L’INDÉPENDANCE NATIONALE,
UN HÉRITAGE À PRÉSERVER
par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle
À l’issue des élections législatives et de la tripartition des forces politiques qui viennent de conclure la campagne électorale organisée à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République, la célébration de la fête nationale du 14 juillet est l’occasion de rappeler les enjeux de l’indépendance de la France dans un monde où la sécurité et la liberté demeurent fragiles.
La vision française de l’indépendance nationale résulte de la pensée et de l’action du général de Gaulle, convaincu par la défaite de 1940 qu’un pays exposé aux périls extérieurs doit conserver la maitrise de son destin.
Ses lectures, sa formation militaire, ses affectations successives, un passage par le Secrétariat général de la Défense nationale, ses relations difficiles avec le président Roosevelt durant la deuxième guerre mondiale, son souvenir de la tentative américaine d’instaurer un gouvernement militaire allié d’occupation avec des officiers américains et britanniques pour administrer les territoires libérés en 1945, ont convaincu Charles de Gaulle que l’indépendance nationale est une exigence, comme il l’a rappelé lors d’une conférence de presse le 5 septembre 1960 en affirmant « la France ne peut évidemment pas laisser son propre destin et même sa propre vie à la discrétion des autres ».
Louis Gautier, Secrétaire général de la Défense nationale de 2014 à 2018 a considéré lors d’un séminaire Défense organisé en janvier 2017 par la Fondation Charles de Gaulle que « L’attachement gaullien au primat de l’indépendance nationale s’est affermi dans les épreuves historiques dont le Général fut à la fois un témoin et un acteur, comme le désastre de 1940, la Résistance et les guerres de décolonisation », estimant que le discours prononcé à Bayeux par le chef de la France Libre le 16 juin 1946 « en porte témoignage, qui insiste sur la nécessité de la reconstitution de l’Etat et de la stabilité institutionnelle pour traiter d’égal à égal avec les grandes nations du monde ».
Lorsqu’il est revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle n’a pas manqué d’affirmer l’importance de l’indépendance dans l’histoire de notre Pays puis, pour la garantir, de promouvoir une stratégie de politique étrangère et de défense [1] fondée sur le redressement de l’économie d’une part et d’autre part sur une force de dissuasion nucléaire autonome afin d’assurer la sécurité de la nation. La décision de quitter le 7 mars 1966 le commandement intégré de l’OTAN (sous commandement américain), tout en maintenant notre adhésion à l’Alliance atlantique participe de cette démarche d’une dissuasion autonome.
Et si cette politique a fait l’objet d’ajustements rendus nécessaires par les évolutions géostratégiques, les progrès technologiques et les nouvelles menaces survenues depuis la fin de la guerre froide, la politique de la France est toujours inspirée aujourd’hui par le souci de préserver les moyens, les capacités humaines et industrielles de notre indépendance nationale tout en plaidant logiquement et dans la continuité de la pensée du Général, pour une coopération et une interopérabilité avec nos alliés.
Mais l’objectif de l’indépendance demeure : il s’agit de ne pas avoir à s’incliner en cas de désaccord et de ne pas craindre d’exprimer une position différente de celle des autres Etats. D’autant plus que si l’Europe est constituée d’une trentaine de peuples, leur sentiment d’appartenance n’est pas le même, chacun appréciant d’abord ses propres intérêts avant d’envisager un projet commun [2].
La France s’est, pour sa part, prononcée récemment pour un effort accru de coopération entre les industries de défense des principaux pays membres de l’Union européenne et considère que cet effort est essentiel pour en assurer l’autonomie stratégique. Le Président de la République lui-même a souligné le 25 avril 2024 à la Sorbonne que « Notre Europe aujourd’hui est mortelle. Elle peut mourir et cela dépend uniquement de nos choix ».
Le lendemain, s’entretenant avec une douzaine de jeunes européens, Emmanuel Macron s’est déclaré partisan de l’ouverture d’un « débat qui doit inclure la défense anti-missile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’armement nucléaire américain », ajoutant que la France entend garder « sa spécificité mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen ». Le chef de l’Etat a précisé que, pour l’arme nucléaire « la doctrine française est qu’on peut l’utiliser quand nos intérêts vitaux sont menacés » en rappelant à ses jeunes interlocuteurs « J’ai dit qu’il y a une dimension européenne dans ces intérêts vitaux ».
Comme le rappelle Nicolas Barotte, spécialiste défense du Figaro : « la guerre est une affaire d’anticipation qui repose sur deux piliers : restreindre les choix de l’adversaire et conserver une liberté de manœuvre ». (Le Figaro du vendredi 1er mars 2024).
Avant même une menace directe sur les frontières de la France, il convient, en effet, de réfléchir à une approche de la défense prenant en compte non seulement la défense de son sol, mais aussi celle de ses intérêts essentiels, notamment sa monnaie (qui est l’Euro depuis le 1er janvier 2002), son approvisionnement énergétique et l’intégrité territoriale de ses voisins, notamment l’Allemagne ou celle de pays frontaliers d’un régime hégémonique comme la Pologne et quelques autres membres de l’UE, si un envahisseur y pénètre. Fondement de la dissuasion, la notion d’intérêts vitaux doit cependant demeurer floue et ambiguë pour compliquer l’analyse et la réflexion stratégique de l’adversaire.
Pour la France et ses partenaires comme pour toute autre nation souveraine, les réalités du monde actuel sont entremêlées. Qu’elles soient économiques, technologiques, politiques, militaires, scientifiques ou culturelles, elles s’imbriquent de plus en plus dans un monde marqué par des rivalités, des déséquilibres démographiques, des tensions idéologiques et des conflits ethniques sur la plupart des continents.
L’évêque aux Armées, Mgr Antoine de Romanet, a souligné dans l’une de ses récentes lettres d’information consacrée à l’arme nucléaire : « Avec la mise en œuvre de l’énergie atomique sous forme d’arme de guerre, l’humanité est entrée dans un ‘’nouvel âge’’ terrifiant : désormais l’Homme a pénétré l’intime de la relation matière/masse/énergie. Comme s’il avait dérobé le secret de l’énergie sacrée des origines, il détient maintenant la capacité de décider de ‘’la fin du monde’’… La rationalité de la dissuasion vient de ce qu’elle ‘’contient’’ doublement la violence ; elle est cette stratégie qui intériorise une violence absolue pour la limiter absolument, voire pour en interdire l’emploi… Le nucléaire n’est qu’une question secondaire de la question militaire qui elle-même ressort du politique… La gageure n’est pas tant celle du bien ou du mal que celle du ‘’moindre mal’’… Le désarmement ne se décrète pas, il se construit ».
Patrie des droits de l’homme, la France, sous l’autorité de ceux qui la dirigent depuis le début de la Ve République, a ainsi la double charge de garantir la liberté, la cohésion nationale et la solidarité des Français tout en déployant sa politique extérieure au service de la Paix, du progrès et de la dignité de la personne.
Cette philosophie de l’action, inspirée par la pensée pragmatique du général de Gaulle, demeure dans la plupart des situations contemporaines une source d’inspiration utile pour entretenir l’union des Français autour d’une cause commune qui les invite à faire corps, à maintenir notre autonomie stratégique et à rester prêts à défendre une civilisation éprise de paix, de démocratie, de libertés et soucieuse de solidarité.
Cette conception s’applique, bien évidemment, à la coopération européenne : l’Europe doit être envisagée non pas comme un Etat fédéral qui affaiblirait les nations, mais comme une union entre Etats qui s’associent pour coopérer et mener des actions communes dont ils assurent entre eux la définition et la mise en œuvre dans un champ de conflictualité élargi à l’espace cyber, aux câbles sous-marins par lesquels transitent chaque jour des dizaines de milliers de milliards de données et de devises, ou encore à la circulation de fausses nouvelles, de vidéos mensongères ou truquées via internet et différents réseaux malveillants.
La coopération entre nations européennes est dès lors nécessaire et plusieurs dirigeants des pays membres de l’UE ont souhaité que s’engage une réflexion sur ses capacités dans le domaine de la défense de l’Europe. Le premier Livre blanc sur la Défense, élaboré en 1972 sous la responsabilité de Michel Debré, ministre d’Etat chargé de la Défense nationale, précisait déjà dans son chapitre premier : « La France vit dans un tissu d’intérêts qui dépasse ses frontières. Elle n’est pas isolée. L’Europe occidentale ne peut donc dans son ensemble manquer de bénéficier, indirectement, de la stratégie française qui constitue un facteur stable et déterminant de la sécurité en Europe ».
Et si l’actuel président de la République s’est exprimé en avril dernier dans ce sens, la majorité des Français est parfaitement consciente de la nécessité de « faire l’Europe sans défaire la France » en veillant à la défense de nos intérêts car « ce que la France ne fera pas pour elle-même, nul ne le fera à sa place ». De surcroit, l’Europe n’est pas la même selon que la France est forte ou faible.
Il est donc essentiel que la France soit indépendante et maitresse de son destin, comme elle est maitresse de ses relations avec les autres Etats. Et s’il faut aujourd’hui qu’elle participe plus activement à l’élaboration d’une politique de défense de l’Europe [3], il lui faut conserver la maîtrise de l’engagement de sa force de dissuasion dont notre Pays est propriétaire exclusif et dont le Chef de l’Etat doit rester le seul à pouvoir souverainement déclencher la mise en œuvre car la souveraineté d’une nation ne se partage pas.
Comme l’a souligné l’Amiral Pierre Vandier, Major-général des Armées dans une interview (Le Figaro du 18-19 mai 2024), « Nous sommes entrés dans une ère d’instabilité structurelle. Un équilibre à trois, Etats-Unis, Russie, Chine, est beaucoup plus complexe à trouver qu’un équilibre à deux. D’autant plus que le ‘’Sud global’’ cherche à s’inviter dans la discussion ».
Désormais, Il nous faut également considérer que la notion de conflictualité s’est élargie aux nouvelles technologies et à leurs applications à la monnaie, à l’énergie, à l’industrie, aux transports, à l’éducation, à la santé, à la communication. La maitrise de l’information et des réseaux de diffusion, le récent développement de l’intelligence artificielle sont devenus des composantes de la puissance et participent à une hiérarchisation des rapports entre Etats susceptible de fragiliser l’importance militaire des plus armés dans un contexte de guerre asymétrique [4].
Le tempérament ambitieux et donc délibérément égoïste de certains dirigeants, que l’on peut observer dans des Etats rejetant la démocratie dans différentes régions du monde, oblige ainsi les démocraties menacées et leurs alliés à renforcer leurs moyens sécuritaires pour garantir leur liberté, assurer l’indépendance de leurs frontières et parfois celle de leurs voisins. Il faut donc relever intelligemment ce défi de l’indépendance dans l’interdépendance pour continuer à maitriser les choix qui non seulement fondent le destin de la France et de ses habitants, mais contribuent à affermir les capacités de ses partenaires.
Le monde dans lequel nous vivons a vécu plus de conflits et de guerres que de périodes de paix. La sécurité et la liberté reposent sur un effort constant. L’invasion de différentes parties du territoire de l’Ukraine par la Russie, les visées de la Chine sur Taiwan et les Philippines, celles de la Corée du Nord sur sa voisine du Sud, les dictatures qui se développent en Afrique avec le soutien de milices russes [5] ou l’aide d’experts en développement venus de Chine, le terrorisme terrestre, maritime [6] et désormais cyber [7], la montée en puissance des BRICS soucieux de se démarquer de l’ordre international pour mieux défendre leurs propres intérêts et les mises en garde de l’ancien et peut-être futur président républicain des Etats-Unis sur le déséquilibre Etats-Unis/Europe du financement de l’Alliance Atlantique en situation de crise[8] doivent nous inciter à la vigilance et à l’effort face à des menaces qui changent de nature tout en constituant un risque permanent de tension conflictuelle et de violence toujours possibles.
En 1999, les pays de l’Europe centrale et orientale libérés de la tutelle soviétique ont rejoint l’OTAN pour pouvoir compter sur la protection des Etats-Unis et de leurs alliés. A l’approche d’une nouvelle élection présidentielle aux Etats-Unis à l’automne 2024, les hésitations américaines compliquent aujourd’hui la situation de l’Ukraine et entretiennent la persistance d’une situation conflictuelle à l’Est de l’Europe. Certains responsables européens commencent à s’interroger sur la protection américaine qui, depuis 1945, a placé leurs pays dépourvus de moyens militaires suffisants dans le confort d’une sécurité durable.
Le 13 octobre 2023, les ministres de la Défense d’une quinzaine de pays membres de l’OTAN, réunis à Bruxelles à l’initiative du Chancelier allemand, ont annoncé leur intention de se doter de systèmes de défense aérienne et antimissile [9] afin de protéger le territoire des pays alliés contre les possibles attaques de missiles.
Ce projet de bouclier, auquel la France, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Pologne et la Suède ne se sont pas associées pour pouvoir conserver une souveraineté nationale sur leurs systèmes de défense aérienne, serait constitué de systèmes complémentaires comprenant, outre des Iris-T allemands, des systèmes israéliens de défense aérienne Arrow 3 (2400 Km de portée) et des missiles américains Patriots [10]. Mais, à l’évidence, un bouclier assuré par des matériels d’origine étrangère expose les Etats utilisateurs à des pressions économiques et diplomatiques de l’Etat fournisseur aboutissant à limiter, ou même à contraindre, leur marge d’appréciation et de décision, par conséquence leur souveraineté.
La menace s’étant étendue depuis la grave crise israélo-palestinienne dans laquelle l’Iran vient de s’immiscer, il nous faut relever raisonnablement ce défi de l’indépendance dans l’interdépendance. La France doit être en mesure de faire respecter son territoire, ses droits, sa sécurité intérieure et extérieure indépendamment de toute démarche décisionnelle extérieure à la Nation française. Mais elle doit être aussi une force d’impulsion. D’autant plus qu’elle est la première puissance militaire de l’Union européenne et qu’elle dispose d’une force de dissuasion tout à fait crédible et minutieusement entretenue.
La « grammaire » instaurée sous la présidence du général de Gaulle pour concevoir, définir et mettre en place la dissuasion permet des ajustements destinés à l’adapter aux progrès technologiques et aux évolutions géostratégiques. Et, quel que soit le résultat de l’élection présidentielle américaine, l’invasion russe en Ukraine, l’évolution géostratégique de plusieurs régions de notre planète justifient l’intensification de la réflexion sur les enjeux, les moyens et les conditions de mise en œuvre de la défense du territoire européen et des populations qui l’habitent.
Il faut encourager la solidarité entre voisins européens, développer l’esprit de défense dans l’UE, renforcer nos capacités respectives dans les différents champs où se développent des rivalités économiques, technologiques, spatiales, maritimes et mettre en œuvre avec eux une stratégie de défense de l’Europe s’appuyant sur la complémentarité UE/OTAN tout en renforçant la capacité et la crédibilité de la défense de l’Europe si les moyens de l’OTAN venaient à subir une diminution [11].
Mais, à l’évidence, plusieurs pays européens sont encore trop dépendants des Etats-Unis pour envisager un changement [12] et les états-membres de l’UE s’exposent à de longues discussions avant de parvenir à désigner un chef militaire unique si survient une crise grave.
La victoire de 1945, son siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, la politique économique et industrielle menée de 1958 à 1973 ont contribué à placer la France au rang des grandes puissances. Sa Constitution, sa politique étrangère, son principe de non-alignement et de libre coopération, la crédibilité de son action extérieure, ses activités économiques et commerciales qui, malgré la conjoncture actuelle, la placent au 7e rang des 30 pays les plus riches du monde, les progrès technologiques et scientifiques réalisés et sa capacité à assurer sa sécurité ultime si la protection de l’OTAN venait à connaitre des difficultés, garantissent son indépendance [13].
Son héritage historique, ses capacités, son attractivité, le savoir-faire de ses équipes de recherche dans plusieurs secteurs et son rayonnement à travers la francophonie constituent pour notre Pays des atouts dans un monde fragilisé par des tensions régionales, des ingérences et des conflits très préoccupants qui portent atteinte non seulement à la paix mais aussi aux valeurs de notre civilisation et nous obligent à ne pas baisser la garde. Dans les rapports entre les différents pays du monde, la notion d’indépendance correspond à la liberté d’action de l’Etat, souverain et représentant la nation, dans ses relations avec les autres Etats.
Puissent les générations qui nous suivent s’en souvenir et parvenir à dépasser les clivages idéologiques, philosophiques ou partisans pour appréhender les défis de demain en continuant à veiller sur cet héritage qui a donné à notre Pays non seulement une indépendance respectée mais aussi audience, considération et espoir.
[1] La Défense nationale concerne toute la population et tous les secteurs de la vie du pays (défense civile, économique et militaire). Elle doit être permanente et organisée dès le temps de paix. La politique de défense de la France s’inscrit dans le cadre du statut particulier que le Pays occupe dans le monde à la fois comme puissance nucléaire, comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et par sa présence sur l’ensemble des continents et des mers du globe. Elle joue aussi un rôle majeur dans la construction de l’Europe de la Défense.
La politique de défense est également assurée par des traités ou des accords de défense signés entre la France et d’autres pays. Ces ratifications permettent une aide militaire mutuelle en cas d’agression contre l’un des signataires. La Défense est constituée de forces armées (l’armée de terre, la marine nationale, l’armée de l’air et la gendarmerie nationale) et d’organismes de planification, d’organisation et de soutien. Elle est organisée autour de 5 fonctions stratégiques :
- la connaissance et l’anticipation, où l’on retrouve le renseignement et la maîtrise de l’information ;
- la prévention avec la mise en place de système de veille, la lutte contre les trafics et la prolifération nucléaire, bactériologique et chimique ;
- la dissuasion qui sanctuarise le territoire national avec les deux composantes nucléaires sous-marines et aéroportées. L’emploi de l’arme nucléaire est de la seule responsabilité du président de la République. La dissuasion est le rempart ultime de la sécurité du pays ;
- la protection : c’est à dire la lutte contre le terrorisme, la surveillance des espaces terrestres, maritimes et aériens de la France, la gestion des crises ;
- l’intervention : ce sont principalement les interventions hors du territoire national, notamment lors des opérations extérieures, le plus souvent dans un cadre européen ou international.
La décision d’engager nos forces armées appartient au président de la République, chef des armées (article 15 de la Constitution). Toutefois, le Parlement doit donner son accord pour toute opération extérieure d’une durée supérieure à 4 mois.
La Défense a également en charge des missions de service public. Les armées soutiennent, ainsi, les moyens du ministère de l’intérieur (sécurité civile et sécurité intérieur) et ceux d’autres ministères (Affaires étrangères, Santé, Education nationale). Des appuis opérationnels ont ainsi été envoyés lors de catastrophes naturelles pour des missions de secours ou des missions de solidarité internationale (inondations en Amérique centrale, Tsunami dans le Pacifique, tremblement de terre à Haïti, catastrophe industrielle au Liban…).
[2] Un projet de Communauté Européenne de Défense (CED), conçu par Jean Monnet en 1950 envisageait l’organisation d’une défense de l’Europe dans un cadre supranational. Le Commissaire au plan français, inspirateur du plan Schuman, y préconisait la création d’une armée européenne aux ordres d’une autorité militaire et politique unique. A la même époque, les Etats-Unis recommandent à leurs alliés de préparer le réarmement de l’Allemagne. René Pleven, président du Conseil et ancien ministre de la Défense présente ce projet à l’Assemblée nationale le 24 octobre 1950. Des négociations sont engagées avec les gouvernements alliés. Elles aboutissent le 27 mai 1952 à un projet de traité hâtivement négocié dans le prolongement du traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA). Le texte prévoit d’instaurer la CED avec, d’une part, une armée constituée de 40 divisions nationales de 13000 soldats chacune, sous un même uniforme, d’autre part, un conseil des ministres et une assemblée chargée de préparer un projet d’autorité politique prévoyant une structure fédérale.
En raison, notamment, de sa non-conformité à la Constitution de 1946 et de l’abandon de souveraineté militaire et politique que son adoption aurait entrainé, le texte fut vivement critiqué. A l’issue d’une vigoureuse campagne du sénateur Michel Debré, il a été finalement rejeté le 30 août 1954 par un vote sur une question préalable (319 voix contre 264).
[3] En France, le président de la République et le gouvernement peuvent compter sur la compétence reconnue du ministre des Armées et des états-majors. L’Assemblée nationale et le Sénat disposent de commissions parlementaires expérimentées. D’autres analyses et réflexions stratégiques de qualité sont alimentées par des universitaires et des chercheurs dont l’expertise dépasse régulièrement nos frontières. L’IHEDN, l’IFRI, la Fondation Charles de Gaulle, la Fondation Jean Jaurès, la Fondation Res Publica, le CEDS, le CIEDS, l’IRIS, l’IRSEM, organisent chaque année des séminaires et colloques thématiques dont les synthèses sont publiées.
De son côté, l’Association EuroDéfense France, créée en 1994, et actuellement présidée par le général Jean-Marc Vigilant (ex-directeur de l’Ecole de Guerre), récent successeur de l’Ingénieur général de l’armement Jean Fournet, regroupe des officiers généraux, des hauts fonctionnaires civils, des universitaires, des industriels et des parlementaires s’intéressant à la défense européenne. EuroDéfense France est à l’origine d’un réseau EuroDéfense de 14 associations nationales similaires, créées dans d’autres pays de l’UE pour mener des réflexions sur les questions de défense et contribuer à l’élaboration d’une politique coordonnée de défense de l’Europe qui reste compatible avec le traité de l’OTAN.
[4] En 2017, face à la menace de sabotage sur des infrastructures et des réseaux critiques (énergie, transports, logistique, télécoms, et services publics disposant de données publiques importantes), le ministère des Armées a mis en place un Commandement de la cyberdéfense (préfiguré depuis 2011) en charge des opérations défensives et offensives des armées françaises. En 2019, la France s’est, d’autre part, dotée d’un Commandement de l’Espace (CDE). Elle fait ainsi partie des rares pays disposant d’un système de surveillance spatiale.
Et, le 8 mars 2024, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé la création d’une Agence ministérielle pour l’IA de défense (AMIAD) dont le pôle recherche va être implanté tout près du pôle scientifique de Saclay, sur le site de l’Ecole Polytechnique à Palaiseau. Le ministre a souligné que l’Agence « aura pour mission de permettre à la France de maîtriser souverainement ces technologies pour ne pas dépendre des autres puissances ». Le ministère des Armées disposera, en outre, dès 2025, de son propre supercalculateur dédié à l’IA qui constitue évidemment un énorme enjeu de souveraineté numérique.
[5] La Russie qui, en 2010, n’a pas obtenu de l’Algérie un accès à la base navale de Mers-el-Kébir, intensifie depuis quelques temps sa présence dans l’Est et le Centre de la Libye. Dans un article publié dans l’hebdomadaire Le Point le 14 avril 2024, Benoit Delmas évoquait les rotations effectuées par deux navires russes de la base navale russe de Tartous en Syrie vers le port de Tobrouk en Libye (qui dispose de 1770 Km de côtes sur la Méditerranée, face à l’Italie et à la Grèce). Ces rotations ont assuré la livraison de matériel logistique et de pièces d’artillerie alors que deux jours avant « des avions Iliouchine II-76 ont transporté nuitamment des forces russes au Niger, pays frontalier de la Libye, épicentre des migrations irrégulières à destination de l’Europe ».
[6] Le terrorisme maritime menace à la fois les populations riveraines, les installations portuaires et les navires dans différents espaces maritimes du globe, notamment la mer Rouge, le Golfe et le Canal de Suez, le Golfe persique, la Méditerranée orientale, le Golfe de Guinée, l’Océan Indien, le Détroit de Malacca en Asie du Sud-Est, la Mer de Chine méridionale…
[7] Plusieurs régimes autoritaires, notamment la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran, disposent d’équipes spécialisées de cyber espionnage, de vol de données confidentielles, d’hameçonnage ciblé de chercheurs dans les équipes scientifiques ou technologiques, de diffusion de fausses informations et d’actions de fragilisation par internet et les réseaux sociaux.
Le piratage de plus de 40 millions de données nominatives (prénom, nom, adresse postale et courriel, et potentiellement numéros de sécurité sociale et de téléphone sur la plateforme de France Travail (ex Pôle Emploi) entre février et mars 2024 est un exemple récent de la vulnérabilité de certains services publics insuffisamment protégés face à une attaque de grande ampleur. Et la version russe mensongère de l’entretien téléphonique entre le ministre français des armées et le ministre russe de la défense après l’attentat terroriste islamiste survenu contre le Crocus City Hall à Moscou, le 22 mars 2024 confirme que la désinformation russe est bien une affaire d’Etat.
[8] Les Etats-Unis contribuent à hauteur de 70% aux dépenses militaires de l’OTAN et, bien qu’en 2014 les pays membres à la fois de l’UE et de l’OTAN aient accepté de consacrer 2% de leur PIB à la défense (soit 350 milliards d’euros en 2024 et plus de 400 milliards les années suivantes), un retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait forcer l’Europe à investir davantage encore pour assurer la défense de ses intérêts vitaux.
Dans sa chronique Economie publiée le mardi 9 avril 2024 dans le journal Le Monde, Jean-Michel BEZAT a précisé que 55% des achats européens d’équipements militaires entre 2019 et 2023 provenaient des Etats-Unis contre 35% auparavant. L’objectif de la Commission européenne est que les Etats membres achètent au moins 40% de leurs équipements de manière collaborative d’ici à 2030 et que 60% des budgets militaires soient consacrés à des matériels produits sur le sol européen dans dix ans.
[9] L’initiative de bouclier de protection du ciel européen suscitée par l’Allemagne a recueilli une quinzaine d’adhésions : Belgique, Bulgarie, Estonie, Finlande, Grande-Bretagne, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays Bas, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie. L’Autriche et la Suisse ont fait part de leur intention de participer au projet sans toutefois collaborer à des conflits militaires internationaux pour éviter une remise en cause de leur neutralité.
[10] Les missiles Patriot et Iris T couvrent la couche moyenne de l’espace aérien de défense et l’Arrow la couche supérieure.
[11] Le porte-avions Charles de Gaulle et son escorte ont participé du 26 avril au 10 mai 2024 à une opération de l’Alliance Atlantique en Méditerranée. Cette mission d’entrainement, effectuée avec des bâtiments italiens, grecs, espagnols, portugais et américains placés pour la circonstance sous commandement d’un des états-majors tactiques de l’OTAN basé au Portugal, a permis d’ajuster l’interopérabilité avec nos alliés, sans toutefois remettre en cause la souveraineté de la dissuasion française, les avions de notre force navale nucléaire n’étant pas présents en permanence sur le porte-avions et, comme l’a précisé le ministre des Armées, nos moyens « ne se sont situés à aucun moment hors du contrôle politique et militaire français ».
[12] En 2023, les 27 pays membres de l’UE ont dépensé 280 milliards d’euros pour leur défense, tandis que les Etats-Unis lui consacraient un budget de 886 milliards de dollars et contribuaient à hauteur de 70% aux dépenses militaires de l’OTAN. Pour compenser une éventuelle diminution de la part américaine, les pays membres de l’OTAN et de l’UE devraient augmenter leur effort consacré à la Défense et le faire passer de 2 à 5% de leur PIB, soit au total 470 milliards de plus par an.
[13] Bientôt la puissance de calcul des ordinateurs quantiques permettra de décrypter les algorithmes de chiffrement des données et des informations actuellement indéchiffrables. En France, l’ANSSI (Agence nationale pour la Sécurité des Systèmes d’Information) a pris en compte cette menace et aide les entreprises ‘’sensibles’’ à mettre en œuvre des moyens de protection durable des données sensibles. Il s’agit à la fois d’un enjeu de sécurité, de souveraineté et donc de défense de la capacité industrielle de la France et de ses partenaires dans un environnement géopolitique qui nous oblige à ajuster en permanence nos capacités aux défis de nos compétiteurs.