Jacques Bingen : « Si tu meurs jeune avec l’aurore à ton chevet. »

Voici 90 ans, des hommes et des femmes de l’ombre, ayant œuvré à la reconquête du territoire métropolitain, commençaient à apercevoir les premier rayons de lumière de la « grande, sanglante et merveilleuse aventure » de la Libération, pour laquelle ils avaient tant œuvré. Dans cette génération qui allait donner son énergie et sa jeune expérience à la France reconstruite, de futures figures majeures, Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas ou Gaston Deferre. Et un absent, Jacques Bingen, qui, le 12 mai 1944, pris par la Gestapo, préféra avaler une pilule de cyanure pour « ne courir aucun risque », selon la terrible formule de Maurice Bourgès-Manoury. Figure clé du BCRA, à l’origine du projet de CNR, ami de Jean Moulin, à qui il succéda en métropole, délégué en zone sud, Bingen fut pourtant l’un des grands artisans de l’unification de la Résistance et de la préparation du débarquement : son rôle, l’estime que lui portait le Général (qui le fit compagnon quelques semaines avant sa mort en lui écrivant « plus que jamais, je vous tiens pour un compagnon, avec tous les prolongements que comportent le mot et la chose ») justifient pleinement que cette lettre le tire d’un oubli relatif mais injuste.

Le cahier publié ici est une forme de soleil dans la nuit : toutes les voix qui évoquent le souvenir précis, palpable, de Bingen, son ironie lucide, le « bonheur » inégalable qu’il a dit ressentir dans ses dernières semaines, même en sentant la menace approcher, toutes ces voix, donc, se sont désormais tues. Pourtant, à les lire, on retrouve de l’esprit de jeunesse de la France libre et de la Résistance : un peu de soleil londonien le dimanche, le gout du riz au sardines dans cette ville « où tout le monde campait », l’exaltation du beau printemps 1944, la joie, l’euphorie, presque qui gagnent ceux qui savent alors combien la Libération approche. La mort de Bingen, dans ce contexte, est « contraire à son destin », selon la belle formule de Gaston Deferre. Imaginons qu’il est parti en ayant en tête ces vers d’Henri Régnier qu’il aimait à réciter avec Maurice Schuman, « Si tu meurs jeune, avec l’aurore à ton chevet… ».

Frédéric Fogacci

Laisser-passez de Jacques Bingen, membre des Forces françaises libres

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