À l’invitation de Franck Louvrier, maire de La Baule-Escoublac, Hervé Gaymard a inauguré le 23 juillet dernier une croix de Lorraine à La Baule-Escoublac.
Discours de Hervé Gaymard, président de la Fondation Charles de Gaulle
« Le 18 juin 1940 est ce jour où un homme prédestiné – que vous l’eussiez choisi ou non, qu’importe, l’Histoire nous le donna, d’un mot qui annulait la déroute, maintenu la France dans la guerre. Français, ceux qui essaient de vous faire croire que ce jour et cet homme n’appartiennent pas à tous les Français se trompent, ou vous trompent. Ralliez-vous à l’histoire de France. »
Ces lignes ont été écrites par Georges Bernanos, au Brésil, où il s’était exilé dès 1938, car, disait-il, « la défaite des esprits fait prévoir celle des armées. » Estropié et trop âgé, il n’était donc pas mobilisable, et avait eu l’intuition que la France ne pourrait être sauvée que par l’appel du grand large.
Ce que signifient le 18 juin et cette belle Croix de Lorraine, dans la ville d’Olivier Guichard vers qui vont nos pensées, tient en quelques phrases, qui devraient être le secret de conduite de la France.
D’abord, la capacité de dire NON. Dans toutes les circonstances, rien n’est jamais perdu d’avance. Il n’y pas de fatalité, pas plus hier qu’aujourd’hui. Dans sa longue histoire, la France a toujours connu l’alternance de « succès achevés et de malheurs exemplaires. »
Ensuite, la nécessité de concilier la liberté économique et le progrès social, l’une permettant l’autre. « En notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de l’homme. C’est l’homme qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer. » C’est cette citation et aucune autre qui figure sur le soubassement de la Croix de Lorraine de Colombey. Dans notre société, chacun doit trouver « sa place, sa part, sa dignité. » C’est tellement vrai aujourd’hui dans cet archipel français, dont les îlots ne sont plus reliés que par de fragiles passerelles.
Enfin, l’exigence d’une France Libre et indépendante, maîtresse de ses alliances. Ce qui suppose,
– Qu’il ne faut jamais désarmer économiquement, ni sur le plan agricole, ni sur le plan industriel,
– Qu’il ne faut jamais désarmer financièrement, car un pays endetté devient une proie qui ne peut investir dans l’avenir,
– Qu’il ne faut jamais désarmer militairement, anticiper la prochaine guerre et ne pas préparer la dernière,
– Qu’il ne faut jamais désarmer démographiquement, car un pays vieillissant n’a plus d’énergie vitale ni de capacité d’innovation,
– Qu’il ne faut jamais désarmer civiquement, car toute Nation divisée contre elle-même périra.
Mais la base de tout, est qu’il ne faut jamais renoncer à l’Espérance. Comme le dit Georges Bernanos, le désespoir est une sottise absolue.
Un texte peu connu de Charles de Gaulle illustre cette exigence. C’est son Message de Noël aux enfants de France prononcé fin 1941 à la radio de Londres, alors que « l’Allemagne vainc sur tous les fronts », comme le proclame une banderole en allemand sur la colonnade de l’Assemblée Nationale, et que les Japonais dominent toute l’Asie et une partie du Pacifique.
Voilà ce que dit le Général :
« Mes chers enfants de France, vous avez faim, parce que l’ennemi mange notre pain et notre viande. Vous avez froid, parce que l’ennemi vole notre bois et notre charbon, vous souffrez, parce que l’ennemi vous dit et vous fait dire que vous êtes des fils et des filles de vaincus. Eh bien ! moi, je vais vous faire une promesse, une promesse de Noël. Chers enfants de France, vous recevrez bientôt une visite, la visite de la Victoire. Ah ! comme elle sera belle, vous verrez ! »
Il s’en faudra de trois ans et demi, pour que la France soit totalement libérée, mais « la petite fille espérance » de Péguy avait fait son œuvre pour que la France redevienne la France, et ne soit pas seulement un pays libéré mais un pays vainqueur, présent à l’acte de capitulation du Reich à Berlin, où le général de Lattre de Tassigny, dût faire confectionner à la hâte un drapeau tricolore. Et nous le devons au Non ! du premier jour qu’est le 18 juin, aux Français Libres, aux Résistants de l’Intérieur, et aux valeureux de l’Armée d’Afrique reconstituée en 1943, qui franchirent le Rhin jusqu’à Berchtesgaden.
Laissons André Malraux nous émouvoir par cette péroraison improvisée dans une émission télévisée de 1971, qui est aussi une leçon d’espérance.
« Le dernier cercueil du Mont-Valérien ne sera pas non plus un cercueil solitaire. On ne le fermera pas seulement sur le dernier Compagnon : on le fermera aussi sur le dernier combattant de la 1ère division française libre ou de la deuxième division blindée, sur le dernier pêcheur breton qui amena des Français clandestins en Angleterre, sur le dernier cheminot qui paralysa provisoirement les V2, sur les derniers maquisards grâce à qui les panzers d’Aquitaine n’arrivèrent pas à temps en Normandie, sur la dernière couturière morte dans un camp d’extermination pour avoir pris chez elle un de nos postes émetteurs. »
« Comme les gisants de la chevalerie morte écoutaient crépiter le bûcher de Rouen, tous ceux qui se sont réfugiés dans l’âme de la France écouteront le marteau sur les clous funèbres. Des archers d’Agnadel aux clochards d’Arcole, de la Garde impériale jusqu’aux trois cent mille morts du Chemin des Dames, des cavaliers de Reims et de Patay aux francs-tireurs de 70, montera le silence séculaire de l’acharnement. Avec la phosphorescence des yeux des morts, ceux qu’on ne verra plus jamais veilleront notre dernier Compagnon – non pour son courage, mais parce que l’ouvrier qui clouera le cercueil, le clouera sur la confuse multitude de tous les morts qui auront tenté de soutenir à bout de bras les agonies successives de la France. »
« Alors, la croix de Lorraine de Colombey, l’avion écrasé de Leclerc, la grand-mère corse qui cachait tranquillement le revolver de Maillot dans la poche de son tablier, le dernier cheminot fusillé comme otage, la dernière dactylo morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres confondront leur ombre avec celle de notre dernier Compagnon. Et avant que l’éternelle histoire se mêle à l’éternel oubli, l’ombre étroite qui s’allongera lentement sur la France aura encore la forme d’une épée. »