« C’était  difficile de trouver, à ce moment-là, une alliance plus solide

que celle du Général et de son Premier ministre »

par André Bettencourt*

*Secrétaire d’Etat chargé des Affaires étrangères, 1967-31 mai 1968 ; ministre des Postes et Télécommunications, 31 lmai-10 juillet 1968

Entretien du 17 octobre 1994 donné à la Fondation Charles de Gaulle

Comment avez-vous vécu Mai 68. Avez-vous eu l’occasion d’approcher le général de Gaulle ?

Il y avait tous les Conseils des ministres qui permettaient d’approcher le Général toutes les semaines. Mais le souvenir que j’ai de Mai 68 est assez personnel en ce sens que, vous vous en souvenez peut-être, Monsieur Pompidou était Premier ministre et il était parti en voyage en Iran et en Afghanistan. Ma femme et moi, nous avions pris le relai à Téhéran alors que Monsieur Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères rentrait sur Paris et c’est nous qui devions accompagner M. et Mme Pompidou en Afghanistan. Nous avons fait ce voyage en Afghanistan dans des conditions assez délicates – voyage passionnant évidemment, je connaissais déjà Kaboul et l’Afghanistan. Les nouvelles de Paris commençaient à être de plus en plus difficiles.

Nous étions au nord de l’Afghanistan à la frontière russe. Nous y étions allés en hélicoptère. Le soir, les nouvelles venant de Paris étaient très mauvaises et M. Pompidou prit alors la décision de rentrer très rapidement sur Kaboul. Or le brouillard était tombé et nous ne pouvions pas rentrer en hélicoptère. Il fallait rentrer en voiture par les pistes pour reprendre l’avion à Kaboul, nous arrêter un instant en Iran avant de rentrer sur Paris. En Iran, l’ambassadeur avait des nouvelles plus récentes. Dans l’avion du retour, M. Pompidou prenait des notes et réfléchissait à ce qu’il allait faire en rentrant à Paris, en particulier au sujet de la Sorbonne.  Il était certainement préoccupé mais préoccupé comme un homme qui est solide, qui d’une manière ou d’une autre fera face aux difficultés si grandes soient-elles, et elles l’étaient. De sorte que, tout en sachant bien que les événements étaient très graves, à ses côtés, nous nous y préparions avec calme.

Je me souviens alors des difficultés, de cette manifestation colossale sur les Champs-Elysées. Nous étions avec M. Couve de Murville au ministère des Affaires étrangères – j’étais son secrétaire d’Etat). Nous avons quitté le ministère à pied pour gagner la place de la Concorde et puis les Champs-Elysées pour nous faufiler à la place que devait occuper M. Couve de Murville dans ce défilé national. Nous avons remonté les Champs-Elysées en sentant à quel point les choses se modifiaient de minute en minute.

Précédemment, il y avait eu le Conseil des ministres. Le Général, qui avait quitté Paris dans les conditions que vous savez, était revenu, avait médité très longuement sur son action ; le Général était si totalement décidé  et ferme dans sa volonté et ses propositions que la situation était déjà complètement retournée. On savait qu’il avait maintenant la situation en main. Quand on savait ce qu’elle était quelques jours plus tôt, il fallait quand même que ce soit le Général pour faire face à des événements pareils et retourner la situation, je ne dis pas à son profit,  mais au profit de la France en si peu de temps. C’est vrai aussi qu’il était servi par un Premier ministre hors de pair en la personne de M. Pompidou et que c’était  difficile de trouver, à ce moment-là, une alliance plus solide que celle du Général et de son Premier ministre pour faire face aux événements.  Il  pouvait y avoir sur certaines appréciations des différences mais la volonté était commune à un tel point que tous les membres du gouvernement, après avoir écouté le Général à l’Elysée, avaient repris confiance. On savait que les choses allaient reprendre leur cours normal.

La France a été horriblement secouée et, à mon avis, elle a été secouée de manière très durable. Nous en portons encore les cicatrices. A ce moment-là, M. Pompidou avait proposé que je devienne ministre des P et T. Ce ministère me laisse évidemment de grands souvenirs de l’époque parce qu’il fallait préparer les élections et il n’y avait pas d’élections possibles sans que les PT T refonctionnent. Cela voulait dire que, là comme ailleurs, nous avions des négociations avec les syndicats qui duraient toute une partie de la nuit. Ce qui était intéressant c’est que le Général avait changé de ton et j’ai mené les négociations avec les syndicats dans un climat de respect réciproque. Il n’y avait pas de la part des syndicats de volonté d’empêcher les choses. Ils  voulaient avec nous la recherche d’une solution. C’est vous dire comme les choses avaient changé.

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