LA 1ère DFL PENDANT LA CAMPAGNE D’ITALIE

par Bernard Saint-Hillier

Quand le général de Gaulle lance le 18 juin 1940 son appel à la résistance, son message ferme, clair, incroyable est peut-être entendu mais il n’est alors guère écouté. Quelques centaines d’hommes seulement, en Grande-Bretagne et sur la terre d’Egypte, répondent à son appel ; ils forment le noyau de la 1ère DFL, ils furent les premiers soldats du général de Gaulle.

Durant cinq années de 1940 à 1945 suivant un périple parti du cercle polaire et passant par le cap de Bonne-Espérance, ils entreprennent une « épopée de reconquête » menée par des volontaires venus de France et de tous les coins de notre vaste Empire, depuis le Pacifique jusqu’aux Antilles, en passant par l’Indochine, les Indes, le Levant et l’Afrique.

Particulière, notre Division va l’être jusque dans sa conception. Le général Brosset aimait à dire qu’elle n’était « pas très classique, ni sortie d’un memento d’Etat-major ». Il ajoutait « Elle s’est formée en courant le monde ». Comme tous les meilleurs ouvriers de France, ses soldats ont fait leur tour d’Afrique, comme jadis les bons compagnons accomplissaient, pour s’affirmer, leur tour de France.

Les principales étapes de sa participation la guerre avant la campagne d’Italie sont, pour plus d’un millier des siens, la Norvège, le Gabon en 1940, l’Erythrée, l’Ethiopie et la Syrie en 1941, le désert de Libye avec Bir-Hakeim et El-Alamein en 1942, la Tunisie en 1943.

Notre Division se distingue des autres unités parce qu’elle est la seule à être constituée de volontaires rassemblés dans des corps de troupe appartenant tous à la France libre.

La rigueur avec laquelle ses chefs distribuent citations et distinctions, la modestie avec laquelle ils rendent compte de ses exploits guerriers ont fait que la Division est pratiquement inconnue, cependant 4 000 des siens ont payé de leur vie leur dévouement à la France.

Actuellement, on ne parle plus guère de cette glorieuse Division endormie dans la légende, grâce à vous, la 1ère DFL est à l’honneur aujourd’hui.

La campagne d’Italie

Quand le 13 mai 1943, les armées italo-allemandes capitulèrent en Tunisie, il était permis d’espérer, qu’après avoir livré ensemble de durs combats, les forces d’Afrique du Nord et celles de la France Libre allaient s’unir, pour mieux servir la France. Hélas, il n’en fut rien. L’accueil que l’armée d’Afrique du Nord réserve aux Français libres, manque de cordialité, de notre côté, le caractère passionné et intransigeant de nos volontaires, ne favorise guère le rapprochement. Or il fallait, sans perdre de temps, envisager l’avenir et dans cette perspective, penser à compléter nos rangs, qui se sont éclaircis au cours de nos campagnes. Heureusement, le prestige de notre chef, le général de Gaulle, et notre renommée attirent, à la Division, bon nombre de volontaires civils ou déjà militaires.

Le général Giraud attribue cet exode à une propagande intensive de notre part, il intervient donc auprès du Commandement allié et obtient que la Division soit refoulée, le 10 juin, en Tripolitaine, où elle se retrouve, au sein de la VIIIe Armée, dans un désert brûlant, qu’elle espérait bien ne plus jamais revoir. Il lui faut pourtant supporter l’attente.

Le 28 juillet, Germaine Sablon, résistante évadée de France avec le colonel Vautrin, chef d’Etat-major de la 1ère DFL, tué au cours de la campagne de Tunisie, vient nous apporter, par sa présence et son talent, un grand réconfort. Nous eûmes le privilège de l’entendre chanter ce jour-là, pour la première fois en public, le Chant des Partisans, dans le cadre exceptionnel des ruines du théâtre romain de Sabratha.

Enfin, à Alger, des négociations difficiles menées par le général Catroux aboutissent et les accords de Gaulle-Giraud du 31 juillet ramènent la Division, en Tunisie, dans la région de Nabeul-Hamamet.

Dans l’ordre du jour en date du 3 août qu’il adresse à ses « chers compagnons », le général de Gaulle écrit : « L’unité française est désormais refaite. Tout ce qui reste de forces disponibles se trouve rassemblé pour marcher à l’ennemi. Heureux d’être réunis dans une seule armée avec ceux dont vous avez été l’avant-garde, vous resterez vous- mêmes croisés à la Croix de Lorraine, constitués en unités fraternelles et exemplaires et combattants au premier rang jusqu’à la victoire totale ».

Le général Koenig devient sous-chef d’Etat-major du général commandant en chef, il quitte la Division. Le général Brosset, récemment promu, en prend le commandement. La 1ère DFL, sous l’impulsion de son chef jeune et impétueux, prend une physionomie toute nouvelle. Elle atteint un effectif de 18 500 hommes, grâce aux évadés de France qui arrivent toujours plus nombreux et toujours plus résolus, et aux 2 000 résistants corses qui apportent avec eux leur enthousiasme, mais elle n’accepte pas de porter le nom de 1ère Division motorisée d’infanterie que l’Etat-major prétend lui imposer.

Le 28 septembre 1943 le général Giraud qui porte le titre de « co-président du Comité de Libération nationale avec le général de Gaulle et commandant en chef » annonce sa venue ; ses services de propagande le précédent et la veille de son arrivée distribuent les textes de ses discours et des formules encore empreintes de souvenirs vichystes.

Le lendemain, la Division est sur le qui-vive, tous les volontaires portent ostensiblement la Croix de Lorraine sur le bras. Les honneurs une fois rendus, le général Giraud réunit les officiers et prononce un discours sur les enseignements tirés de son expérience de la guerre. Au général Brosset et à ses cadres qui sont jeunes et mènent, déjà, depuis quatre ans une guerre moderne, ces propos paraissent appartenir à un temps révolu. Au déjeuner l’ambiance est détendue, parce qu’il nous annonce l’envoi d’ici un mois de notre Division sur le front d’Italie.

Effectivement le 5 novembre 1943, le général Carpentier, chef d’Etat-major du Corps expéditionnaire français en Italie, vient nous avertir de notre rattachement au CEF, notre mouvement étant prévu à la fin de décembre. Le 24 novembre, à son tour, le général Juin inspecte la Division.

Sur ces entrefaites, le 5 décembre, un message annule notre affectation au théâtre d’opérations italien. Le général Brosset en réfère aussitôt au général de Gaulle : « Ma Division, écrit-il, n’existera qu’autant qu’elle se battra, composée de gens à l’ombrageuse susceptibilité, qui rêvent plaies et bosses, elle se désagrégerait si elle ne se battait pas ».

Or le général de Gaulle connaissait déjà la décision prise par le général Eisenhower, avec l’accord de Giraud, de remplacer la 1ère DFL par la 9e DIC, sous prétexte qu’il était impossible d’assurer la maintenance au sein de la Ve Armée américaine d’une division armée et équipée à l’anglaise. Il réagit aussitôt, sachant de plus que le général Giraud a accepté, en dehors de lui, comme condition au réarmement des divisions françaises, leur mise à l’entière disposition du Commandement américain. Le général de Gaulle ne peut admettre qu’une force française puisse être engagée, sans l’ordre du gouvernement français. Il notifie au général Eisenhower sa volonté : « La 1ère DFL ira en Italie et si le Commandement allié n’en veut pas, aucune division ne la remplacera ». Il y eut quelque tumulte dans les hautes sphères interalliées mais comme la présence d’une division supplémentaire était nécessaire en Italie, ce point de vue national l’emporta.

Ordre fut donné d’équiper la 1ère DFL en matériels et armement américain, au besoin en les prélevant sur d’autres unités d’Afrique du Nord.

Le 21 avril, enfin, la Division vogue vers l’Italie par un temps superbe sur une mer tranquille. Le général Brosset et moi-même, son chef d’Etat-major, nous gagnons Naples par avion. Le pilote nous fait survoler le Vésuve en éruption, la lave dorée coulant le long du cône du volcan entoure des maisons et envahit les champs. Nous apercevons Pompéi, dont les Américains ont amélioré les ruines en y déversant 200 tonnes de bombes le jour de leur arrivée.

Après son débarquement à Naples, la Division se regroupe dans la région montagneuse et pittoresque d’Avelino. Elle est à peine installée, que les « Podestats » et les « Mamma » de Frigano Maggiore viennent à l’Etat-major crier leur peur des Africains : « I Neri, I Neri ». Aucune trace du régime fasciste de Mussolini ne subsiste, pas même dans la mémoire des Italiens que nous interrogeons.

Dès notre arrivée, les Allemands lancent par avions des tracts sur la DFL : « Les montagnes et les vallées ensoleillées d’Italie désirent vous voir. »

Notre aventure commence pour la DFL, elle va combattre côte à côte avec l’Armée d’Afrique et sous commandement français.

Nous constaterons très vite, alors, que l’état d’esprit du Corps expéditionnaire français, bien équipé et bien armé, est très différent de celui des troupes que nous avions côtoyées à la fin de la campagne de Tunisie. Les dures victoires remportées pendant l’hiver par la 2e Division marocaine et la 3e par Division algérienne à Pantano, Monna Casale et au Belvédère ont forgé au CEF un moral de vainqueurs. Celui-ci a conquis l’estime de l’Etat-major allié, ce qui n’était pas le cas, le 25 novembre 1943, lorsque le général Juin rejoignit l’Italie. Son chef d’Etat-major, le général Carpentier décrit ainsi l’ambiance dans une de ses conférences : « Nous arrivions à Naples par un temps bouché, pluvieux, hostile. Nous atterrissions péniblement et nous avions, non pas la surprise, car il faut être modeste quand on appartient à une armée battue, de constater que personne ne nous attendait ». Ainsi, sous une pluie froide d’hiver, les pieds dans la boue, Juin espérait, en vain, être accueilli par un représentant du Commandement allié. Le commandant des troupes françaises débarquant sur le théâtre d’opérations n’avait même pas une jeep à sa disposition.

J’accompagne le général Brosset au Quartier-Général du général Juin qui nous reçoit dans le château médiéval de Sessa Aurunca. Il paraît manifestement heureux du renfort que nous lui apportons, mais le contact avec son Etat-major est plus réservé. Ses officiers savent qu’il n’y a pas un seul breveté de l’Ecole de Guerre dans l’Etat-major de la Division, dont, seul officier d’active, je suis le chef.

Le général Juin expose son plan, la DFL va participer à la fin d’une bataille commencée en janvier 1944 qui restera dans l’Histoire comme une des plus acharnées et des plus meurtrières de la guerre de 1940-1945 ; elle coûtera 20 000 morts aux Alliés.

Les nouveaux tracts que les avions allemands font pleuvoir sur le CEF sont peu encourageants « Venez en Italie, la mort vous y attend » et encore « La route de Rome est pavée de crânes ».

Du point de vue défensif, l’Italie est en effet un paradis. Il y a toujours une rivière à franchir, une montagne à escalader, un village fortifié à conquérir. Les troupes allemandes se sont retranchées solidement dans le massif des monts Aurunci ; elles occupent une ligne de défense redoutable, la Gustav Stellung bâtie sur une barrière naturelle de cent-quarante kilomètres de long, faite de montagnes et de cours d’eau, qui passe par Cassino ; elle s’abrite en outre derrière les rivières Rapido et Garigliano en crue.

Une deuxième position défensive est construite durant l’hiver, vingt kilomètres plus au Nord, à hauteur de Pontecorvo ; c’est la Dora Linie parfois appelée Ligne Hitler et les Allemands la croient inexpugnable.

L’offensive alliée du printemps a pour objectif de faire sauter ce verrou qui commande la route de Rome et résiste depuis cinq mois. Le général Juin a proposé au commandant en chef, le général Alexander, d’attaquer par la montagne et de rompre le dispositif ennemi sur les monts Faito et Majo. Dans la brèche ouverte, il introduirait les Tabors marocains et la 4e Division marocaine, habitués à la montagne. Il s’agissait de 25 000 hommes, fonçant à travers une chaîne montagneuse totalement dépourvue de route et de piste, ravitaillés par 4 000 mulets du Train des Equipages appelé, à la mode anglaise, la « Royale Brêle Force ».

Cette conception audacieuse n’obtient pas l’agrément du général Alexander qui préfère charger la VIIIe Armée britannique de l’effort principal. Elle doit enfoncer les positions ennemies dans la région de Cassino, atteindre la vallée du Liri, et de là, exploiter le succès suivant l’axe général de la Via Casilina afin de s’emparer de Rome.

La Ve Armée américaine n’a, dans l’offensive générale, qu’un rôle secondaire de diversion. Son 2e Corps d’Armée aura les plus grandes difficultés à progresser vers le Nord le long de la côte Tyrrhénienne, par la Via Appia, qui traverse les Marais Pontins inondés par ordre de Kesserling. Clark est donc obligé de donner sa chance à Juin pour pouvoir arriver à Rome. C’est l’attaque des forces françaises qui décidera alors de la victoire.

Le dimanche 23 avril, le front est étrangement calme, pas un seul coup de canon n’est tiré d’un côté comme de l’autre. En jeep, les généraux Juin et Brosset, que j’accompagne, partent vers l’étroite tête de pont tenue au-delà du Liri par des éléments de la 4e Division marocaine. Arrivés en première ligne, nous traversons de pauvres villages que la population n’a pas évacués, les autochtones vivent au milieu des troupes marocaines. Il est neuf heures, des femmes endimanchées vont à la messe.

Par un sentier de chèvres, nous gagnons un observatoire en avant des lignes, à moins de 200 mètres de l’ennemi. A nos pieds s’étale la zone d’attaque de la Division. Le général Juin expose ce qu’il attend de nous : « Vous nettoierez la plaine dans la boucle que forme le Liri avec le Garigliano. Vous pourrez ainsi vous accoutumez aux méthodes de guerre des Allemands sur ce théâtre d’opérations, ensuite vous passerez en réserve du CEF ». Après quelques commentaires sur les Alliés, le général Juin ajoute : « Le général Clark est le seul qui ait de la classe ».

La bande de terrain que la Division doit « nettoyer » a trente kilomètres de long sur quatre de large. Les villages les plus importants, transformés en points d’appui, sont bâtis sur des hauteurs imprenables. Les Italiens les ont mis sous la protection des saints San Appolinaire, San Giorgio, San Ambrogio. En outre un profond fossé anti- chars barre la plaine. Les Allemands savent que les Alliés cherchent la décision en pays plat avec des unités mécanisés. Ils ont donc construit des blockhaus et répartis de nombreux canons antichars dans le système défensif de la redoutable Gustav Stellung. De plus, ils ont, en réserve, une formation de chars derrière San Andrea.

Le 44e Kampfgruppe du colonel Nagel, groupement tactique allemand, assure la défense de ce secteur, il a les deux tiers de l’effectif d’une Division mais en possède tout l’armement. Ses vétérans se sont battus en Pologne, en France et sur le front russe.

Pour mener à bien l’opération de rupture, la Division reçoit le renfort de 130 blindés, du 3e Spahis marocain, du 8e Chasseurs d’Afrique et du 757e Bataillon de chars Sherman américains. L’idée de manœuvre du général Brosset est d’engager la 4e Brigade du colonel Raynal à gauche, sur la partie haute de son secteur d’attaque, elle devra agir parallèlement à l’axe de progression de la 2e Division marocaine.

Son avance doit permettre de déborder les défenses accumulées dans la plaine de la boucle Liri-Garigliano. Celles-ci seront réduites par le détachement blindé soutenu par le 22e Bataillon de Marche nord-africain du commandant Lequesne.

La première difficulté de cette opération réside dans l’introduction de lourds éléments d’attaque dans l’étroite tête de pont, occupée sur la rive droite du Garigliano. Elle est résolue grâce à notre expérience des déplacements, acquise en trois années de guerre, et l’efficacité du Détachement de Circulation routière qui règle les mouvements. Les échelons d’assaut traversent sur les ponts de bateaux Tigre et Léopard, qu’un épais nuage de fumée cache de jour aux vues de l’ennemi.

A cet instant pas un de nos volontaires ne peut imaginer, qu’il soit Français de France, ou soldat venu de tout l’Empire : Néo-Calédoniens, Tahitiens, Canaques, tirailleurs africains ou nord-africains, qu’en ces lieux s’illustra, il y a 470 ans Bayard, le chevalier sans peur, défendant seul le pont du Garigliano contre 200 cavaliers espagnols.

L’heure H du Jour J est fixée à 23 h 30, le 11 mai.

La nuit tombe sur un monde silencieux, après une journée exceptionnellement calme et chaude. Quand la lune se lève enfin, à l’heure prévue le front s’éveille et s’illumine des coups de départ de 2 000 canons ; c’est la plus formidable préparation d’artillerie que les Alliés aient réalisée au cours de la guerre. La 4e brigade est prête, elle attend l’appui du 1er régiment d’artillerie commandé par le lieutenant-colonel Laurent Champrosay et celui des trois compagnies canons d’infanterie. A cet instant, leurs pièces font partie d’un chœur de 400 canons tirant au profit de la 2e division marocaine, chargée de donner le coup de boutoir sur le mont Majo. L’horizon est sillonné de fusées lumineuses et piqueté du point d’éclatement de nos obus.

A une heure du matin, les deux bataillons de tête de la 4e brigade chargent. Ils enlèvent à la grenade et au coupe-coupe leur premier objectif, 1 500 mètres sont ainsi conquis. Mais la 2e division marocaine, arrêtée par des lance-flammes, n’a pu s’emparer du Girofano et la 4e brigade se trouve « en l’air », son flanc gauche totalement à découvert. Les mortiers et les mitrailleuses s’acharnent sur ses bataillons, et, au lever du jour, dans la brume matinale, une contre-attaque allemande dévale. Après quatre heures de durs combats, la 4e brigade reflue sur sa base de départ, elle a perdu 190 tués ou blessés.

De son côté le Groupement blindé est à pied d’œuvre vers une heure du matin, et le Génie s’apprête à ouvrir le passage aux chars sur la droite de la zone d’attaque de la Division. Il lance d’abord une passerelle d’infanterie qui permet au 22e BMNA de traverser le Garigliano, puis, un peu plus tard, un pont pour les chars, malgré une vive réaction de l’ennemi qui use largement de mortiers et d’armes automatiques. Pour finir, il comble, entre 3 et 4 heures du matin, le profond fossé barrant la plaine, pendant ce temps le Bataillon nord-africain conquiert, au corps à corps, une bande large de deux kilomètres le long de la rive droite du fleuve.

Dès 5 heures, le Garigliano et le fossé anti-chars étant franchis, le groupement blindé, sous les ordres du colonel américain Dickey, attaque à l’aile droite de la Division. Il opère en trois vagues, commandées respectivement par le capitaine de corvette Amyot d’Inville du 1er RFM, le capitaine de Galbert du 3e RSM et le major Cockrane du 757e américain. Un groupe de soutien les suit où figure, à côté de la compagnie lourde du 22e BMNA, un peloton de notre bataillon antillais de défense contre-avions. Trois officiers de liaison français sont détachés auprès des compagnies de chars américaines, le médecin- colonel Lichwitz, médecin du général de Gaulle, le commandant Koenigswarter, membre de la famille Rothschild et le lieutenant Jean-Pierre Aumont.

Les chars sont aussitôt pris à partie, et toutes les tentatives de progression sont arrêtées par les tirs violents de mortiers, d’artillerie et des redoutables canons de 88. Une contre-attaque de chars allemands partie de San Andrea, est repoussée mais le groupement blindé, en fin d’après-midi, n’a gagné qu’un kilomètre, il piétine et s’entasse, plusieurs de ses blindés sont en feu, d’autres embourbés dans un terrain marécageux.

Au moment où les blindés, enlisés et stoppés par le tir des armes antichars, sont neutralisés, le bataillon nord-africain fonce, seul, en dépit des obus de mortiers et de 77, et réussit à progresser de deux kilomètres dans le dispositif allemand, faisant une cinquantaine de prisonniers. La journée a été dure, or cette avance et la conquête par le 8e régiment de Tirailleurs marocains du mont Faito, objectif intermédiaire de la 2e division marocaine, seront les seuls succès de cette première journée pour toutes les armées alliées.

Ce n’est pas un désastre, mais, reprendre l’affaire demande de l’audace. Au général Clark qui lui dit « C’est folie d’insister », le général Juin répond : « L’ennemi est plus fatigué que nous, ses réserves ont fondu sous le hachoir de nos canons ». Il décide de recommencer l’attaque, dans la nuit qui suit. Cette fois, la 2e division marocaine s’empare de Cerasola et du Girofano, libérant notre infanterie de la menace qui pèse sur sa gauche. Celle-ci se saisit de nouveau de tous les points d’appui et les blockhaus enlevés la veille mais réoccupés par l’ennemi.

La ligne Gustav, défoncée par 20 000 obus, tirés en une seule journée par notre artillerie, est abordée par nos chars et l’infanterie, elle est rompue. Le Groupement blindé et la 4e brigade progressent sur tout le front de la Division, San Andrea est pris, San Ambrogio, que l’ennemi abandonne en hâte, occupé, San Appolinaire enlevé à la baïonnette, et malgré l’intervention de l’aviation allemande San Giorgio du Liri conquis. Ces villages ne sont plus que décombres, amas de gravats, pans de murs où restent accrochées quelques images pieuses, leurs ruines sont pleines de cadavres allemands.

Au sommet du mont Majo, à 1 553 mètres d’altitude, la 2e division marocaine hisse, vers midi, un immense drapeau français que l’on peut voir de la mer Tyrrhénienne jusqu’aux Abruzzes.

L’ennemi essaie de bloquer l’avance en flèche de la 1ère DFL qui précède la 2e DIM à sa gauche et la VIIIe Armée britannique qui a déjà, au-delà du Liri, cinq kilomètres de retard sur elle.

La zone durement acquise sur 15 kilomètres de profondeur est entièrement nettoyée le 14 mai, 220 prisonniers ont été capturés, plus d’un millier d’Allemands tués. Le général Juin nous adresse ses félicitations, il y joint le texte du télégramme du général Clark « Vous êtes en train de prouver à une France, anxieuse dans l’attente, que l’Armée française a conservé, comme sacrées, ses plus belles traditions guerrières ».

Et, dans les jours qui suivent, la presse anglaise unanime, rend hommage aux Français qui ont rompu si brillamment le front ennemi et qu’on ne peut plus, dès lors, arrêter dans leur marche en avant.

Mais, cette première victoire coûte cher, au seul 22e bataillon de marche nord-africain, 214 hommes ont été tués ou blessés, dont 16 officiers sur 34.

Le général Von Mackensen, commandant la 10e Armée allemande, émet en clair deux messages donnant l’un l’ordre de retraite générale, l’autre d’accélérer la retraite, mais il maintient face à la 1ère DFL le 44e Kampfgruppe avec mission de protéger, sans esprit de repli, la droite du Corps d’Armée allemand qui arrête, l’offensive britannique.

Alors que le « Corps de Montagne » marocain formé par les Goums du général Guillaume et la 4e division du général Sevez s’enfoncent dans la brèche pratiquée sur les monts Aurunci, et que la division algérienne du général de Monsabert entre en scène, la 1ère DFL fait mouvement à travers la vallée limoneuse, verte et d’apparence tranquille qui se termine à Pontecorvo par la ligne Dora. Le général Juin diffuse son ordre du jour : « La victoire est en marche, ordre est donné d’exploiter le succès ». Dans la plaine dite « Forma de Santa Oliva » des corps revêtus de feldgrau gisent dans les champs de blé, dans les villages calcinés, sortes de décors surréalistes d’opéra, les hommes du Détachement de Circulation routière en calot bleu et rouge, et baudrier blanc, règlent la circulation. Mais le terrain favorise les embuscades, nos blindés passent difficilement dans cette région, coupée de ravins et de chemins creux, aussi notre infanterie subit-elle des pertes, au cours de plusieurs accrochages meurtriers. Malgré tout la DFL gagne du terrain et les brigades des colonels Garbay et Delange prennent en charge, à tour de rôle, la responsabilité du secteur d’attaque. Les routes ne sont plus que pistes défoncées, la poussière s’infiltre partout, hommes et machines en sont saturés, le port des lunettes et des masques est indispensable.

Le 17 mai, les derniers obstacles qui protègent la ligne Dora sont atteints. Pendant toute la journée le combat fait rage, le village fortifié de Castello Chiaïa abordé en fin de matinée est enlevé, les monts Calvo et Santa Maria pris et la rivière Forma Quesa franchie à la troisième tentative.

L’audace de nos tirailleurs africains, l’efficacité de notre artillerie, l’appui des chars ont eu raison de l’obstination ennemie, la rupture de la ligne Dora est commencée.

Soudain l’aviation allemande réagit, elle grenade l’Etat-major de la Division et les Bataillons de la Légion étrangère causant une centaine de pertes.

Cependant au cœur de la bataille, le général de Gaulle vient le lendemain se mêler aux soldats, le 18 mai, accompagné de M. Diethelm, commissaire à la Guerre, des généraux Juin, de Lattre, Béthouart, il inspecte la Division et procède à une remise de décorations. Parmi les récipiendaires, figure le colonel Simon cité à l’ordre de l’Armée sur proposition du général Brosset. Il commande le 8e régiment de Chasseurs d’Afrique, notre fidèle et efficace soutien. Sur sa poitrine, il porte la croix de guerre « vert et noir », adoptée par l’armée d’armistice qu’il a gagnée, en 1941, en Syrie. Le général de Gaulle s’approche de lui, retire cette croix de guerre, épingle à la place la croix de guerre « vert et rouge » en disant : « Voyez mon Colonel, comme elle est plus jolie ».

Pendant ce temps, notre Division redouble d’efforts, le 44e Kampfgruppe ayant été totalement détruit, les Allemands nous opposent le 9e Panzergrenadiers qui sera, à son tour, mis en pièce en deux jours. La route Pico – Pontecorvo est atteinte le 21 mai. Tous les points forts ont été réduits y compris le monastère de Capuccini transformé en forteresse.

La Pontecorvo Linie ou Ligne Hitler est à son tour percée et le nettoyage de la boucle du Liri terminé. La DFL s’est même emparé de l’objectif final que le général Juin avait assigné à la 2e Division marocaine. Ce soir-là les canons tonnent à qui mieux mieux. Le général Clark vient au PC de la Division féliciter le général Brosset de ce grand succès, mais cette progression de 15 kilomètres en 5 jours, et les quatre contre-attaques du 104e Panzergrenadiers sur le mont Leucio ont coûté à la Division 560 tués ou blessés. Le service de santé a donc fort à faire, souvent dans des conditions périlleuses, que ce soit aux postes de secours des unités de tête, ou bien à l’ambulance chirurgicale du médecin- commandant Vignes et à l’ambulance Spears du médecin-colonel Vernier. C’est ainsi que les 23 et 24 mai à San Giorgio du Liri, l’artillerie allemande pilonne nos formations sanitaires, blessant quelques membres de son personnel, miraculeusement aucun des 210 blessés n’est touché dans les tentes percées d’éclats d’obus qui les abritent.

La Division est alors arrêtée, par ordre, pour permettre aux Britanniques de s’aligner sur elle, car ils ont maintenant un retard de 10 kilomètres. Ce sera fait le 25 mai lorsque le Corps canadien aura pris Pontecorvo avec l’appui de nos canons, les cloches du village sonneront alors à toute volée en l’honneur de leurs « libérateurs ».

Au cours de ces quelques jours de repos consacrés au re-complètement de ses effectifs le général Brosset reçoit le « général FFI Duroc », nom de guerre de Guillain de Bénouville, délégué au Conseil supérieur de la Résistance, qui remplace Frenay à la tête des Organisations de la zone Sud. Parti il y a trois semaines de France, il prend maintenant contact avec les combattants de « l’extérieur » et nous parle longuement des FFI et de l’action des maquis. Il subit, dès son arrivée, un violent bombardement, et, quelques jours plus tard, il participera à une attaque pour laquelle il sera cité.

Dimanche 28 mai c’est la Pentecôte, nos aumôniers sont à leur affaire, eux qui partagent la vie quotidienne de nos combattants, secourant les blessés en première ligne, apportant à tous le réconfort au cours des combats.

La Division peut reprendre enfin sa marche en avant, et parvient, le 4 juin, à 25 kilomètres de Rome jusqu’aux faubourgs de Tivoli ayant enlevé, dans la soirée, après s’y être repris à trois fois, la villa Adriana, superbes ruines romaines brutalisées par la guerre. Les éléments retardateurs allemands sont en effet tenaces et multiplient les embuscades.

Nous sommes aux portes de Rome, Américains et Britanniques rivalisent pour y entrer les premiers. L’affaire n’est pas simple car la VIIIe Armée possède un front énorme sur lequel elle piétine, et les Américains un secteur très étroit sur lequel ils ne peuvent matériellement pas progresser. Les Français, coincés entre eux et en avance sur eux, reçoivent l’ordre de libérer tous les itinéraires de leur secteur que nos Alliés utilisent aussitôt, paralysant nos propres déplacements et notre ravitaillement. La DFL, dans ces conditions, doit s’immobiliser.

Nous réussissons cependant à infiltrer une patrouille entre les unités alliées et au travers des lignes allemandes, elle permet au commandant François de Panafieu, diplomate français, de parvenir au Vatican et d’entretenir le Pape Pie XII des préoccupations du général de Gaulle sur l’attitude du haut clergé français et sur les secours à apporter aux Israélites ainsi qu’aux résistants que décime la déportation.

Le 4 juin les avant-gardes du 6e Corps américain sont dans les faubourgs de la Ville éternelle, et dans l’après-midi ses premières patrouilles y pénètrent. Le 5 juin Rome est entièrement occupée, les généraux Clark et Juin se sont donnés rendez-vous au Capitole. Juin monte dans la jeep de Clark qui lui dit : « Sans les Français nous ne serions pas là » et Juin de répondre aussitôt : « Sans l’Amérique, l’Armée française n’aurait pu être là ».

Le pape Pie XII a voulu accueillir, dans une audience solennelle les officiers français. Il leur parle d’une voix faible avec un fort accent italien de « la noble mission que porte en ses plis le drapeau français » et termine par cet hommage : « Cette victoire avant tout française a permis la libération de Rome ». En écho, semble-t-il, la radio allemande répand largement le bruit que les Français avaient été les principaux artisans de la rupture du front sur le Garigliano.

Malgré la chute de Rome, la mission de la Division n’est pas changée, elle doit atteindre et forcer les passages du Tibre. Cependant le général Brosset donne l’ordre au BIMP d’envoyer une compagnie au Palais Farnèse, ambassade de France, où elle hissera nos couleurs.

Le 9 juin un « Corps de Poursuite » est formé sous les ordres du général de Larminat. Il doit coordonner l’action des 3e DIA et 1ère DFL qui continuent leur action en direction des montagnes sur deux axes de marche séparés par le lac Bolsena. La Division repart donc, contourne Rome, et 50 kilomètres plus loin relève les Américains.

Dès lors le combat prend un tout autre aspect, il ne s’agit plus de rompre des lignes fortifiées mais d’une chasse à courre, d’une poursuite sans répit, qui en moins de deux mois devait amener les Français jusqu’à Sienne. Nous avons affaire à des détachements retardateurs qui choisissent, pour s’opposer à nous, des positions successives qu’ils tiennent toute une journée et quittent à la nuit. Rechercher le contact chaque matin est épuisant, car les Allemands veulent gagner le temps nécessaire à l’organisation d’une ligne de résistance pour protéger la Toscane.

Les routes que nous empruntons sont encombrées de carcasses de véhicules brûlés, de charognes de chevaux couvertes d’une poussière épaisse. Tous les ouvrages d’art ont été détruits, les abords des villages sont truffés de mines. Le ravitaillement suit très difficilement par ces routes, étroites, piégées et obstruées et cela ralentit notre avance.

Le 10 juin Viterbo est atteint, notre avant-garde blindée brise l’opposition ennemie près de Marta, ce qui permet à la 2e Brigade de s’emparer des faubourgs de Montefiascone. Nous y faisons 17 prisonniers qui appartiennent à une unité de grenadiers, arrivée récemment du Danemark. Mais nous perdrons une cinquantaine des nôtres. Parmi eux, le capitaine de frégate Hubert Amyot d’Inville, Pacha des Fusiliers-marins. Il a été tué dans son véhicule de combat par l’explosion d’une mine. C’est une belle figure de la Division qui disparaît, Français libre, il fut fait Compagnon de la Libération après le combat de Bir-Hakeim.

Dans la soirée du 11 juin, la 2e Brigade achève le nettoyage du pittoresque village fortifié de Montefiascone, juché sur une colline. Dans la crypte de son église repose un cardinal français, sur sa tombe une épitaphe rappelle « qu’il vint à Montefiascone au lendemain d’un concile, il y trouva le vin si bon qu’il y resta, il y mourut ». C’était au temps du pape Jules II.

Cette nuit-là, trois aviateurs allemands audacieux viennent grenader et mitrailler l’Etat-major de la Division, malgré la DCA antillaise.

L’ennemi engage maintenant dans la bataille tout ce dont il dispose, y compris les 31 hommes de la garde personnelle du commandant en chef, le maréchal Kesserling ainsi que sa Compagnie de QG. Des combats furieux se succèdent dans un terrain couvert et accidenté, mais aucun de ces hommes ne se rend.

Le lendemain est consacré à la relève de la 2e Brigade par la 1ère Brigade Delange et la 4e Brigade Raynal.

La 2e Brigade Garbay, rassemblée près du lac de Bolsena, a bien mérité d’être mise au repos. Au cours de ces opérations, 170 des siens ont payés de leur vie ses succès, et 360 furent blessés.

Au cours de cette journée, la 3e DIA progresse à l’Ouest du lac de Bolsena. A son aile droite, un bataillon du 7e Tirailleurs algérien violemment pris à partie, se replie en désordre. N’ayant pas d’unité disponible pour reconquérir le terrain cédé, le général de Monsabert demande de l’aide au général Brosset. Celui-ci met à sa disposition le 2e Bataillon de Légion commandé par le capitaine Simon. Arrivés vers 15 h 30 au sud-est de Valentona, les légionnaires attaquent, rétablissent la situation et récupèrent tout l’armement lourd qui avait été laissé sur le terrain.

Les 1ère et 4e Brigades précédées chacune d’une avant-garde blindée reprennent leur progression sur deux axes. Elles s’emparent sans grande difficulté de Bolsena où avant d’abandonner la ville, les Allemands ont détruit, sans raison, l’arc de triomphe romain. Or ce jour-là, la 101e Compagnie du train du capitaine Dulau, qui facilitait nos mouvements, nous est retirée par le CEE. Toutes nos opérations se dérouleront dorénavant à pied au prix de grosses fatigues pour la troupe.

La Division entre à Aquapendente assez facilement le 15. Le morceau dur fut la prise de Torre Alfina, village dominé par un château, demeure familiale des Sforza. Cette citadelle crénelée, somptueuse et prétentieuse, est enlevée en fin de journée, elle était défendue par 150 parachutistes du 11e Régiment, qui n’ont pas eu le temps d’exécuter l’ordre de se replier sur Trevinano, aucun ne se rendra, tous seront tués ou blessés.

Le 15 juin, l’Armée française d’Italie, fière de ses victoires défile dans Rome conquise. Le bélier mascotte et la nouba des tirailleurs en tête, les Français remontent la via de l’Impero, ils passent devant la Colisée, traversent la place de Venise devant le monument de Victor-Emmanuel. La foule romaine a envahi les rues dès l’aube, cette cohue enthousiaste est en état d’hystérie, elle acclame ses « libérateurs » d’une ovation délirante. Quelques drapeaux rouges apparaissent.

Le défilé triomphal du Corps expéditionnaire français se déroule dans la première capitale d’Europe d’où l’ennemi a été chassé.

A partir du 16 juin, la Division, son Groupement blindé en tête, avance rapidement, gagnant de jour en jour l’ennemi de vitesse, l’obligeant à décrocher avant qu’il ne s’installe, lui infligeant des pertes. Les Sapeurs du commandant Tissier qui accompagnent les éléments de tête rendent praticables les chemins coupés et minés. Grâce aux piper-cubs, l’artillerie muselle les canons allemands par de violentes contrebatteries et les prisonniers que fait la Division sont harassés et à bout de force.

Mais, au soir du 17 juin, une pluie froide et abondante glace nos tirailleurs qui gravissent à pied, matériel au dos, des pentes que la boue transforme en patinoires. La Division aborde quand même le lendemain la dernière position de résistance. Les Allemands ont reçu ordre de la défendre, quel qu’en soit le prix. Ils ont renforcé leurs moyens de résistance par des destructions, des obstacles et des champs de mines aux abords du massif tourmentés des monts Amiata. Tous les passages sont tenus sous le feu de détachements bien appuyés par des canons automoteurs et des chars.

La Division se trouve aux frontières de l’Ombrie à droite, tout près du lac Trasimène. Le mont Calcinajo, sur l’axe de marche de la 4e Brigade et Radicofani, sur celui de la 1ère Brigade, régissent l’accès à la plaine de Toscane.

Nos Africains s’emparent le 18 juin de la croupe dénudée du mont Calcinajo, culminant à 732 mètres, mais la crête se couvre peu à peu de brouillard, au moment où le 3e Régiment de parachutistes allemands contre-attaque. Le choc va jusqu’au corps à corps, notre artillerie encage le sommet de la colline de puissants tirs d’arrêt ; tous les bataillons de la 4e Brigade sont jetés dans la mêlée ; les chars Tigre allemands sont, au fur et à mesure de leur apparition, pris à partie par les tanks destroyers du 8e Chasseurs d’Afrique, et arrêtés, deux sont en feu.

Au soir, l’assaillant vaincu abandonne la lutte, des ombres s’enfuient dans la brume, la 4e Brigade a remporté, sur les collines chauves du Calcinajo, un succès très durement gagné, elle va l’exploiter sans tarder en occupant le village de Ponti Vitriana.

Pendant ce temps, plus à l’Ouest, la Légion aborde la position clé de Radicofani, un château Médicis dont les murs épais défient toute artillerie et abritent une importante garnison. Notre artillerie, après un violent tir de préparation, aveugle l’objectif avec des fumigènes. La citadelle est alors enlevée par escalade, comme au Moyen-Age. Dans la salle d’armes du château, une fresque représente les 150 Français de Jules de Vienne mettant en fuite à grands coups d’épée, les mercenaires du duc de Côme en l’an 1555. La Légion nettoie rapidement le village puis l’organise afin de recevoir la contre-attaque qui se produit aussitôt.

Malheureusement ce jour-là, le lieutenant- colonel Laurent-Champrosay est tué par l’explosion d’une mine. Son histoire fut brève, il eut ce destin étonnant de créer, à partir de quelques éléments, un régiment d’artillerie et de le conduire au combat et à la victoire. Il était âgé de 36 ans, à la veille de la libération de la France pour laquelle il avait, quatre ans plus tôt, rompu avec la discipline en quittant la Haute-Volta. Une émotion intense saisit alors la Division.

Le lendemain, la 1ère DFL franchit la position allemande disloquée, pénètre de dix kilomètres en Toscane et atteint malgré une pluie diluvienne Piaggo Villanova et Piaggo Reggione. Les convois de ravitaillement sont bloqués sur les routes transformées en fondrières.

La campagne d’Italie est terminée pour la 1ère DFL qui cède la place à la 2e DIM après avoir réduit tous les points forts de la dernière ligne d’arrêt. Les Allemands la défendirent avec opiniâtreté, lui ayant consacré des moyens importants, comme en témoignent les résultats obtenus durant les trois derniers jours, la Division a pris ou détruit 3 chars lourds Tigre, 6 chars Panther, 25 canons de divers calibres dont 4 pièces de 88 et 2 automoteurs. On ne compte plus les mortiers, armes automatiques, mitraillettes et fusils abandonnés par centaines.

La 1ère DFL, par la brutalité et la rapidité de son action, a obtenu la rupture de l’ensemble du système défensif allemand et capturé 1 200 prisonniers. Nul obstacle sérieux ne peut plus maintenant interdire l’accès de la Toscane aux forces françaises, bientôt elles défileront dans Sienne et verront briller les campaniles de Florence.

Mais le long de la route menant du Garigliano à Radicofani, la Division laisse sur le sol italien 673 tombes dont celles de 49 officiers.

Dans ses hôpitaux ont transité 2 066 blessés dont 185 officiers, le sort s’est acharné sur ces vétérans des Forces françaises libres, qui ne connaîtront pas la joie du retour en France.

C’est au cours de cette campagne que le général Brosset donne toute sa mesure, il va de l’avant, entraînant « sa » Division qu’il a organisée et instruite. Chaque jour, conduisant à tombeau ouvert sa jeep jusqu’aux unités de tête, il lance l’infanterie dans la bataille, commande les chars, rétablit une situation. Un poste à poste le relie à son chef d’Etat-major qui, écrira-t-il, « fait le travail », lui permettant d’être sur la ligne de feu du matin au soir.

Il apprécie « l’esprit d’équipe créé dans son Etat-major qui a permis une mise en œuvre de l’artillerie divisionnaire si rapide et avec tant d’à-propos qu’il doit compter à l’actif de son chef, l’aide prêtée à l’offensive du Corps canadien sur Pontecorvo, le 21 mai, et le coup d’arrêt brutal opposé aux contre-attaques allemandes sur le seuil de la Toscane le 18 juin 1944. » (Citation à l’Ordre de l’Armée du commandant Saint-Hillier).

C’est alors que, le général de Gaulle, certain que, malgré l’ampleur de la victoire en Italie, le projet d’exploitation dans la péninsule est abandonné, accomplit son ultime voyage. Il vient voir le général Juin. Puis il fait connaître aux généraux Wilson, Alexander et Clark sa volonté de voir regrouper, en temps voulu, les forces françaises qu’ils avaient à leur disposition afin de leur permettre de participer à l’opération de débarquement en France.

Le 27 juin, avant d’aller au Palais Farnèse, le Général a l’occasion de féliciter les marsouins du bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique de l’allant et des succès de leur unité. Puis, il se rend à la Villa Médicis où une cérémonie de réparation se déroule sur les lieux où Ciano et quelques complices imposèrent un armistice à la France. Dans la villa l’Orgiata, à 18 kilomètres de Rome, la 13e Demi-Brigade de la Légion étrangère, « noyau des Forces françaises libres » rend les honneurs. Le souvenir cuisant de l’affront fait à notre patrie est effacé par cette cérémonie purificatoire.

À Rome, le général de Gaulle est reçu le 30 juin par Sa Sainteté Pie XII comme un souverain, à quelques détails près perceptibles aux seuls diplomates. Puis il se rend à Marchianisi, non loin de Naples, pour voir ceux qu’il appelle « ses vieux compagnons », qui viennent d’écrire en lettres d’or sur leurs drapeaux les victoires de Garigliano, de Rome et Radicofani à la suite de celles de Bjervik et Narvik 1940, Keren Massaouah 1941, Bir-Hakeim 1942, Tunisie 1943. Il connaît la valeur de tous les hommes constituant la Première Division française libre, impériale par son recrutement. Ces volontaires attendent le moment d’atteindre la France que la plupart d’entre eux n’ont jamais vue. Au cours de la prise d’armes, le général Brosset reçoit la croix de la Libération.

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