Etape 3 – Yvonne de Gaulle et la Croix de Lorraine – L’édification de la Croix de Lorraine

La volonté du général de Gaulle

C’est en 1954, que le général de Gaulle évoque avec Jean Farran, venu en reportage à La Boisserie, la construction d’une imposante croix de Lorraine. André Malraux ajoute plus tard dans la bouche du Général, dans Les Chênes qu’on abat : « Ça incitera les lapins à faire de la résistance ».

Nul autre endroit n’est plus symbolique que la colline de Colombey pour recevoir une croix monumentale ! Cet attachement du Général à la croix de Lorraine se remarque aussi dans sa demeure familiale. Omniprésente, elle figure sur de nombreux objets, que de Gaulle a précieusement placés, pour la plupart dans son bureau, au plus proche de lui : c’est le cas de l’ensemble des insignes de la France libre, ou encore son sous-main au chiffre de la France libre. A découvrir à La Boisserie.

On la retrouve également représentée au cœur du parc de sa demeure, par un massif fleuri.

Le saviez-vous ?

En avril 1947, de Gaulle attribue la croix de Lorraine au mouvement politique qu’il vient de fonder, le Rassemblement du peuple français. Elle trône sur les affiches et sur un timbre vendu dans les permanences du RPF, lors de la campagne du timbre.

La souscription nationale

La décision de l’édification de la Croix de Colombey

Le général de Gaulle meurt le 9 novembre 1970 et son corps repose dans la tombe familiale du petit cimetière de Colombey, aux côtés de sa fille Anne.

Très vite se pose la question de l’édification d’une croix monumentale dans le village haut-marnais. Deux ans plus tard, la Croix de Lorraine s’élève dans le ciel de Colombey.

Mais l’idée du monument est bien plus ancienne. Elle date de 1954 et c’est le général de Gaulle lui-même qui l’a évoquée au cours de la seule interview, accordée à un journaliste, dans sa demeure de La Boisserie.

Soutenu par les barons du gaullisme, réunis au sein d’un comité national, le projet l’est aussi par la grande Chancellerie et les Compagnons de l’Ordre de la Libération.

La famille de Gaulle suit de très près le projet, participe aux décisions et veille au respect des valeurs gaulliennes. L’un de ses vœux les plus chers est d’affirmer et de démontrer que ce projet mémoriel n’a aucun caractère politique.

La mise en place d’un comité national relayé par les antennes départementales assure une dynamique populaire, qui dépasse les frontières de la France. La souscription nationale remporte un franc et massif succès : elle témoigne de la continuité du sentiment collectif.

Par l’élévation de cette croix monumentale, l’objectif recherché est de perpétuer le souvenir du Général. Au-delà du symbole gaullien, ce monument a aussi pour rôle de fédérer la nation autour de son histoire.

Bulletin officiel annonçant la souscription nationale du mémorial du général de Gaulle, 18 juin 1971

Le comité national chargé de la construction

Dès le 21 mars 1971, quelques mois après le décès du Général, est constitué un comité national du mémorial du général de Gaulle. Sa mission première est d’élever sur la colline, « une grande croix de Lorraine qui rappellera à jamais le souvenir de celui qui a redonné à la France son honneur et son indépendance. »

Placé sous le haut patronage du président de la République Georges Pompidou et sous la présidence d’Henri Duvillard, ministre des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, ce comité se compose d’une trentaine de barons du gaullisme tels Geoffroy de Courcel, Gaston Palewski ou encore Pierre Lefranc. On remarque aussi la présence d’André Malraux et de Jean Raullet, alors maire de Colombey.

Le 15 octobre 1971, douze projets « scrupuleusement anonymes » sont remis au comité. Un mois plus tard, le projet définitif est désigné.

Réunion du comité national du mémorial du général de Gaulle, Paris, 1971

Un financement populaire

L’autre mission qui incombe au comité national du mémorial est de trouver le financement du projet. C’est le 18 juin 1971 qu’Hettier de Boislambert, Grand Chancelier de l’Ordre de la Libération lance à la télévision et à la radio, l’ouverture d’une souscription nationale.

Des comités départementaux sont alors créés afin de recueillir les subventions des collectivités publiques et les dons « des enfants de France. » Il est également prévu que les chefs de mission diplomatique seront chargés de recevoir les contributions des gouvernements étrangers. En quelques semaines, les fonds affluent de toute la France et du monde entier : la souscription connaît un véritable succès et permet d’envisager très largement le financement des travaux. En effet, 4,7 millions de francs – soit l’équivalent de 4,5 millions d’euros – sont collectés.

L’implication de Madame de Gaulle

Habituellement très hostile aux hommages, Yvonne de Gaulle est en revanche favorable à l’érection d’une croix de Lorraine sur la colline de Colombey.

Yvonne de Gaulle apparaît alors comme la gardienne du temple car aucune décision ne sera prise sans son accord préalable. Ainsi elle participe en novembre 1971 au choix définitif du projet, parmi les cinq ébauches retenues par le comité. Qu’est-ce-qui a motivé son choix ? Est-ce la grandeur et l’austérité de cette croix ? Ou encore la noblesse des matériaux que sont le granit et le bronze ?

Au cours des travaux, elle se rend régulièrement sur la colline pour assister à la progression de la construction, veillant à la préservation de la forêt aux abords du chantier. En mars 1972, elle est présente lors de l’arrivée et du montage des premiers éléments préfabriqués en béton recouverts de granit.

Finalement, c’est Yvonne de Gaulle qui fixe au 18 juin 1972 la date de l’inauguration de la Croix de Lorraine : elle souhaite « une brève cérémonie patriotique. Le 9 novembre étant réservé au souvenir religieux. »

 Le saviez-vous ?

Yvonne de Gaulle a pris l’habitude de se rendre par un petit chemin détourné et bien caché, sur le chantier de construction de la Croix. Ses allées et venues régulières lui permettent de surveiller de près l’évolution des travaux, tout en restant discrète. Elle a laissé son empreinte sur la colline puisque ce sentier a été surnommé par les habitants de Colombey, « le chemin de Madame de Gaulle ».

Madame de Gaulle à une fenêtre de la Boisserie, 1979

 

Le concours

Le concours est lancé en mai 1971 à l’adresse des architectes qui souhaiteraient « édifier à Colombey-les- Deux-Églises un ensemble monumental au lieu-dit La Montagne. Ce monument devra avoir la sobriété analogue de celle du mémorial élevé à la pointe Saint-Mathieu, dans le Finistère. »

Le cahier des charges apporte des précisions sur la construction du projet :

  • les matériaux : le granit est imposé aux architectes.
  • son orientation : les branches de la Croix devront être orientées est-ouest. « Ce sera le symbole des liens nouveaux qui, voulus, par le général de Gaulle, unissent la France et l’Allemagne. » Puis quelques mois plus tard, sur demande de Madame de Gaulle, l’orientation est prévue nord-sud afin que « la Croix de Lorraine soit visible pardessus la cime des arbres et de face à partir de la route de Bar-sur-Aube. »
  • sa hauteur : elle est d’abord prévue à 10 à 15 m. Puis au final, entre 25 et 45 mètres.
  • son éclairage : il ne devra s’effectuer que dans quelques circonstances exceptionnelles.
  • les aménagements proches : « aucune autre installation ne devra être visible de La Boisserie. Le site devra, de ce côté, être sauvegardé. »

Chaque architecte devra déposer, le 15 octobre 1971, auprès du Comité, son projet constitué par des dessins présentés sur deux châssis en bois selon plusieurs perspectives (plan, coupe et élévation). Un dossier explicatif de 12 pages accompagne le tout.

Ce n’est pas moins de douze projets de croix de Lorraine monumentale qui seront examinés par le comité national du Mémorial du général de Gaulle.

Chaque planche reçoit un signe distinctif afin de respecter scrupuleusement l’anonymat des architectes.

Parmi ces projets pour certains pharaoniques ou staliniens, le plus souvent titanesques, c’est l’équipe d’architectes Nébinger-Mosser qui remporte finalement le concours par 20 voix sur 35 votants, soutenue par Madame de Gaulle.

Mémorial de la Pointe Saint-Mathieu dans le Finistère

L'édification de la Croix

Une technique inédite

Afin de respecter les délais imposés, Marc Nebinger et Michel Mosser ne peuvent recourir pour la construction de l’édifice à la technique du coffrage coulissant prévue lors du concours. Les températures hivernales pouvant chuter jusque -15° C rendent en effet impossible la fabrication dans les temps impartis d’un ouvrage en béton haut de plus de 44 mètres. Les architectes trouvent une solution de rechange en utilisant la technique du béton armé précontraint.

Les différents éléments composant la Croix seront préfabriqués en atelier, à l’abri du gel. Si la technique de précontrainte est bien maîtrisée en 1972, on ignore encore quel en est le comportement quand elle s’effectue dans deux directions, comme l’exige la réalisation des deux bras de la Croix…

Le saviez-vous ?

Le procédé de précontrainte consiste à relier entre eux différents éléments d’un bâtiment grâce à des tubes insérés dans le béton où sont passés des câbles qui, une fois tendus, stabilisent l’ouvrage.

De granit et de bronze

L’intégration de la Croix dans son écrin de verdure se fait par le choix judicieux de matériaux nobles pour le parement de la Croix et de l’aire de recueillement.

Choisi pour sa longévité, le granit rose apposé sur les voussoirs qui composent la Croix provient des carrières de la Clarté-Ploumanach en Bretagne. 100 mètres cubes de granit sont extraits du sol avant d’être découpés et taillés aux dimensions souhaitées à Perros-Guirec. Ils seront ensuite envoyés en Lorraine pour assemblage.

Les éléments en bronze ont été réalisés par la fonderie Zwiebel à Saint-Jean-Saverne en Alsace. Seule capable de réaliser à l’ancienne des bandeaux de bronze de grande dimension, la fonderie fabrique en un temps record selon une technique traditionnelle 762 mètres de lames de bronze destinées à dissimuler les joints entre le parement de granit et à recouvrir les sous-faces des bras de la Croix.

Extraction d’un bloc de granit dans les carrières de la Clarté-Ploumanach en Bretagne

La Croix de Lorraine en chiffres
  • Plus de 35 hectares de terrain ont été achetés au prix des Domaines pour la réalisation du mémorial.
  • Le montant des travaux pour la construction de la Croix s’est élevé à 4 749 507 francs, somme financée grâce aux fonds levés lors de la souscription nationale. Au premier rang des départements les plus généreux figurent le département du Bas-Rhin avec 294 877 F ou encore celui de la Marne avec 185 356 F.
  • Par grand vent (jusqu’à 150 km/h), le sommet de la Croix est soumis à des mouvements d’amplitude entre 10 et 12 centimètres.
  • Les 58 câbles tendus ont une longueur d’ensemble de 1,4 km, ce qui représente 16,8 km de fil d’acier spécial.
  • Le poids total du bronze employé pour couvrir le parement de granit et les sous-faces des bras s’élève à 16,348 tonnes.
  • Au total, 350 compagnons, cadres, ingénieurs et maîtres d’œuvre ont travaillé sans interruption pendant 118 jours à la réalisation de l’ouvrage, dont 32 à l’assemblage in situ de la Croix.
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