LIAISON AVEC LA 2e DB

par Ève Curie
Officier de liaison du 3e Bureau de l’Armée B, détachée à la 1ère DFL

Le texte, publié dans la revue Espoir n°124 (octobre 2000), est extrait de son carnet de route et concerne la journée du 12 septembre 1944.

Le PC de la 1ère DFL avait fait mouvement le 12 septembre 1944 en direction de Nuits-Saint-Georges. Le général Brosset avait rendu visite dans la matinée à des amis retrouvés dans la région (négociants en vin). Après des courses et travaux divers, le déjeuner au mess et une courte sieste, le Général décidait, un peu avant 16 heures, de partir pour Dijon « et plus loin ». On l’entendit appeler : « Où est Pico ? Où est la mitraillette ? ». Il désigna le lieutenant Curie pour l’accompagner. Départ du Général (avec le lieutenant Curie et le sergent Pico). Traversée de Dijon en fête. Des gens applaudissent. A Sainte-Seine- l’Abbaye, ville délivrée depuis très peu de temps, population gaie, heureuse, jetant des fleurs. Rencontre des éléments avancés du 1er Régiment de Fusiliers marins (commandant Savary). Il fait une belle journée, du soleil. Le Général décide d’aller plus loin. Il demande une jeep et un scout-car pour l’accompagner.

On avance (à trois véhicules maintenant) dans un grand paysage beau et vide. Seule rencontre deux voitures FFI.

À Courceau (environ quinze kilomètres nord-ouest de Sainte-Seine, sur Nationale 7), premier contact établi avec une voiture de l’Armée française allant dans l’autre sens. C’est un Half-track de la 2e DB faisant une patrouille. La rencontre a lieu en face du café de la Seine. Il est 5 h. 15.

Arrivé à Saint-Marc, près de Nod-sur- Seine (sur la Nationale 7), le Général rend visite à une de ses parentes (une tante ?), personne assez âgée qui dit paisiblement : « Il y a une demi-heure, on tirait dans le jardin » – parlant d’ailleurs de coups de feu isolés, non d’une bataille sérieuse. Cette dame offre du vin à ses visiteurs. L’heure avançant, et le Général étant attendu plus tard dans l’après-midi pour un rendez-vous important, il décide de rebrousser chemin (dans sa jeep personnelle). Il reprend le chemin de Dijon, mais il autorise le lieutenant Curie à compléter la liaison en poursuivant jusqu’à Châtillon-sur-Seine dans une des voitures d’accompagnement, dans le but de prendre contact avec la 2e DB dans cette localité.

Dans la jeep du 1er RFM se trouvent le lieutenant Curie et deux fusiliers marins. Celui qui conduit, extrêmement vite et adroitement, s’appelle André Bon, de Brest. Il a 21 ans. En 1940, il était un adjudant de 17 ans. Il a gagné l’Angleterre en bateau de pêche. Il a fait Dakar, le Gabon, la Libye, la Syrie, la campagne d’Italie. L’autre garçon est d’Audierne ; il a gagné l’Angleterre dans un thonier en 1940 (les notes portent le nom de charpentier mais je ne sais plus si elles désignent son nom ou son métier).

La jeep, avec pare-brise baissé, mitrailleuse prête mais en fait bien inutile, fonce sur la route. Les gens accourent pour la voir ; des gens sortent des maisons, courent sur la route. Des grappes d’enfants curieux. Un troupeau de moutons reflue vers les prés, par-dessus un talus. Des prêtres, qui nous hèlent de loin, agitent de petits drapeaux. Puis un long passage de route vide. Des enfants à bicyclette. Des arbres abattus barrent la route : déviation. Et voici la Seine (bien jeune et maigre encore…). Encore des villages ; des gens qui crient de joie. Il se fait tard. Arrivée à Châtillon. Le commandant d’armes FFI (colonel Nicolas ?) n’est pas à son PC. Une femme donne quelques renseignements au lieutenant Curie. Des gens de la ville applaudissent la jeep.

Recherche du PC des Spahis. Il y a des spahis en calots rouges dans les rues. Atmosphère de « dimanche ». Trouvé au PC le lieutenant Calmette (5e escadron du 1er Régiment de Marche de Spahis marocains). Echange de renseignements sur la position des unités. Nous allons dans la petite salle du café pour regarder la carte. Récits, par le lieutenant Calmette et l’aspirant Bompard, de l’entrée dans Paris libéré. Impression extraordinaire de voir des Français qui étaient là, qui ont vu Paris libéré. On échange des renseignements sur des camarades Free French (de la DFL et de la DB). « Untel a été tué, untel blessé, qu’est devenu untel », etc.

Un lieutenant américain de la 3e Armée US et deux sous-officiers se joignent à nous. Ils s’entretiennent avec le lieutenant Curie dont la jeep est la première qu’ils aient vu venir du sud dans cette région. Ils prennent des photos.

Il est 19 h40. Après des adieux cordiaux, départ de la jeep de liaison vers le sud. Allure rapide dans la nuit qui tombe. Nous revoyons les enfants des villages courir vers nous, lancer des fleurs dans l’ombre, agiter des drapeaux. Des femmes, sur le bord des routes, rient et crient. Retour sans incident à Sainte-Seine, Dijon, enfin Nuits- Saint-Georges. Dîner sommaire et tardif ; compte rendu de la mission de liaison donné au capitaine Lhuillier (officier de garde).

Le lendemain (mercredi 13), nous avons tous assisté à la célébration solennelle fêtant la libération de Dijon (défilé, Te Deum, déjeuner).

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