcender les intérêts particuliers et les tensions sociales en recherchant l’intérêt supérieur et une vision à long terme, c’est-à-dire le Bien public source de cohésion nationale, d’équilibre de la société, de progrès dans la concorde et de réponse durable aux multiples défis de notre temps.

[1] L’ordonnance du 21 avril 1944 du Gouvernement provisoire du général de Gaulle portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération contient une décision historique. Son texte établit que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » (article 17). Les premières élections auxquelles les femmes ont participé sont celles d’avril-mai 1945.

[2] Un ouvrage, publié en 2020 retrace la démarche : la protection sociale avant 1944, la construction de la Sécurité sociale en 1945, les valeurs de sécurité, solidarité, dignité, prévention et démocratie sociale, les politiques de prestations légales (famille, santé, vieillesse, accident du travail, revenu minimum), l’action sanitaire et sociale, l’économie et de financement, les aspects internationaux, les bilans et l’avenir de l’avenir de la Sécurité sociale.
La Sécurité sociale de Pierre Laroque. Les Essentiels, 612 pages. Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale, sélections d’articles et écrits de 1932 à 1996, 15 euros.

[3] Après sa démission du Gouvernement le 20 janvier 1946, le général de Gaulle et certains de ses proches collaborateurs ont continué à réfléchir aux moyens de dépasser la lutte des classes et d’associer les travailleurs à la marche des entreprises. A cette fin, le fondateur du Rassemblement du Peuple Français a institué une commission de l’Association Capital-Travail au sein du RPF.

[4] Trois ordonnances dites « Debré » des 11, 13 et 30 décembre 1958 ont confirmé la vocation essentiellement sanitaire de l’hôpital, institué la double mission hospitalo-universitaire des CHU, réorganisé les études médicales et instauré l’exercice d’une médecine à plein temps dans les hôpitaux.

[5] Différentes mesures antérieures ont tenté de résoudre le problème récurrent du rapport entre l’enseignement libre et l’Etat. La loi du 28 juin 1833 a instauré la liberté pour l’enseignement primaire ; la loi du 15 mars 1850 (loi Falloux) l’a instaurée pour l’enseignement secondaire ; la loi du 18 juillet 1875 pour l’enseignement supérieur. A partir de 1951 une aide de l’Etat aux établissements d’enseignement libre a été instaurée par la loi Marie puis la loi Barangé. Mais la situation détériorée de l’enseignement privé au retour du général de Gaulle en 1958 l’a conduit à recommander au Gouvernement de se pencher sur ce problème, compliqué par l’action des laïcs et la pression des associations de parents d’élèves des écoles libres catholiques soutenus par l’Eglise de France.

[6] Le nombre d’actionnaires salariés passe de 200 000 à 2,5 millions de 1959 à 1972.

[7] La Fondation Charles de Gaulle a publié un intéressant dossier consacré à la Participation (Cahier spécial de la revue Espoir), 200 pages (mars 2024), 25 euros.

[8] « Histoire du Gaullisme social », 250 pages, Perrin (2021).

[9] « Michel Debré, l’architecte du Général », préfacé par Alain Peyrefitte, 528 pages, Perrin (2022).

[10] Comme l’a rappelé M. Luc Robène, professeur à l’Université de Rennes puis à celle de Bordeaux et spécialiste de l’histoire du sport, dans un ouvrage collectif paru en 2013, la refonte de l’éducation physique et de l’appareil sportif « dépolitisé » doit permettre de « tenir à distance les ‘’séparatistes’’ car dès avant la guerre, le Parti Communiste Français (PCF) a largement développé un vaste réseau associatif au service de la pratique populaire du sport ». Le titre de cet ouvrage est « Reconstruction physique et sportive en France sous la IVe République (1946-1958), Presses Universitaires de Caen, Pages 219-232.

[11] Maurice Herzog a été l’un des grands résistants en Haute Savoie. Devenu capitaine de Chasseurs Alpins, il a été responsable de la 2e compagnie du 27e BCA, reconstitué pour la campagne de l’hiver 1944-1945 sur les crètes frontalières de haute Tarentaise.

[12] Revue Inflexions, numéro 19 (2012), pages 111 à 115.

[13] Christine Lagarde, présidente de la BCE et ex-championne de natation synchronisée, a souligné récemment que « Les sportifs sont une source d’inspiration pour notre jeunesse, qu’ils réussissent ou qu’ils luttent héroïquement et qu’ils perdent ». Le Parisien du dimanche 10 mars 2024, page 5.

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