Témoignage de Robert Galley

Lorsqu’arrive la révolution de mai 1968, j’étais délégué à l’Informatique et mon bureau était au 233, boulevard Saint-Germain. J’étais donc aux premières loges.

Les débuts m’ont semblé sympathiques. La remise en cause a toujours un côté frondeur. Puis la décomposition de la société m’a horrifié. J’étais extrêmement choqué par tout ce qui arrivait, étant entendu que mon réflexe était de dire : on n’a pas flanqué à la porte les Allemands avec toutes les pertes que nous avons subies pour voir arriver au pouvoir, ici, des Krivine et toute l’équipe d’énergumènes autour de Geismar et de Cohn-Bendit. Surtout que nous savions très bien que ces gens-là basaient une partie de leur propagande contre le militarisme, la force de dissuasion. Il faut dire qu’à l’époque, cela n’était pas du tout admis comme ça l’est aujourd’hui. Par conséquent, c’était des adversaires. J’ai supporté tout cela vaillamment jusqu’au jour où je me suis mis en colère, vers le 20 mai. J’avais rencontré mon ami Jordan, parachutiste de la France Libre, compagnon de la Libération et ambassadeur avec lequel je travaillais au Quai d’Orsay, qui m’avait passé un papier sur lequel on décomposait la mécanique provocation, répression, soulèvement, etc. Cela m’avait semblé une analyse pertinente. Je suis allé voir quelques camarades comme Philippe Peschaud, président des Anciens de la 2e DB et nous avons organisé une soirée au cours de laquelle j’ai rédigé « la machine infernale ». C’était un tract qui décomposait toute la mécanique de 1968 et qui disait : la société occidentale ne doit pas se laisser enfermer dans ce processus diabolique qui détruit tout. Ce tract a eu une influence considérable. Je suis allé trouver la famille Wendel, car nous n’avions pas d’argent pour imprimer le tract à 2 millions d’exemplaires. Pour diffuser ce tract, j’ai fait appel à la 2e DB, à la 1ère DFL, aux Français libres et j’ai convoqué les officiers. Je suis allé voir le général Simon qui était gouverneur de Lyon, des officiers à Marseille et le 25 mai, j’avais réuni autour de moi un mouvement de 5 000 officiers. Ce mouvement n’était pas décidé à ce que la chose tourne à la chienlit. Nous avons eu un choc lorsque le général de Gaulle est parti car jusque-là nous avions confiance. Nous commencions à penser que la décomposition s’était même installée dans les hautes sphères de l’Etat. Je me souviens que je suis allé trouver le général Fourquet, qui était chef d’état-major des Armées, avec mes amis et nous lui avons demandé des caisses de grenades. J’étais tout à fait disposé à remonter le Quartier latin avec des grenades pour mettre de l’ordre. Cela a failli basculer. Je faisais cela en tenant au courant Jacques Foccart de qui j’étais très proche. C’est comme cela que nous avons lancé la manifestation des Champs-Elysées.

Qu’avez-vous pensé du comportement de Georges Pompidou pendant ces semaines-là ?

Remarquable. En particulier, je l’ai vu le soir où le Général était à Baden-Baden ; il était d’une sérénité absolue. Je lui avais dit que nous étions tous derrière lui et que si cela tournait mal, nous étions prêts.

Que pensait-il de votre initiative ?

Elle n’était pas contrôlable. Quand un sauvage comme moi décide de lancer des gens dans la rue avec des grenades, on ne contrôle pas. On aurait eu toute l’armée derrière nous. ON sentait que le pays en avait assez. Cela a bien tourné parce que le Général est revenu et il y a eu la manifestation des Champs-Elysées, mais nous Français libres, nous ne pouvions tolérer cela. Au moment de la manifestation des Champs-Elysées, j’étais chez le général Fourquet pour essayer de concerter nos efforts avec ceux de l’armée française car nous pensions que la gauche allait réagir à cette manifestation qui a surpris par son ampleur. Mais nous ne savions pas ce qui allait se passer. Nous avions réfléchi à beaucoup de choses, en particulier de nous constituer, pour réagir, un PC clandestin. Nous nous préparions à la guerre civile, nous ne voulions pas la subir. Si c’était allé trop loin, nous l’aurions lancée nous-mêmes avec violence, tout de suite, pour créer la terreur. C’était la méthode commando. Il ne faut pas subir, il faut avoir une attitude offensive. Nous étions absolument déterminés. J’étais donc dans la préparation du PC clandestin à quatre heures de l’après-midi le vendredi quand j’ai eu Jacques Foccart au téléphone qui me communiquait le numéro de téléphone du général de Gaulle en me disant que si dans les cinq minutes je ne l’avais pas appelé, j’entrais au gouvernement comme ministre de l’Equipement. Je n’ai pas appelé. C’est ainsi que je suis entré en politique.

Extrait de l’entretien accordé à Daniel Desmarquest le 22 décembre 1993 dans le cadre de la campagne de recueil d’archives orales menée par la Fondation Charles de Gaulle.

X