CARNET DE ROUTE DE MAXENCE » (MAX JUVÉNAL)
Chef départemental de « Combat »
Président du Comité de Libération à Marseille en 1944

Texte présenté par Jean-Marie Guillon,
Professeur à l’Université de Provence

Revue Espoir, n°138, mars 2004

RÉSISTANCE

Septembre 1940

Depuis quelques jours, je vis libre ou, du moins, je croyais vivre libre ; déjà sont lointaines les heures de luttes à Flessingues, Dunkerque, en Normandie ; déjà lointaines la caserne de Floselle, les rondes des soldats boches autour du camp ; lointains aussi les moments d’angoisse alors que, évadé, j’allais à travers champs vers la Loire, vers la France dite libre, comme le pèlerin s’en va vers la terre promise. Mirages. Parodie de liberté. Je m’aperçois que j’ai la tristesse d’être le dernier, survivant d’une équipe qui n’est plus, retenue prisonnière ou décimée par la mort.

Octobre 1940

Félix Gouin1 est venu. Lueur d’espoir. Il évoque l’agonie de la République. Il nous fait connaître de Gaulle dont les paroles ont déjà trouvé un écho dans mon cœur. Il est décidé que nous allons grouper des éléments socialistes des Bouches-du-Rhône, pour diffuser parmi les sections reconstituées les consignes venues de Londres. J’ai des titres et des mandats, vestiges du temps où la France était libre conseiller d’arrondissement, administrateur de l’asile d’aliénés, des habitations à bon marché, de la Cité universitaire. J’écris au préfet pour lui dire que, si j’avais assisté à la dernière séance du Conseil d’administration qui se tint en mai et au cours de laquelle un vote de confiance est adressé à Pétain, je me serais élevé contre ce vote. Je donne ma démission de tous mes postes car je ne veux pas appliquer les décrets de Vichy, qui sont contraires à tous mes principes démocratiques. Je ne veux pas avoir de rapport avec le Gouvernement qui a trahi notre pays.

Février 1941

Entretien avec Malacrida2. Des horizons nouveaux s’ouvrent pour nous. Une presse clandestine est née, une formule nouvelle est lancée : la création de l’Armée secrète. Nous avons choisi le journal Combat. Le nom me plait et je forme des sizaines. Je suis chef d’AS d’Aix-en-Provence.

Février 1942

L’année est vite écoulée. Je distribue des tracts et je plaide pour ceux qui, moins heureux que moi, ont été arrêtés en les distribuant. Première réunion générale de la Résistance. Nous avons des allures de conspirateurs. Premier rendez- vous où je vais, le cœur battant, comme à d’autres rendez-vous, aux heures roses de mon adolescence.

Une mention brève :  » Trouvez- vous le 15, à 16 heures, Eglise des Réformés3 : prenez contact avec dame ayant manteau de fourrure, gants rouges, qui sera à droite du premier confessionnal. Elle indiquera le lieu de rendez-vous « .

Première entrevue avec Ericourt, avec le général Schmit. Je suis Chef départemental de Combat. Une équipe est née, elle travaille avec foi et ardeur : Plantier, Fontenaille, Schuler, Dusser, Pasteur Manent, Astier, mon frère, mon cousin Garçon.

Octobre 1942

Rencontre avec Villard4. Une région s’organise, un service régional fort étoffé fonctionne : service faux papiers, NAP, SR. Il ne manque que des armes et nous avons peu d’argent et, pourtant, on nous dit que nos alliés débarqueront en mai 1943.

Janvier 1943

Nous sommes prêts ; sizaines formées, organisation parfaite, soldats sans armes ; nous attendons avec une foi peut-être admirable mais sûrement touchante.

Mai 1943

Pas de débarquement. La Gestapo disperse nos rangs. Lancien5, chef NAP, Camille6, chef régional AS sont arrêtés. Dans mon entourage, j’ai perdu Plantier et Fontenaille. On me conseille de partir. J’estime que ce serait lâche et je reste.

7 mai

Villard blessé, traqué, demande mon aide. Il est transporté à la clinique Donnier à Aix.

9 mai

D’accord avec Martin Bret7, nous organisons une expédition. Villard est mis dans un camion. Nous fonçons sur la route armés jusqu’aux dents.

Le soir, je rentre à Aix avec la satisfaction de le savoir en sûreté dans une ferme des Basses-Alpes. Sur son conseil, je devrais quitter Aix. La Gestapo sait tout, nous sommes vendus. Notre Secrétaire général Lunel8 était un traître. Il interroge ses ex-camarades dans les locaux où le Boche les torture. J’écoute partiellement les conseils de Villard. Je coucherai chez des amis mais, dans la journée, je demeurerai à mon poste, dans ce bureau d’avocat qui, depuis deux ans, est devenu le rendez-vous de tous les résistants du département et de la région.

11 mai – 8 heures

Je viens d’entrer dans la chambre de mon gosse et je joue avec lui lorsqu’on sonne : un homme, une femme, des clients sans doute. Ma femme, inquiète ou inspirée, me demande de ne pas descendre, d’attendre… attendre quoi ? Je me le demande lorsque résonne un second coup de sonnette : trois hommes. Je les discernais au bas de l’escalier ; leur allure est plus que suspecte, c’est eux, l’équipe Delage, Tortora au nom évocateur de souffrances.

Je pars et sors par une petite porte qu’ils gardaient encore quelques minutes auparavant et qu’ils ne surveillent plus, pensant que je suis déjà prisonnier de leurs comparses. Une minute de battement m’a permis d’être libre. Je donne l’alerte. Mes chefs de secteurs sont avertis. Je vais à la police demander que, sous un prétexte quelconque, des inspecteurs se rendent chez moi. J’avertis mon Bâtonnier, afin que mes affaires soient renvoyées.

L’esprit tranquille, j’emprunte un vélo et je vais au Moulin du Pont, chez mon ami.

21 heures

Richaud, parti aux nouvelles, devait me ramener mon gosse et ma femme. Il m’apporte des nouvelles accablantes : ma femme, battue, emmenée par la Gestapo, mon gosse recueilli par une voisine. Je n’arrive pas à réaliser. Ma femme ne faisait pas partie de la Résistance, elle élevait son gosse que, ce matin encore, elle allaitait. Je me reproche de n’avoir pas été assez prudent, de ne pas avoir su trouver, pour elle, un asile.

12 mai

J’ai passé la nuit à songer. J’ai tout envisagé, même de me rendre, pour lui rendre la liberté. Je n’en ai pas le droit, je suis un des rares chefs en liberté, je sais trop de choses, trop de noms et je ne sais pas si je serai courageux devant la souffrance. Camille, mon chef, un homme admirable, a préféré se suicider par peur, peut- être, de parler. Je sais que je n’ai pas peur de la mort, je suis moins sûr de pouvoir résister aux tortures.

Fin mai

J’ai repris mon commandement dans une région voisine. Je vis dans un petit maquis, près de Charleval. De mon repaire, je pars en vélo, chaque jour, et je réorganise mes secteurs.

Avril

D’accord avec Villard, je suis chargé de réorganiser avec Martin- Bret les Basses-Alpes, les Hautes- Alpes, les Bouches-du-Rhône, Marseille excepté – centre contaminé où nous ignorons jusqu’à quelle couche la trahison a pu étendre sa lèpre.

  • Basses-Alpes réorganisées – chef remarquable, Martin-Bret, adjoints de valeur Piquemal, Cuzin9, Fontaine, Bourrely, etc. Nos maquis fonctionnent bien.
  • Hautes-Alpes très rapidement prospectées, Merle, Raoul, Rosan-Vallon.
  • Bouches-du-Rhône : admirable dévouement de mes chefs de Salon: Roustan, Fononon. Charleval : Lelleon, Charmet. Arles : Pouly. Martigues : Chave. Trets : Joly. La Ciotat : Saint-Marceau.

Juin 1943

Martin-Bret et Monclar, arrêtés par les Italiens10, s’évadent mais changement de notre PC de Manosque, il passe à Saulce.

Juillet 1943

Les maquis ont une organisation nationale, assez indépendante dans ses rapports avec les chefs départementaux qui ne peuvent utilement contrôler les dépenses. Pendant des mois, je crois lutter contre l’organisateur Cheval, Labarthe11, et ce jusqu’au jour où j’obtiendrai que les fonds du maquis passent par la région qui n’en disposera pas mais qui contrôlera les répartitions. Je renforce l’autorité des chefs départementaux.

Hélas en septembre, alors que j’obtiens ce résultat, par suite d’arrestations, les fonds ne venant pas, mes efforts seront partiellement vains.

Octobre 1943

Je suis membre du Directoire régional.

7 départements : A.M. : croupiers ; Var : thoniers ; B.A. : Coopet ; H.A. guides ; B.D.R. : avocats ; Marseille : marchands.

Trois membres du Directoire : Combat : Maxence ; Libération : Thibould ; Franc-Tireur : Gardelle.

PC Sisteron : NAP : Cisson ; SP : Franklin ; SR : Elisabeth puis Patricia12; Fer : F.L.

Sur le plan régional, Lionel13 organise les CDL.

Décembre 1943

Premiers démêlés avec l’ORA. Un garçon intelligent, Sapin14, commande ce groupe. Giraudiste, il va commettre deux fautes de psychologie : premièrement, être le chef connu de tous, son récent passé, ses faits d’armes en Syrie, ne le désignent pas pour un tel poste.

Deuxièmement, faire du recrutement dans nos troupes : un de nos chefs d’arrondissement, Franchi, se laisse séduire. Sapin avait l’argent et les armes qui nous manquaient, les pouvoirs que nous n’avions jamais eus. Franchi, s’il était demeuré chez nous, serait demeuré sous-officier ; depuis l’armistice, il arbore dans notre région des galons de commandant qui ne correspondent à rien, ni à son rôle ni à son commandement et qui heurtent dans un secteur où l’on ne se bat plus. J’espère qu’un jour on nous expliquera pourquoi les armes dans notre région furent refusées aux patriotes, que jamais le moindre poste de radio ne fut mis à la disposition du Chef régional et que nous fûmes toujours tributaires d’éléments giraudistes qui voulaient nous donner des armes en échange de nos troupes à condition que nos cadres disparaissent.

Janvier 1944

Je suis chef du Directoire15,mes collègues sont devenus mes adjoints.

Février 1944

Circonférence tombe du ciel, avec lui un espoir : celui d’avoir de l’argent, des armes, des parachutages directs. Pour notre malheur, on crée un service SAP et, à la tête de ce service délicat, dont le commandement aurait pu être donné à bon nombre d’officiers aviateurs qui étaient dans nos rangs, on y mit un postier. Résultat : nous n’eûmes que peu d’armes et elles furent mal distribuées. Le service SAP ne servit qu’à semer le désordre, permettre, à défaut de diffusion de messages, celle de ragots souvent infâmes ; il n’aura pour faire son éloge qu’une honorable famille de postiers à qui elle aura donné un titre de noblesse, celui d’Archiduc16. Mais la région fonctionne bien, nos publications clandestines, grâce au sobre et admirable courage de Cisson, sont bien répandues.

Nous faisons de l’action, même avec de faibles moyens. Usine de Gardanne… attaque de traîtres. Notre congrès régional s’organise et se réunit régulièrement.

Mars 1944

La création des Forces françaises de l’Intérieur a provoqué la mise en place d’un chef nouveau qui est placé sous ma dépendance théorique. Paris m’impose le choix entre le colonel Godefroy et Labarthe17. Je choisis, à défaut d’autres, le premier nommé. Godefroy était un brave homme, et même un homme brave. Il aurait fort bien commandé une formation nord- africaine. Il n’avait pas la souplesse nécessaire pour s’imposer à des hommes qui n’obéissaient pas par déférence à un grade mais par sympathie ou par amitié. Je perdis plusieurs semaines à le mettre au courant et gâchais des heures de travail pour apaiser des rancœurs qu’il suscita.

Début mai 1944

Godefroy, appelé à d’autres fonctions, je fus convoqué par Salard18 à Carpentras, où je fis la connaissance d’un capitaine d’aviation Rossi19, alias Levallois. Un état-major fut constitué. Sapin en était le chef. Il continuait les fonctions qui lui avaient été dévolues sous le commandement de Godefroy.

Sapin et Levallois représentaient deux tendances :

– Sapin estimait que les troupes formées par ses soins devaient demeurer dans la campagne, dans des lieux représentant un certain intérêt stratégique et ne devaient se dévoiler qu’au jour du débarquement.

– Levallois prétendait que l’action immédiate menée dans les villes affaiblissait le potentiel de guerre allemand et hâtait l’heure de la libération. Il était partisan de l’armement des citadins et d’actions insurrectionnelles qui auraient été immédiatement déclenchées. Leur opposition prit rapidement un caractère aigu parce qu’il était difficile de concilier leurs points de vue.

Nous n’avions pas assez d’argent pour satisfaire aux besoins de tous et les armes parachutées à Sapin étaient uniquement réparties dans les centres ruraux où l’ORA avait quelques effectifs. Il est équitable de dire que Sapin même n’avait pas des armes en quantité suffisante pour faire face à toutes les demandes qui auraient pu lui être faites.

Fin mai 1944

Avec l’aide des frères Chabre de Barcelonnette, je passe en Italie où je réalise un accord civil et militaire avec le Comité de libération italien du Haut-Piémont20.

1er juin

Réunion des chefs dans une ferme près de Jouques. Nous avons connaissance des messages. Selon les consignes données, nous devons rassembler nos hommes sur des positions que Londres connaît, et sur lesquelles la manne céleste des parachutages doit tomber dès le soir du débarquement.

6 juin

Enthousiasme général. Nos hommes rejoignent leur poste. Leurs effectifs sont souvent triplés.

7, 8, 9 juin

Je suis dans mon poste de commandement, à proximité du maquis de Vauvenargues. Nos informations sanitaires sont en place. Le commandant Arene et le commandant Raboisson ont pris toutes précautions. Nous avons des hôpitaux de campagne et des postes de secours.

Nous attendons vainement les parachutages et, en fait d’ordres, nous recevons, le 10, l’ordre de décrocher et d’aller de Vauvenargues à Barcelonnette.

Nos hommes n’ayant ni matériel, ni armes suffisantes, ne pouvant transporter leur nourriture pour plus d’une semaine, j’estime qu’il est matériellement impossible d’effectuer ce trajet de 200 kilomètres à travers la montagne sans essuyer de lourdes pertes.

Ayant, jadis, fait mon service dans un bataillon de chasseurs alpins, je connais les difficultés des marches forcées et les risques qu’elles comportent.

Je prends la décision de donner à tous nos hommes l’ordre de quitter le maquis et de rentrer chez eux en attendant les événements. Le lendemain du jour où cet ordre est donné, quelques heures après que les derniers éléments qui composaient le maquis de Vauvenargues eurent quitté cette région, les Allemands attaquaient en force par la route d’Aix et par la vallée de Riez. Toutes nos précautions ayant été prises, je n’ai eu à déplorer que la perte d’un sous-officier. Par contre, dans le maquis qui était sous la dépendance directe de l’ORA, les mêmes ordres n’ayant pas été donnés, nos hommes eurent à repousser l’attaque de forces allemandes d’autant plus importantes qu’elles n’étaient pas paralysées par un débarquement. Partout, nos pertes furent élevées : 60 morts à Charleval, 120 à Lambesc21. Dans l’ensemble de la région, le débarquement du 6 juin et les ordres qui furent donnés, peut- être à la légère, par Londres ou par le commandement régional FFI, nous coûtèrent la mort d’un millier de partisans.

Je dois ajouter que Levallois partagea nettement mon sentiment lorsque j’ordonnai le repli à nos troupes.

Fin juin

La situation, qui était quelque peu délicate et rendait difficile les rapports des chefs de l’ORA et de Levallois, le devint encore plus fin juin, alors que Sapin continuait à résider à Barcelonnette et que Levallois avait fixé son poste de commandement à Marseille, poste de commandement qui était d’ailleurs en liaison constante avec le mien, qui se trouvait alors dans la banlieue aixoise. Levallois ordonna que Sapin soit relevé de ses fonctions de chef de l’état-major. Il lui reprochait, entre autres choses, d’avoir quitté Marseille pour Barcelonnette sans l’avoir avisé. Sapin prétendit que cela était faux, qu’il n’avait jamais abandonné son poste et qu’il n’avait fait qu’obéir aux injonctions de Levallois. Seul, Circonférence, qui participait à leurs entretiens, peut dire exactement la vérité sur les conditions dans lesquelles ces deux hommes se séparèrent.

Juillet

Le débarquement du mois de juin nous a coûté cher. Partout nos hommes se sont fait connaître. Les chefs ignorés de la Gestapo se sont dévoilés et des arrestations massives se produisent dans notre région.

– Levallois et ses adjoints sont arrêtés à Marseille.

– Cisson et le service NAP sont également arrêtés.

Montcalm, chef départemental de Marseille, subit le même sort, de même que Roustan à Salon, Chave à Marignane22.

Dans les Basses-Alpes, nous éprouvons la perte la plus élevée en cadres qu’un département peut subir. Le Comité de libération qui se réunissait en séance plénière dans la petite ville d’Oraison23, à la suite d’une trahison, est entièrement arrêté.

Alors que je sens que le débarquement est proche, il me faut à nouveau tout organiser et remplir à la fois les fonctions de chef civil et de chef militaire.

Pour comble de malheur, par suite d’une erreur stupide, Circonférence, délégué militaire régional, est arrêté.

Heureusement, arrêté par erreur, il sera également relâché par erreur, quelque quinze jours plus tard par la Gestapo.

Toutefois, cette arrestation et cette libération vont provoquer quelque émoi. On fait un rapprochement nettement injurieux entre l’arrestation de la majeure partie de nos cadres et la libération de Circonférence.

Archiduc, chef du service SAP, profitant des postes émetteurs qu’il a à sa disposition, fait con- naître à Londres et à Alger des nouvelles fausses. Alger, tout à fait à la légère, décide d’envoyer de nouveaux délégués militaires régionaux et retire momentanément sa confiance à Circonférence. Partis de l’entourage d’Archiduc, les bruits les plus fantaisistes circulent et tendent à faire croire qu’il est dangereux de prendre contact avec Circonférence. Pendant plusieurs jours, il m’est impossible de joindre ce dernier. Je reçois, enfin, une note me faisant connaître qu’il est à ma disposition dans un petit village près d’Aix, à Luynes. Mes camarades, influencés par les ragots qu’on a colportés depuis sa libération, me conseillent de ne pas le joindre. Ayant apprécié les qualités de courage et de droiture de Circonférence depuis le jour où il arriva dans notre région, je n’avais jamais cru aux critiques médisantes qui avaient été formulées par Archiduc. J’avais une confiance entière en cet homme qui avait quitté la situation florissante qu’il avait à Londres pour venir faire son devoir de Français. Je me rendis donc à son rendez-vous. Avec Circonférence, nous essayons de remettre sur pied notre service. Les armes continuent à nous faire défaut. Les parachutages de la SAP sont rares et mal répartis.

L’argent même nous manque, Levallois ayant été arrêté alors qu’il avait en sa possession les crédits du mois de juin, et de juin, et Circonférence n’ayant que des bons de un million à mettre à notre disposition pour payer nos frais.

Je ne sais si parfois nos camarades d’Alger ont pu imaginer combien il était difficile de placer un bon de un million alors que l’on était dans la clandestinité et qu’il était matériellement impossible de se mettre en rapport avec des gens disposant d’une somme aussi élevée si ce n’était en frappant à la porte de ceux qui travaillaient pour les Allemands.

10 août

Je reviens de Nice. Nous avons failli être arrêtés par la Gestapo dans la boîte postale d’Augier. J’étais venu dans cette ville donner l’alerte et faire prendre des mesures de sécurité. Elles furent prises in extremis. Les policiers allemands arrivèrent dans la boîte postale que nous venions de quitter avec Roubert24, chef départemental des Alpes-Maritimes, deux heures après que nous l’ayons quittée.

J’apprendrai par la suite que, moins heureux que nous, mon adjoint Renard, que Salard avait envoyé à Aix pour me faire part de sa décision de nous confier provisoirement le commandement FFI et que nous n’attendions pas à Nice, a été arrêté dans cette boîte postale.

14 août

Ma région est mise en place, les chefs sont remplacés. Le Comité de libération des Basses-Alpes est reconstitué. Nous attendons le débarquement. J’installe mon PC à un kilomètre d’Aix-en-Provence. Mon frère Jean reprend le maquis de Vauvenargues et s’en va tenir des positions au sud de la Chaîne de Sainte-Victoire.

Malgré les pertes du mois de juin, le moral est encore bon. Les hommes veulent se battre même s’ils n’ont pas d’armes.

15 août

Le message d’alerte m’est transmis alors que je me trouvai à Avignon. Je rentre dans la nuit à Aix ponts coupés, bombardements de l’aviation américaine sur toutes les routes. Nous échappons par miracle aux bombes de nos alliés.

16 août

Tous nos hommes ont commencé la guérilla : des Alpes-Maritimes jusqu’au Vaucluse, on se bat. Je parcours la région aixoise à la tête d’une section de trente hommes.

D’une part, nous inspectons les positions tenues dans les secteurs de canton et, d’autre part, nous participons, la nuit, à des opérations sur les routes. Elles sont fructueuses. Les convois attaqués se défendent mal et nous avons la joie de faire sauter à la grenade ces camions et ces patrouilles boches.

19 août

Je reçois un message qui me laisse croire que les troupes américaines seront bientôt en contact avec les éléments avancés que nous avons sur la Chaîne de Sainte-Victoire, où mon frère Jean devait les accueillir par la suite et leur permettre d’arriver à Aix en prenant les défenses allemandes à revers. Je décide de couper en plein jour à travers champs pour aller de Rognes à Vauvenargues. Le 19 août au matin, je passe le point le plus dangereux car il est situé en pleine lignes allemandes : celui de la route des Alpes et j’attends le soir, dans la campagne d’un ami pour poursuivre ma route et rejoindre Janville.

A 3 heures de l’après-midi, un cycliste me fait savoir que l’on m’attend dans une ferme près de Puyricard pour prendre toutes décisions utiles afin de libérer cinq de nos camarades dont Simca, chef départemental du service SAP, qui sont incarcérés à la caserne Miollis à Aix. J’ai hâte de prendre toutes dispositions utiles pour sauver nos camarades parce que, quelques jours auparavant, cinq d’entre eux, dont les frères Noat, ont été martyrisés et assassinés par les Allemands, parce qu’également, j’éprouve quelque rancœur en pensant que, quelques jours plus tôt, Simca avait été mis sur la route à un rendez-vous qui m’avait été donné et que, derrière lui, s’étaient cachés deux agents de la Gestapo, prêts à m’abattre. Ayant éventé le piège, nous étions revenus en force, après avoir alerté le maquis voisin, et malheureusement, les Allemands l’avaient enlevé au moment même où nous arrivions. Je pense que, cette fois-ci, nous pourrons être plus heureux et je vais avec d’autant plus d’ardeur à son secours que je ne peux oublier que, pendant des mois, sa vieille mère, dans un cabanon qui me servait de refuge, m’a servi et m’a caché.

Je traverse en plein jour, très rapidement, la route des Alpes. Je suis en plein dans les lignes allemandes. Je porte mon uniforme d’officier de tirailleur nord-africain et nous tombons, avec Plantier et Ferreol, sur deux colonnes allemandes, fortes d’une cinquantaine d’hommes qui étaient parties à la recherche d’une équipe autre que la nôtre et qui, par malchance, débouchèrent sur la route au moment que la nôtre traversait. Nous ouvrons le feu à une trentaine de mètres. Je reçois trois balles, une dans la main droite qui écrase ma mitraillette, une dans la hanche et une dans le pied. Sentant la mort venir et persuadé que les Allemands, qui sont à cinquante ou soixante mètres de nous, vont venir m’achever, je donne l’ordre à Plantier et à Ferreol de me laisser sur le terrain. Les Allemands ne quittèrent pas la route et ne vinrent pas dans le champ où j’étais tombé et s’en vont vers Venelles pour y chercher du renfort : nous étions trois contre cinquante.

Je me traîne de fossé en fossé : un paysan du nom de Grosso me ramasse, me cache dans son étable derrière une vache dans le fumier, alors que les patrouilles allemandes reviennent en force et nous cherchent dans la campagne. Ferreol revient avec une automobile. Il arrive dans la ferme voisine de la mienne. Plantier, qui est légèrement blessé, refuse de monter dans l’auto tant que l’on ne m’aura pas trouvé et ramené vers lui. Ferreol part à ma recherche. Il tombe sur une patrouille allemande, n’a que le temps de démarrer en marche arrière à une allure vertigineuse. Malheureusement, pendant ce temps, d’autres Allemands arrivent dans la ferme où se trouve Plantier et le fusillent. Vers 5 heures du soir, le Docteur Raboisson, avec une de nos petites infirmières, passe à travers les Allemands, témoignant d’un courage tranquille, il leur explique qu’il recherche des blessés faits par le bombardement aérien. Il arrive dans ma ferme, me fait une piqûre antitétanique et me panse sommairement.

Je reste sur ma couche de fumier jusqu’au lendemain 9 heures du matin, heure à laquelle un paysan arrive, me charge sur un tombereau rempli de paille et nous passons à travers les lignes allemandes.

On m’opère dans le château du chirurgien Latil : d’abord, on m’ampute deux doigts, ensuite ouverture de la hanche. Je fais de la gangrène gazeuse, 40° de fièvre. On appelle de toute urgence ma femme et mon fils car on ne pense pas que je passerai la nuit. Contrairement aux pronostics, non seulement je passe la nuit mais, le lendemain, m’étant fait transporter dans ma maison, je recommence à travailler et reprends mon commandement. Les liaisons sont rétablies avec toute la région. Les Allemands se retirent en désordre de tous nos départements. Partout, nous leur infligeons des pertes. La phase insurrectionnelle se poursuit avec méthode et dans l’ordre. Lionel, à Marseille, me remplace provisoirement à la tête du Comité de libération. Il remplit ces fonctions avec un calme et une compétence dignes d’éloges. Ma chambre est devenue le dernier salon où l’on cause. Raboisson est fou de rage parce que les visites ne s’arrêtent pas de 7 heures à 9 heures du soir. Je suis persuadé que cette manière de traiter le mal m’a sauvé car je n’ai pas eu le temps de m’apercevoir de la gravité de mes blessures.

20 août

Une ambulance vient me chercher et j’entre à la Préfecture de Marseille sur un brancard pour y remplir mes fonctions de Président du Comité de libération. La phase clandestine est terminée.

ANNEXE

Accords de Saretto (Vallée Maira, Piémont)

Le chef de la R2 des Mouvements unis de la Résistance et le délégué du Comité de Libération nationale du Piémont ;

A la suite des conversations cordiales menées dans une atmosphère de compréhension cordiale ;

Expriment au nom des organisations qu’ils représentent, la satisfaction d’avoir retrouvé une base d’entente commune ;

Déclarent qu’entre les deux peuples français et italien, il n’y a aucune cause de ressentiment ou de heurt en raison du passé politique et militaire récent, qui engage la responsabilité des gouvernements respectifs, et non celle des peuples, tous deux victimes du régime d’oppression et de corruption ;

Affirment la pleine solidarité et fraternité franco-italiennes dans la lutte contre le fascisme et le nazisme et contre toutes les forces de la réaction, comme phase préliminaire nécessaire à l’instauration des libertés démocratiques et de la justice sociale, dans une libre communauté européenne ;

Reconnaissent que tant pour l’Italie que pour la France la meilleure forme de gouvernement pour assurer le maintien des libertés démocratiques et de la justice sociale est la République ;

S’accordent pour engager les forces de leurs organisations respectives dans la poursuite des buts définis ci-dessus dans un esprit de pleine entente et sur un plan de reconstruction européenne.

Max Juvénal – Dante Livio Blanco, 30 mai 1944

1 Député maire d’Istres. Il sera le défenseur de Léon Blum à Riom, délégué du Comité d’action socialiste à Londres et président de l’Assemblée consultative.

2 Henri Malacrida, enseignant révoqué comme franc-maçon, l’un des responsables de Combat et des MUR dans les Bouches-du-Rhône et militant socialiste particulièrement actif.

3 L’église des Réformés se trouve à Marseille, en haut de la Canebière.

4 Villard (en fait Villars) : pseudonyme de Maurice Chevance Bertin, chef régional de Combat en R2.

5 Pierre Bernheim, chef régional adjoint NAP et SR, arrêté par la Gestapo, sera fusillé en août 1944.

6 Le colonel de réserve Léon Duboin, membre de Franc-Tireur, frère de Jacques Duboin théoricien de l’abondancisme. Arrêté à Toulon où il réside, il choisit de se suicider. Ces arrestations organisées par la Gestapo de Marseille sous la responsabilité de Ernst Dunker Delage donneront lieu au célèbre rap- port Flora qui, en juillet 1943, en fait un bilan (122 arrestations entre mars et juillet au total et plusieurs dizaines de résistants identifiés).

7 Louis Martin-Bret, de Manosque, conseiller général SFIO, organisateur de la Résistance dans les Basses-Alpes, responsables des silos coopératives du département d’où le nom de code de celui-ci.

8 Jean Multon, secrétaire de Chevance Bertin, qui passe au service de la Gestapo et est responsable d’une grande partie des arrestations.

9 Jean Piquemal et François Cuzin seront fusillés à Signes (Var) le 18 juillet 1944. Cuzin, philosophe, normalien, avait été l’un des responsables de Franc-Tireur à Toulon avant d’être muté à Digne. Piquemal, infirmier, limogé de l’hôpital de Draguignan en 1941 parce que franc-maçon. Tous deux étaient membres du CDL des Basses- Alpes.

10 La zone est occupée par IVe armée italienne et l’OVRA, la police fasciste, participe à la répression.

11 Cheval : Rebattet, chef du service national maquis. Labarthe Jean Monties, responsable régional de ce service.

12 Thibould (en fait Thibaud ou Turpin) : Jacques Renard, responsable Action immédiate au sein du Directoire régional des MUR, chef régional FFI par intérim fin juillet 1944, fusillé à Nice le 15 août 1944 ; Gardelle (en fait Gardel) : Frédéric Fourtoul, chef départemental Franc-Tireur pour le Var, responsable des Groupes Francs au sein du Directoire ; Georges Cisson, syndicaliste chrétien de Draguignan, sera fusillé à Signes le 18 juillet 1944 ; Franklin : Franck Arnal, responsable régional SR des MUR ; Elisabeth et Patricia : Agnès Bidault et Bernadette Ratier, successivement responsables régionales du Service social des MUR.

13 Francis Leenhardt, d’une notable famille protestante de Marseille, sera l’adjoint de Francis-Louis Closon dans la mise en place des Comités départementaux de libération.

14 Le capitaine Jacques Lécuyer qui avait été rapatrié de Syrie et était devenu instructeur à l’Ecole de Saint- Cyr repliée à Aix. Le témoignage reflète la tension qui règne, la jeune ORA cherchant à » récupérer  » les officiers qui encadrent l’AS. La tension atteindra son apogée en juin-juillet 1944.

15 Le DMR Louis Burdet.

16 Le chef régional SAP, Camille Rayon.

17 Godefroy : le colonel Fourrier, premier chef régional FFI, ancien commandant du régiment d’artillerie coloniale de Draguignan.

18 Pascal Copeau, chef national MUR, délégué du COMAC en zone Sud.

19 Le capitaine Robert Rossi, Levallois, deuxième chef régional FFI, évadé de la citadelle de Sisteron, sera fusillé à Signes le 18 juillet 1944.

20 Accords dits de Saretto (Vallée Maira) conclus le 30 mai 1944 avec des représentants de la résistance piémontaise dont le chef, Duccio Galimbetri avait participé à une rencontre préalable le 22 mai ά Barcelonnette au moulin des frères Chabre. Ils ont deux volets, l’un militaire de fourniture d’armes, l’autre politique, tout à fait remarquable compte tenu du contentieux entre les deux peuples.

21 Il s’agit des énormes pertes provoquées par le rassemblement de résistants sur le plateau Sainte-Anne, entre Lambesc et Charleval. Le chiffre réel est de 85. Rappelons qu’en Provence comme ailleurs, la mobilisation a été spectaculaire. Mais les envoyés d’Alger avaient convaincu, comme dans le reste du massif alpin (voir le Vercors) que le débarquement en Méditerranée aurait lieu quelques jours après celui de Normandie, que les maquis rassemblés dans les points fixés au préalable recevraient des armes et des renforts. Au total, plus de 500 hommes furent tués en R2 à la suite de cette mobilisation anticipée. Un conflit violent s’ensuivit entre Juvénal, partisan du repli et de l’attente, Rossi favorable à une ligne plus offensive mais centrée sur l’action urbaine et Lécuyer qui continuait de façon autonome le combat dans les Basses-Alpes.

22 Montcalm : le commandant Georges Flandre, membre du Directoire des MUR des Bouches-du Rhône, capitaine de l’Armée du Salut, fusillé à Charleval le 13 juin 1944 ; Marcel Roustan, chef du secteur FFI de Salon, abattu le 15 juin 1944 dans les environs de la ville ; Aldéric Chave, chef du secteur de l’Etang de Berre, fusillé à La Roque-d’Anthéron, le 13 juin 1944.

23 Le CDL des Basses-Alpes, réuni le 16 à Oraison, a été totalement fait prisonnier dans une opération typique des très mal connus groupes antimaquis de l’Abwehr, les Groupes Brandebourg. Ses membres, conduits au siège de la Gestapo à Marseille, seront fusillés à Signes (Var) le 18 juillet avec d’autres résistants (au total 29).

24 Alex Roubert, autre avocat socialiste, responsable MUR des Alpes-Maritimes.

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