LA RÉSISTANCE INTÉRIEURE ET LA LIBÉRATION DE LA PROVENCE
par Jean-Marie Guillon,
Professeur à l’Université de Provence
Revue Espoir n°96, avril 1994
Le débarquement du 15 août 1944 est second par rapport à celui du 6 juin. Il n’ouvre pas, comme lui, le deuxième front et la bataille qui le suit n’a ni l’ampleur, ni le caractère décisif de celle de Normandie. L’affaire est si bien entendue que l’on a tendance à en minorer l’importance et, avec elle, l’action des forces qui y ont largement contribué ; qu’il s’agisse des Anglo-Saxons qui ont lancé le premier assaut, de l’Armée B qui a livré les combats les plus difficiles et de la Résistance locale qui était pourtant partout présente.
Celle-ci souffre en fait de deux choses : d’abord de la méconnaissance, mais aussi des stéréotypes qui pèsent sur la Provence, en général, et sur Marseille, sa ville-phare, en particulier. Superficialité, absence de sérieux, cosmopolitisme, etc. conduisent souvent à poser un regard biaisé sur cette région. L’action de la Résistance provençale et sa place dans les événements de l’été 1944 en pâtissent encore dans la mémoire nationale, comme ils en ont pâti dès l’époque. On le voit, par exemple, dans le traitement qui lui a été réservé en 1945 dans l’attribution des récompenses. Ses responsables militaires ont été choqués par l’inégalité qu’ils ont pu constater par rapport à la Normandie.
Il ne s’agit ni d’établir un palmarès des résistances régionales, ni de vouloir hisser les événements d’août en Provence à la hauteur de ceux de juin en Normandie. Notre propos sera seulement de rendre compte d’un aspect de la Libération, celui de la participation de la Résistance intérieure, parce qu’il est généralement négligé ou simplement réduit à quelques anecdotes, toujours les mêmes, dans l’historiographie la plus répandue sur le débarquement et la bataille de Provence.
Etat des lieux
La première erreur est d’oublier que le combat ouvert pour la Libération commence ici aussi le 6 juin 1944 et que la Résistance locale doit faire face presque seule à une situation imprévue et particulièrement difficile. Le cas n’est pas unique, nous le savons bien, mais il concerne une région dont l’importance stratégique n’échappe à per- sonne et que de multiples liens unissent au Vercors, en particulier, et à la R1, en général.
On ne peut donc comprendre la situation sans faire un tableau, au moins sommaire, de cette Résistance à la veille du 6 juin.
La Provence a joué un rôle essentiel dans le démarrage de la Résistance organisée en zone non occupée. Une partie de ses créateurs ont commencé leur action dans les villes du littoral, et Marseille a été, avant Lyon, la capitale d’une Résistance encore balbutiante. Comme ailleurs, l’occupation partiellement italienne jusqu’au 8 septembre 1943 et le STO ont transformé la Résistance qui, en juin 1944, peut être sommaire- ment répartie en trois ensembles.
Autour du Mouvement de Libération nationale (ex-Mouvements Unis de la Résistance), gravite le pôle le plus ancien et le plus important, même si la quasi-hégémonie dont il bénéficiait s’est effritée. La répression menée par le SD de Marseille (et son principal artisan, Dunker Delage) et ses diverses antennes lui a porté de rudes coups. Mais depuis octobre 1943, sa direction s’est stabilisée autour de l’avocat Max Juvénal Maxence, président du directoire de la R2. Ses divers services le Noyautage des Administrations publiques (NAP) notamment s’activent pour préparer la Libération et le Mouvement de Libération Nationale (MLN) est l’initiateur de la mise en place des institutions clandestines unitaires : comités de Libération (CDL) et FFI dont le chef régional est depuis peu le capitaine Robert Rossi Levallois, également chef des CFL. L’ensemble est cependant peu homogène, affaibli par le manque de moyens (financiers et de liaison), fragilisé par des forces centrifuges soucieuses d’autonomie (socialistes autour du réseau Brutus, Section d’atterrissages et de parachutages (SAP), greffée sur les groupes de l’Armée secrète (AS), etc.).
Même si la base est souvent commune, l’ensemble MLN-CFL/FFI est concurrencé par un ensemble à caractère exclusivement militaire constitué par les réseaux qui, par vagues successives, se sont créés tout au long de la période. Le nombre et la diversité des réseaux de renseignements est remarquable avec les « anciens » toujours actifs, liés à l’Intelligence Service (IS) ou au Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) — la branche Marine de F2, Alliance, Tartane, par exemple et de plus récents assez dynamiques comme les derniers nés qui dépendent des Américains. Certains rivalisent avec les services du MLN (ainsi Gallia et son SR ou Ajax et le NAP). Mais la concurrence la plus sensible provient, outre la SAP, soit du Special Operations Executive (SOE) dans les Alpes du Sud (réseau Jockey), soit de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) qui, grâce à ses cadres, a pris le relais de l’AS (au commandement perturbé par des changements en série) en Provence centrale. Les uns et les autres bénéficient de moyens – radio en particulier – que n’a pas le MLN, et échappent à l’autorité du directoire régional. Certes l’ORA est théoriquement intégrée dans les FFI dont son commandant régional, le jeune capitaine Jacques Lécuyer Sapin, est le chef d’état-major. Mais l’autonomie de cette organisation, méfiante à l’égard des « politiques », n’en est pas moins réelle.
La concurrence la plus importante est celle de la Résistance communiste. Présente sur tous les terrains, en plein essor depuis un an, appuyée sur des maquis FTP importants dans et autour des Basses-Alpes, sur une CGT clandestine reconstituée et animatrice de luttes ouvrières spectaculaires dans la métallurgie, sur une organisation diversifiée et très cloisonnée qui sert d’écran protecteur au cœur de l’ensemble que sont les triangles de direction du Parti, elle fait pression sur ses partenaires des comités départementaux de Libération pour accroître son influence. Sans qu’il soit inversé, le rapport de force évolue en sa faveur et, dans toute la région, l’activité politique de préparation de la Libération est pratiquement paralysée par les dissensions de « ligne » (dénonciation de « l’attentisme », hostilité à l’évacuation des villes qui doivent être le cœur de l’insurrection urbaine, mise en place des Milices patriotiques) et les désaccords sur la composition des comités ou des municipalités futures.
Ces problèmes échappent le plus souvent à la base et plus encore à la population qui croit la Résistance qu’elle connaît mal plus unie qu’elle n’est. Cette population, à bout de nerfs et d’épuisement, dans la région sans doute la plus mal ravitaillée de tout le pays, est parcourue de peurs multiples, toute réunies dans celle du lendemain. Mais elle aspire évidemment à la libération, même si elle souhaite généralement que le débarquement ait lieu ailleurs. Le grand mouvement social qui débute à Marseille le 25 mai à l’initiative des communistes est significatif du climat qui règne alors ; mais il est tragiquement stoppé par le bombardement allié du 27 ( 1 800 morts), qui fait passer la population, une fois de plus, de l’espoir au découragement.
On sait le débarquement proche. La rumeur l’annonce régulièrement depuis fin avril. Les autorités s’y attendent. Une partie de la Résistance – l’ORA et la SAP a été préparée à cette échéance proche par les émissaires parachutés, en particulier par la mission interalliée du capitaine Chamay Michel.
Dans cette perspective, conformément au schéma général reçu, le capitaine Lécuyer a préparé un plan qui divise la région en zones : celle « des opérations alliées », où la Résistance apportera son appui aux éléments réguliers, celle « des maquis » correspondant pour l’essentiel aux Alpes du Sud, où la Résistance doit se rendre maîtresse du terrain pour constituer une menace sur les arrières de l’ennemi et, entre l’une et l’autre, celle dite « d’influence des maquis », soit la moyenne Provence, où la Résistance doit effectuer sabotages et coups de main. Restent les villes — celles de la côte en particulier où les conceptions divergent, l’ORA implantée en région rurale restant prudente quand les communistes se font les champions de l’insurrection urbaine, tandis que MLN/CFL partagent cette optique au moins pour partie afin de ne pas leur laisser le terrain libre. Quelle que soit l’option choisie, il faut avoir des armes et, de ce fait, la SAP se trouve sous le feu conjugué des critiques pour sa propension à vouloir en garder le contrôle, en dépit de l’arbitrage du Délégué Militaire de Région (DMR) Burdet Circonférence.
L’insurrection de juin
Chacun étant sous tension et parfois en alerte, l’annonce du débarquement de Normandie, soit spontanément (sous l’influence de la radio ou de la rumeur), soit conformé- ment aux ordres de mobilisation donnés, entraîne une véritable levée d’hommes à travers toute la région. Des jeunes gens affluent dans les centres de rassemblement prévus ou prennent leurs positions de guérilla entre le 7 et le 10 juin. Le plan « rouge » est incontestablement celui qui est le mieux suivi d’effet.
L’ampleur de la mobilisation dépend moins de l’organisation à laquelle on appartient que de l’ambiance locale et de l’attitude des responsables communaux. L’ORA obéit en bloc sur les ordres de son chef régional qui, après s’être entretenu avec Juvénal, Rossi, le représentant des FTP au sein de l’état-major FFI (Simon Huitton) et le DMR, rejoint Barcelonnette pour diriger les opérations dans la « zone des maquis » avec le soutien de la mission interalliée. Mais, bien que Rossi et Juvénal soient réticents, de nombreux groupes MLN/CFL participent eux aussi au mouvement. Le Comité départemental de Libération du Var à majorité MLN et le capitaine Salvatori, chef départemental CFL/FFI, organisent le rassemblement des résistants de la région toulonnaise dans le massif de Siou Blanc, au nord de la ville. Chez les FTP, où l’on vit dans la préparation de l’insurrection nationale, vue comme un soulèvement sur le modèle corse, et où l’on veut se démarquer des partenaires qualifiés d’ « attentistes », les ordres reçus de l’état- major de zone sud (c’est-à-dire le triangle de direction du PCF) poussent à une action ouverte. En fait, FTP et communistes sont partagés, mais, en plusieurs endroits, ils concourent à la mobilisation et occupent les localités.
Ce soulèvement, au-delà des organisations, constitue l’expression d’une révolte trop longtemps contenue, d’une adhésion massive, sentimentale, à une résistance que l’on connaît mal, mais dont on veut être. L’afflux de volontaires est tel que certains maquis renvoient chez eux ceux qui ne sont pas armés. La mobilisation se maintient ainsi plusieurs jours, jusqu’au moment où la situation (ravitaillement et sécurité) contraint à reconsidérer les choix. Les messages du général Koenig, connus des états-majors à la mi-juin, y ont contribué, mais ne nous illusionnons pas sur la rapidité et la généralité de leur diffusion. Ce sont en fait les conditions matérielles et les perspectives, l’absence de parachutage et de débarquement en Méditerranée, qui y ont poussé et, plus encore, la réaction allemande après trois jours d’expectative.
Les conséquences du « faux départ »
Elles sont considérables et pèseront sur les conditions de la participation de la Résistance aux combats d’août.
En se dévoilant, la Résistance a démasqué ses intentions. Un certain nombre d’opérations ne pourront plus être rééditées, ainsi la mobilisation de 400 ou 500 hommes dans les collines arides du nord de Toulon. Menacé, impossible à ravitailler, ce maquis a dû être dissout le 16 juin. La dispersion s’est faite sans trop de mal (11 tués quand même… et une partie des cadres arrêtés peu après), mais démoralisation et tensions internes l’accompagnent. Le cas n’est pas unique.
Les effets sont encore plus graves là où la répression a eu le temps et la possibilité de sévir. S’attendant à un débarquement le 8 juin, les Allemands ne réagissent vraiment qu’à partir du 10. Parfois assistés de la Milice, plus souvent guidés par les commandos Brandebourg que l’on confond avec elle, ils attaquent simultanément sur plusieurs points : la Sainte-Baume (maquis des Milices socialistes, le 10 juin, 11 tués), le secteur de Vaison-la-Romaine, la région de Valréas que les maquisards ont occupé 4 jours (12 juin, 53 morts), la concentration FFI du maquis Sainte-Anne, près d’Aix-en-Provence (12-13 juin, 85 morts), les vallées du Bas-Verdon et le plateau de Valensole (11-17 juin, plusieurs dizaines de tués ou fusillés), la vallée de l’Ubaye où Lécuyer doit évacuer Barcelonnette le 14, etc.
Cette situation provoque la rupture entre la direction régionale MLN/FFI (Rossi-Juvénal), soutenue par les responsables MLN/FFI de zone sud (Degliame) et le Délégué Militaire de Zone (Bourgès-Maunoury), et celle de l’ORA, que le colonel Zeller Joseph, chargé de la coordination R1-R2, appuie.
Lécuyer qui sera démis de son commande- ment FFI a décidé de continuer l’action entreprise. Organisant comme prévu son dis- positif autour du massif des Trois Evêchés, il est soutenu par les importants maquis FTP des Basses-Alpes en dépit des critiques de principe que les communistes portent contre les « déserteurs ». De son côté, Rossi paraît s’aligner plus nettement sur les positions FTP en faveur de l’insurrection dans les grandes villes, tandis que Juvénal et de nombreux responsables MLN ne sont pas partisans d’une action qu’ils considèrent comme prématurée en l’absence de tout débarquement.
A ces clivages militaires complexes, se sur- ajoutent des clivages politiques qui ne le sont pas moins. Mais, en réalité, il n’existe plus vraiment de commandement régional. Les liaisons sont devenues trop difficiles et une partie des responsables a été identifiée. L’atomisation de la Résistance qui existait de fait avant le 6 juin est portée à son comble. Vue de l’extérieur, la situation est d’autant plus confuse que le DMR est momentanément arrêté le 28 juin. Il est vrai qu’à l’extérieur, la répartition des tâches entre Londres et Alger, Koenig et Cochet, les civils et les militaires, les Français et leurs alliés, est loin d’être un modèle de clarté…
La Résistance provençale est donc, après la mi-juin, dans une situation très contrastée. Affaiblie, déchirée, éparpillée, parfois démoralisée, en partie découverte, elle a pourtant considérablement élargi son assise géographique et sociale, elle multiplie les actions, elle a ouvert un « front » intérieur. De cette situation, profitent surtout les organisations qui ont su « rebondir », celles que leurs structures et leur stratégie rendaient plus aptes à le faire, l’ORA et les communistes par FTP interposés.
Les jours les plus longs (juin-août)
Durant ces quelques semaines, le problème des résistants est de tenir, quelle que soit leur position de combat, alors que la pression ennemie est plus forte que jamais.
Le SD de Marseille bénéficie des renseignements fournis par un officier parachuté, Noël, qui circule pendant deux mois d’un groupe de résistance à l’autre, avant d’être abattu par ses employeurs. A l’origine d’attaques de maquis en juin et juillet, il est la source des deux nouvelles « affaires » que Dunker réalise (Catilina, dirigée contre l’ORA et la Sûreté navale, et Antoine qui décime MLN et FFI). Elles aboutissent à l’identification de nombreux responsables et à l’exécution en deux fournées, les 18 juillet et 12 août, de 38 résistants de toute la région, dans les bois de Signes, entre Marseille et Toulon, Parmi eux, Rossi, le chef régional FFI, Chamay, que l’on vient de nommer DMR par intérim, Georges Cisson, responsable régional de Libération, du NAP et de la presse du MLN, les membres du CDL des Basses-Alpes, tous arrêtés le 16 juillet à Oraison.
Au même moment, l’armée allemande lance une nouvelle offensive contre les maquis provençaux, parallèlement et ce n’est pas un hasard à celle qu’elle mène contre le Vercors. Le réduit résistant des Basses-Alpes est attaqué de plusieurs côtés à la fois, mais Lécuyer et ses hommes parviennent à garder le contrôle d’une zone à la limite des Alpes-Maritimes et des Basses- Alpes. Les marges de ce secteur sont sillon- nées jusqu’en août le Haut-Var l’actuel camp de Canjuers — et la région du Verdon où les maquis FTP subissent de lourdes pertes (en particulier environ 20 tués le 11 juillet à Sainte-Croix-du-Verdon), une fois de plus la région de Sault, dans le Vaucluse, la frontière italienne où des « partisans » se sont repliés, etc.
Ajoutons que la Milice, rassemblée depuis le 7 juin dans les préfectures, participe aux opérations que les occupants veulent bien lui laisser ou que la gendarmerie, elle aussi rassemblée aux mêmes endroits, n’entend pas assurer.
La fragmentation de la Résistance s’accentue. Rossi ne peut être remplacé malgré les efforts de plusieurs responsables pour assurer la continuité (Jean Garcin, chef régional des Groupes francs, Simon, représentant les FTP, Renard, désigné par Juvénal, vite arrêté et fusillé le 15 août à Nice avec 20 autres résistants). Les CFL/FFI de Marseille sont divisés. On envisage en août d’y muter le chef départemental FFI du Var, « brûlé » depuis juin et à qui il faut trouver un remplaçant. Le CDL de ce département-clé manque cruellement de moyens de liaison, tout comme la plupart des responsables « politiques » de la Résistance. Les émetteurs abondent dans la région, mais ils échappent à leur contrôle. Les réseaux participent à l’émiettement. Dans la partie alpine, le SOE (Jockey) dispose d’une influence qui le fait intervenir au même titre qu’un mouvement et, dans la région marseillaise, il soutient l’initiative des Milices socialistes. A une échelle plus réduite, tel réseau américain, tel chef d’unités de transmission de Gallia ont sous leur autorité tout ou partie d’un secteur de Résistance, sans oublier la SAP dont le chef régional, Camille Rayon Archiduc, toujours en butte à des critiques, est remplacé par Eugène Bornier Curé (début juillet). Basé dans la région d’Apt depuis le printemps, ce réseau est le principal organisme de liaison avec l’extérieur, jouant jusqu’au bout un rôle crucial dans les opérations aériennes. C’est de là que peut partir le colonel Zeller dans la nuit du 1er au 2 août, porteur d’un plan d’attaque à travers les Alpes ; c’est là qu’atterrissent les envoyés de Londres ou d’Alger, Closon, Luizet, dont on sait le rôle, ou encore le nouveau DMR Widmer et, avec des attributions comparables semble-t-il, le colonel Constans qui vient, peu après, trop tard de toute façon, pour compliquer une situation qui l’était suffisamment. D’autant qu’était déjà arrivé le capitaine Sorensen Chasuble, chargé par le général Cochet d’arbitrer dans le différend ORA/FFI.
En fait, tout se passe comme si, par émissaires interposés, chaque clan de la Résistance extérieure ou des Alliés, aussi méfiants et mal renseignés les uns que les autres, for- cément en retard sur une situation mou- vante, nourrissait l’illusion de chapeauter l’action militaire, et éventuellement poli- tique, de la résistance intérieure. Ces péripéties affectent peu une base qui ignore la plupart des clivages et des sigles, qui attend des armes et qui se demande souvent combien de temps on pourra tenir tant sont nombreuses les arrestations, les prises d’otages, les morts.
Cependant, en dépit des menaces et des actions imprévisibles d’un occupant aux abois, d’une situation matérielle souvent tragique (pénurie de vivres, évacuations côtières, bombardements répétés), la population manifeste quand elle le peut ses sentiments. On trouve de multiples traces de la connivence qui entoure la Résistance malgré la peur que l’on a des représailles, mais on le mesure aussi avec la multiplication des actions collectives, manifestations ou grèves, souvent suscitées par les communistes et les organisations qu’ils animent (CGT, Front national, etc.). Les occupants se sentent entourés d’hostilité et surestiment considérablement la force de la Résistance qu’ils croient appuyée par des milliers de parachutistes dans les Alpes.
Les communistes accentuent leur pression sur l’occupant, sur les « collaborateurs » et sur le reste de la Résistance qu’ils veulent entraîner et où ils trouvent de nombreux soutiens. Ils entendent occuper le terrain, celui que l’action des militants conquiert et celui qui est pris à des partenaires affaiblis par la répression et par les divisions. Leurs critiques à leur encontre se sont accentuées depuis les événements de juin qui ont permis de stigmatiser l’« attentisme » des uns, la « désertion » des autres, et toujours l’injuste répartition des armes. Plus que jamais, le PCF pousse à l’insurrection, en dépit des réticences de chefs FTP conscients de leur faiblesse, notamment en ville, et d’abord à Marseille. Préparée par une intense campagne « pour 500 grammes de pain », l’action culmine entre le 11 et le 17 juillet avec une série d’actions pré-insurrectionnelles arrêts de travail et grèves, manifestations diverses, tentative de désertion en masse des unités arméniennes sous uniforme allemand stationnées dans le secteur du Lavandou, coups de main (actions d’épuration et sabotages) menés par les maquis FTP qui, par ailleurs, détruisent systématiquement les ponts routiers sur les axes conduisant aux Alpes.
En dépit de cette combativité, la fin juillet et la première quinzaine d’août marquent souvent un essoufflement. La réaction allemande est vive et les moyens d’y faire face réduits.
Le débarquement
Les raids aériens se multipliant, Allemands comme résistants s’attendent à quelque chose d’imminent. Toulon a été bombardée pour la 8e fois le 6 août et à partir du 11, l’aviation alliée attaque systématiquement les défenses littorales, les voies de communication et les batteries. L’état-major allemand a la certitude du débarquement le 13. Le lendemain, sont placardées les affiches qui ordonnent l’évacuation de Toulon par la population qui y réside encore. Trop tard.
Au début août, les occupants disposent de quatre divisions entre le Rhône et la frontière italienne auxquelles s’ajoutent de multiples éléments autres (marine, aviation, etc.). Après avoir eu tendance à dégarnir leurs positions au profit de la Normandie, ils renforcent leur dispositif dans le secteur qui paraît le plus probable pour le débarquement, celui que les Alliés ont effectivement choisi, le littoral Hyères-Saint-Raphaël. Tenu par la 242e Division d’infanterie, sous le contrôle du 62e CA, dont le PC est à Draguignan, il est repris en mains et complété en arrière des Maures par des éléments de réserve.
Les Alliés ont choisi ce secteur au printemps. En dépit du relief – le massif des Maures – et de voies de communication mal commodes, il a été préféré aux plages proches de Toulon pour son éloignement des batteries du camp retranché et surtout pour sa position par rapport à l’axe de communication la RN 7 — qui relie la Basse-Provence à la vallée du Rhône en passant par Brignoles et Aix, qui permet donc de contourner Toulon et Marseille et de ne pas être retardé par les combats que l’on présume difficiles dans ces deux villes.
Scrutée par l’observation aérienne, la région est quadrillée par des réseaux de renseignements dont le travail, difficilement mesurable, a pourtant joué un rôle indé- niable dans la réussite des opérations. C’est là un apport de la résistance intérieure trop souvent négligé et que l’on ne peut mesurer que pour certains d’entre eux, F2 (sous- réseau Azur) ou SR Marine Edouard, sans préjuger de ce que les autres ont pu faire. Le problème est évidemment de faire parvenir les renseignements à temps, mais, le 5 août, le lieutenant de vaisseau Midoux, membre de la mission Sampan (mission anti-sabotage du port de Toulon), peut s’envoler de la région d’Apt vers l’Italie porteur du courrier des SR Edouard et MLN.
Chaque nuit amène de nouvelles missions, dont l’utilité sera d’ailleurs fort variable. Au total, la région a reçu trois groupes opérationnels (pour les Basses-Alpes et le Vaucluse) et sept équipes Jedburgh depuis le 31 juillet. Dans le Var, atterrissent en outre l’équipe de soutien de la mission Sampan dirigée par Jean Ayral Gédéon, ancien délégué de Jean Moulin en zone occupée, et, à l’autre bout du département, celle du commandant Allain Lougre, qui supervise les diverses la équipes anti-sabotages. C’est par lui que Résistance locale apprend, le 14 août, le déclenchement des opérations dans la nuit. Aussitôt, les responsables FFI de la région dracénoise font enlever les « asperges de Rommel » plantées dans la zone d’atterrissage prévue près du village de La Motte. Par ailleurs, Allain peut rencontrer non loin de là l’enseigne Sanguinetti et ainsi faire prévenir la mission toulonnaise dont il est membre et, par elle, le CDL, de l’imminence des événements. Ayral ne pourra les rejoindre, mais c’est en participant aux combats de la Libération de la ville avec ses hommes qu’il trouvera la mort.
Les opérations de débarquement commencent dans la nuit du 14 au 15 août par la mise à terre de groupes précurseurs dans les îles d’Hyères (Port-Cros et le Levant) et aux ailes de la zone de débarquement. On connaît le drame du Groupe naval d’assaut pris dans un champ de mines récent ou passé inaperçu — au Trayas et le succès des commandos du colonel Bouvet dans le secteur du Lavandou. Peu après, commence le parachutage des premiers éléments de la 1st Airborne Task Force autour de La Motte. Il précède l’arrivée de planeurs. Il s’agit de contrôler l’arrière de la zone de débarquement, le débouché des Maures sur la RN 7 au carrefour du Muy. A partir de 8 h., le débarquement proprement dit a lieu, après un pilonnage d’artillerie, sur les plages comprises entre Cavalaire et Saint-Raphaël. Réalisé par des unités américaines des 5e, 36e et 45e DI, que rejoint un peu plus tard le Combat Command 1 du colonel Sudre (le DB), il ne subit qu’un seul échec sur la plage de Fréjus.
L’avancée des troupes est rapide. Draguignan et ses états-majors sont pris le 17, Brignoles le 19, date à laquelle les hommes de l’Armée B du général de Lattre de Tassigny, arrivés à partir du 16, assurent la relève des Américains sur la « ligne bleue », c’est-à-dire la basse vallée du Gapeau entre Solliès-Pont et Les Salins d’Hyères. Pendant que les uns poussent sur l’axe central vers Aix et Avignon (contrôlées le 21 et le 25), les autres doivent s’emparer du camp de Toulon que les Allemands mettent en défense (réoccupation des forts, obstruction des passes, etc.) et de cet autre gros morceau que constitue Marseille.
La libération de la Provence se déroule en deux temps :
- l’arrière-pays est libéré pour l’essentiel entre le 15 et le 24 août, bien au-delà des espérances puisque les détachements alliés poussent des pointes jusqu’à Grenoble, Montélimar, la frontière italienne! Plusieurs garnisons sont circonvenues sans difficulté tant le moral était bas : les 850 hommes de Gap se rendent le 20 aux FFI (à direction ORA) et à un détachement américain). Mais l’affaire n’a pas été facile partout : bouchons et combats retardateurs depuis Le Muy jusqu’aux ponts du Rhône se comptent par dizaines, même si ce sont souvent des troupes en repli que les Américains chassent devant eux (évacuation d’Aix, Salon, Arles, Avignon, etc.). Il a fallu faire face à des contre-attaques, la plupart limitées mais dangereuses pour une résistance médiocrement armée et peu aguerrie (Draguignan, Barjols, Arles, Gap, etc.). Certaines, menées à partir de la frontière italienne, ont récupéré du terrain, en Haute-Ubaye par exemple et Briançon, libérée le 24, reprise le 29, n’a été reconquise que le 6 septembre par les FFI et les troupes nord-africaines.
- la bataille des villes côtières constitue une deuxième temps qui commence le 20 août et aboutit le 28 avec la chute simultanée, après de rudes combats, de l’agglomération de Toulon-La Seyne et de Marseille, au moment même où les résistants font le coup de feu dans Nice.
Libération facile ? Incontestablement plus facile que prévue puisque Toulon était à J + 20, Marseille à + 40 et Lyon à + 90 dans les plans initiaux. Démoralisation de l’adversaire depuis le débarquement du 6 juin, évacuation d’une région que l’on ne cherchait pas à tenir à tout prix, supériorité manœuvrière des troupes débarquées sont autant d’éléments essentiels d’explication. Mais aussi, rôle de la Résistance intérieure, non pas tant c’est une évidence dans l’issue des événements que dans la rapidité de la réussite.
La Résistance provençale dans les combats du mois d’août
Il n’est pas possible de détailler. La Résistance, sous des formes et avec des possibilités diverses, est partout et, avec elle, une partie de la population qui se reconnaît dans ce qu’elle représente. Les deux sont indissociables et ce n’est pas l’un des moindres succès de la Résistance tout entière, intérieure et extérieure, que d’avoir entrainé le pays derrière elle. N’insistons pas sur les aspects politiques de la Libération, bien qu’ils soient essentiels. Dans la plupart des communes, un pouvoir résistant est en place à l’arrivée des troupes débarquées. Les responsables désignés peuvent prendre leurs fonctions sans grandes difficultés, à commencer par le commissaire de la République, Raymond Aubrac, arrivé à Saint-Tropez le 18, qui prend là ses premières décisions, avant de rejoindre Mar- seille dès le 24.
D’un point de vue militaire, malgré la douche froide de juin et les drames subis depuis, la participation résistante est loin d’être négligeable, même s’il y a pulvérisation des initiatives à un niveau qui ne dépasse pas souvent un groupe de communes. On peut résumer cet apport en quelques points :
- le combat partout, avec les moyens qui sont les leurs, les FFI — et l’expression traduit bien l’unité du moment en s’étendant dès lors à tous les combattants de la Résistance font le coup de feu avant l’arrivée des troupes régulières et avec elles. Saint-Tropez, le 15 août, est libérée par la très active résistance locale avec le renfort de parachutistes largués là par erreur. La commune voisine, Cogolin, est occupée, dès le matin du 15, par les maquisards FTP qui sont parvenus à réduire une batterie tenue par des Azéris. Dans l’arrière-pays, avec parfois un délai d’attente dû au souvenir récent de la mobilisation de juin, les positions de guérilla sont occupées pour tendre des embuscades contre des soldats ou des véhicules isolés. A partir des villages qui s’égrènent au-dessus de la route nationale qui relie Draguignan à Grasse, d’autres parachutistes, perdus dans la nature, aident les résistants locaux, sédentaires ou maquisards qui les ont récupérés, à gêner les mouvements de l’adversaire et à établir la liaison avec l’Etat-major allié. Du Ventoux ou du Luberon, des montagnes de l’arrière-pays niçois, les maquisards descendent contrôler les localités voisines et « accrochent » les éléments ennemis en repli.
Isolément ou en groupes, des résistants se joignent aux unités débarquées, les accompagnent, s’y incorporent éventuellement. C’est ainsi que la cinquantaine d’hommes du principal maquis CFL du Var, dirigée par le lieutenant Sivirine Vallier, après avoir fait mouvement du Haut-Var vers les Maures pour se trouver aux avant-postes le moment venu, est intégrée à la 1ère DFL avec qui elle a participé à la libération de Hyères, assurant seule celle de la presqu’île de Giens.
– L’accélération des décisions : le cas des Alpes-Maritimes est significatif. Le général Fredericks, commandant la 1ère ABTF, couvre le flanc est des troupes débarquées. L’avance vers Nice n’est pas prévue dans l’immédiat.
Or l’action de la Résistance permet le contournement par l’intérieur. Le capitaine Lécuyer, chef FFI des Alpes-Maritimes, tra- verse le nord de ce département et l’est du Var jusqu’à Saint-Raphaël pour convaincre Fredericks de faire avancer ses hommes. Il ne parvient qu’à un demi-succès. Les Alliés ne s’engagent que très prudemment en dépit de la reconnaissance qu’ils ont envoyée jusqu’à Puget-Théniers, laissent la Résistance assurer seule le harcèlement, avancent finalement jusqu’au fleuve Var et, après de nouvelles hésitations, le franchissent pour atteindre Nice, évacuée et libérée, le 29 et arriver à Menton le 6 septembre. Mais le temps perdu a permis aux Allemands de se replier vers l’Italie dont la frontière restera un abcès de fixation et une menace.
Par contre, du côté nord, les renseignements reçus du colonel Zeller ont préparé le terrain à une réaction plus rapide. La solidité de la tête de pont et son élargissement rapide permettent la mise sur pied de la Task Force Butler avec des éléments de la 1ère ABTF : Partie du Muy le 18 août, mettant la main peu après sur le général Neuling, commandant du 62e CA, qui est parvenu à quitter Draguignan, elle avance en terrain libre ou libéré, atteint la route Napoléon, Digne, Gap et surtout les limites de l’Isère (Luz-la-Croix- Haute) le 19, avant d’être dirigée vers la vallée du Rhône pour peser sur le repli allemand et d’être relevée par la 36e DI qui est à Grenoble le 22.
Le rôle de la Résistance locale dans la décision de brusquer l’attaque de Toulon et de Marseille est bien connu. Pour Toulon, on sait l’importance de la liaison effectuée par Sanguinetti au PC du général de Lattre à Cogolin, le 18 août. Certes la destruction des quais et des ouvrages d’art, minés au préalable, ne peut être évitée, mais, du moins, aucun des deux ports ne peut être transformé en « poche ».
– Le guidage des troupes et les opérations annexes les indications fournies par les innombrables complicités rencontrées tout au long de l’avance expliquent pour une part la rapidité des mouvements. Partout, il s’est trouvé des FFI pour guider et accompagner les soldats. Ce rôle a été notoire dans la prise de Toulon, tant pour les opérations ponctuelles comme la prise du spectaculaire fort du Coudon qui domine le camp que pour le vaste mouvement tournant qui permet aux unités de la 3e DIA de s’enfoncer dans les massifs qui enserrent la ville et de surgir sur les arrières des occupants. Mais la libération de Draguignan, l’avancée dans les Alpes- Maritimes, le contournement de Marseille, etc., ont bénéficié d’un apport identique.
En même temps, les résistants locaux libèrent les troupes de certaines contraintes. C’est à eux qu’est confiée la garde des prisonniers et leur convoiement vers les « cages » installées au fur et à mesure de la progression. C’est eux qui assurent les opérations de nettoyage, la sécurité des liaisons et celle des arrières.
Le noyautage des occupants chaque acte de résistance, même minime, même avorté, a contribué à la démoralisation de l’ennemi en renforçant le sentiment d’insécurité. Mais il y a plus ce sont les contacts directs que tel ou tel groupe de résistance a pu établir avec certains occupants, en particulier avec les nombreux « allogènes » — les éléments de l’Ost-Legion – présents dans la région qui sont le « ventre mou » des forces d’occupation. Nous avons déjà évoqué les contacts engagés par la direction des FTP- MOI (Main d’œuvre Immigrée) avec les Arméniens du Lavandou, prêts à déserter en nombre à la mi-juillet vers les Basses-Alpes. L’affaire, sans doute éventée, a échoué, mais n’a-t-elle pas affaibli les capacités de défense de l’un des points de débarquement ?
On recense de nombreux cas de mutineries au moment des combats. La plupart ont été préparés avec la Résistance locale. Il s’en produit à Marseille comme à Nice. Dans le Var, on en repère à Barjols, où le détachement arménien élimine ses cadres allemands et combat avec les résistants en attendant l’arrivée des Américains, à Hyères et Carqueiranne où plusieurs dizaines d’Arméniens passent du côté des FFI (en dépit de la répression qui a entrainé l’exécution de certains de leurs officiers peu avant), ou encore à La Seyne où des Polonais et des Arméniens se mettent au service de la Résistance par l’intermédiaire d’un résistant d’origine russe.
- les insurrections urbaines : c’est l’une des caractéristiques de la libération de la Provence que d’avoir connu plusieurs insurrections urbaines avant l’arrivée des soldats réguliers ou le départ des Allemands.
A Draguignan, l’initiative d’engager le combat sans attendre, le 16 août, est prise par le CLL contrôlé par le MLN (à direction socialiste) avec l’appui des gendarmes dont le commandant est favorable à la Résistance. Les FTP s’y sont ralliés et apportent une contribution importante, alors que les Allemands contre-attaquent et que l’arrivée des troupes aéroportées se fait attendre.
A Toulon, l’affaire est engagée par le CDL, à majorité MLN, et le commandement FFI (encore assuré par le capitaine Salvatori) pour empêcher les occupants de s’enfermer dans le camp retranché. Là encore, FTP et Milices patriotiques, tout en restant autonomes, y participent activement. Précédés de sabotages et de coups de main, les combats commencent effectivement le 21 août. Pendant deux jours, les 22 et 23 août, les FFI, toutes tendances confondues, appuyés par des éléments du Bataillon de choc infiltrés par les faubourgs nord, tiennent le centre-ville, perturbent les liaisons ennemies, isolent les arsenaux et les forts, avant que, de l’ouest et de l’est, les unités motorisées de l’armée de Lattre 3e DIA et 9e DIC par- viennent à les rejoindre, le 23.
Les combats qui se déroulent simultanément à Marseille sont encore plus confus. L’étendue de la ville, la nature de ses quartiers qui sont autant de cellules particularistes et la pulvérisation de sa Résistance l’expliquent. Personne ne dirige vraiment l’insurrection. Mais le CDL, dirigé par le socialiste Francis Leenhardt (en remplacement de Juvénal, blessé), en a lancé le mot d’ordre le 19 et la CGT a appelé à la grève générale insurrectionnelle. En dépit de la faiblesse de l’armement, malgré les divisions, c’est dans une ville « debout » un peu trop au gré de certains que les hommes du 7e RTA pénètrent le 23, deux jours après que la Résistance s’est emparée de la Préfecture pour y installer le CDL. Rejointes par les gendarmes, toutes les composantes militaires de la Résistance ont participé à l’action tant et si bien que chacun, après-guerre, a eu tendance à tirer la couverture à soi les FTP, notamment les FTP-MOI, principaux éléments sur lesquels le commandement FTP peut compter, les Milices patriotiques plus étroitement contrôlées par le PCF les divers groupes CFL/FFI, les Groupes francs qui n’y ont jamais été vraiment intégrés, les Milices socialistes, les hommes des réseaux. Plus d’une centaine d’entre eux auraient trouvé la mort et un millier de soldats réguliers (marocains pour la moitié).
C’est à Nice que l’insurrection est le plus nettement voulue et assurée par les communistes. Après avoir suscité un CDL qui leur soit favorable, ils ont créé un comité insurrectionnel, alors que les Américains hésitent, laissant seuls les résistants face à une contre-attaque le long de la vallée du Var. Ce comité assure le commandement d’une opération dont FTP et FTP-MOI sont le fer-de-lance. Précédée de coups de main, elle est déclenchée le 28. Après une journée de harcèlement, les Allemands évacuent la ville dans la nuit. Mais les conditions de la libération d’Arles sont à peu près identiques : un comité militaire nommé par le comité local de Libération, qui ne sont ni l’un ni l’autre à direction communiste, des combats le 22 et le 23 durant lesquels les FTP jouent un rôle important tout en restant autonomes, alors les que Allemands évacuent, puis tentent de revenir, avant de partir le 24 à l’approche des Américains.
Si le processus est partout identique et porte la marque des communistes (proclamation de la grève générale insurrectionnelle par la CGT, appel au combat par le CDL, déclenchement volontariste des hostilités), l’on aurait tort de considérer qu’il s’agit seulement d’une manœuvre de leur part visant à s’emparer du pouvoir local. Nice mis à part, chacun y a généralement participé en considérant cet ultime engagement comme indispensable. Une façon qui ne se voulait pas que symbolique de signifier que l’on tenait à être présent lors de la phase finale d’une libération attendue depuis longtemps. Pour tous, l’objectif était d’installer un pouvoir résistant qui ne pouvait être que partagé entre les diverses composantes mais aussi d’assurer une participation française à la libération militaire pour éviter l’AMGOT, pour imposer la résistance intérieure et, en son sein, les communistes comme un acteur à part entière et inciter les troupes débarquées à accélérer le mouvement. Même à Nice, ce sont bien ces objectifs-là qui ont prévalu.
Les Allemands vont s’accrocher aux massifs qui enjambent la frontière italienne jusqu’en avril 1945. Maquisards italiens et FFI de la région fournissent une partie de ceux qui tiendront ce front jusque-là. Ils sont intégrés au Groupement alpin sud, avant que la 1ère DFL ne soit chargée de passer à l’offensive. C’est avec elle que se termine la libération de cette portion du pays. D’autres FFI ont été envoyés sur le front alsacien. D’autres encore qui auraient voulu en être ont végété dans cette attente jusqu’au printemps.
La Résistance provençale, fractionnée en courants rivaux, en stratégies concurrentes, au bord de la rupture ou en état de rupture parfois, et plus encore après les événements de juin qui l’ont affaiblie et mise en porte-à- faux, a été emportée, comme ailleurs, par l’élan unitaire qui fait de la Libération un temps exceptionnel. Elle y a tenu une place qui ne mérite ni le mépris, ni la suspicion. La situation était révolutionnaire sans doute, mais, comme à Toulouse, elle a suscité des craintes disproportionnées et des fantasmes tenaces.
Le général de Gaulle n’est pas insensible à l’accueil qu’il reçoit lorsqu’il vient, le 15 septembre, à Marseille, avant de se rendre à Toulon, mais ses préventions sont trop fortes. Aux sentiments de l’homme du Nord pour un Midi perçu comme turbulent, aux conceptions du militaire devant une résistance « tour de Babel », s’ajoutent les inquiétudes de l’homme d’Etat face à une situation qui lui a été présentée comme anarchique, ce dont il se souvient en écrivant dans ses Mémoires de guerre (Le Salut) :
« Nulle part, mieux que dans cette grande cité tumultueuse et blessée, je n’ai senti que seul le mouvement de la Résistance pouvait déterminer le renouveau de la France, mais que cette espérance suprême ne manquerait pas de sombrer si la libération se confondait avec le désordre. »