Nanterre, 8 janvier 1968 :

Altercation entre François Missoffe et Daniel Cohn-Bendit

par François Missoffe*

*Ministre de la jeunesse et des Sports, 8 janvier 1966-30 mai 1968

Entretien du 23 mars 1994 donné à la Fondation Charles de Gaulle

En Mai 68, j’avais écrit juste avant le Livre blanc sur la Jeunesse. Il a été édité mais on m’a empêché de le diffuser. Je pensais qu’il y avait un problème. Je voulais qu’on fasse des Etats Généraux de la Jeunesse française.

J’avais fait faire une piscine à Nanterre. Il faut voir ce qu’était Nanterre à l’époque. C’était un cloaque. Il n’y avait aucun moyen de transport vers Paris, les types marchaient dans la boue. J’avais donc fait faire une piscine et je vais l’inaugurer. Le doyen de Nanterre, Pierre Grappin, me téléphone pour me dire qu’il ne fallait pas venir car il y aurait une manifestation. J’ai refusé la protection de CRS qu’il me proposait. Je suis arrivé à Nanterre ; il y avait tout le corps professoral qui m’attendait à la porte. J’ai inauguré la piscine et je suis sorti par la grande porte. Il y avait une vingtaine de types. Un petit rougeaud sort des rangs et me dit : « Parlez –nous des relations sexuelles entre les étudiantes et les étudiants ».  Je lui réponds : « Avec la gueule que tu as, ça ne m’étonne pas que tu ais des difficultés de ce côté-là. Mais j’ai fait faire une piscine, c’est fait pour toi. Si tu as des pulsions un peu trop fortes, tu te fous dans la piscine, ça ira mieux après ». Et je suis parti.

C’était Cohn-Bendit. Grappin l’a convoqué le lendemain pour lui dire qu’il le foutait à la porte. J’ai reçu une lettre où il s’excusait. Je lui ai répondu que l’affaire était close et que s’il voulait me dire des choses, il fallait qu’il prenne rendez-vous. Il a photocopié ma lettre et l’a affichée dans tout Nanterre. On s’est demandé pourquoi je le protégeais et on a fait courir la rumeur que ma fille était sa maîtresse. Ma fille n’avait jamais vu Cohn-Bendit de sa vie. De Gaulle m’en a parlé et m’a dit « Ecrasez, que voulez-vous faire ? ».  Ce jour-là, je me suis dit : « Je fous le camp de la politique. Qu’on m’attaque moi, c’est tout à fait normal mais qu’on attaque ma femme ou mes enfants, je ne peux pas l’accepter. C’est un milieu trop pourri. » Je suis donc parti.

Qu’avez-vous pensé que la manière dont ont été conduits les événements du côté du pouvoir ? On vous consultait ?

Rien. Pompidou s’est enfermé dans Matignon avec Jobert, Chirac et Balladur et nous, on se téléphonait sur l’interministériel en se demandant des nouvelles.

Est-ce que les mouvements étudiants ont essayé de prendre contact avec vous ? Vous étiez le ministre de la Jeunesse ?

Personne. On était coupé de tout. J’ai vu le Général une fois lors d’un Conseil des ministres exceptionnel où il a dit : « On n’arrête pas un torrent avec les mains. Je vais m’adresser au pays pour lui proposer un référendum. Qu’en pensez-vous ? » Il a fait un tour de table. Tout le monde était pour le référendum. Je crois que j’étais le 7e et je lui ai dit : « Je crois que c’est une erreur. D’abord vous ne pourrez pas le faire. La situation est telle qu’il suffit que deux communes foutent les urnes en l’air pour que votre référendum soit nul. Je crois qu’il faudrait dissoudre l’Assemblée ». Edgar Faure a été le seul de mon avis.  Il a donc été décidé qu’il s’adresserait au pays. Le lendemain de son allocution, je reçois un coup de téléphone des aides de camp me demandant de venir voir le Général. Il était en jaquette car il venait de recevoir les lettres de créances de l’ambassadeur américain. Il m’a demandé ce que j’avais pensé de son intervention. Je lui ai dit : « Mon Général, très franchement, c’était un bide. C’était mauvais. Vous n’y croyez pas, ça se sentait ».  Je lui ai refait ma démonstration comme quoi j’étais contre le référendum. Il m’a dit : « Vous savez au fond, il faut bien que j’ai une raison de foutre le camp ». Je lui ai dit que ce n’était pas une révolution. Que s’il continuait comme ça avec ce mauvais laïus, il remettrait ses pouvoirs à Mendès ou à Mitterrand. Il s’est levé comme un fou et m’a dit : « Eh bien, je reste ». En me raccompagnant à la porte de son bureau, il m’a pris le bras en me disant : « Merci mon petit ». Je suis resté sur le cul. Les aides de camp m’ont dit qu’il ne voyait personne. J’ai téléphoné à Messmer pour lui raconter mon entrevue et lui demander de l’aider en demandant un rendez-vous. Et Messmer a pu le voir en fin de journée.

Qu’avez-vous pensé de sa relation finale avec Pompidou ?

C’était très curieux. La déclaration de Rome, Pompidou l’a faite dans des conditions qu’on comprend tout à  fait. Il n’y avait rien de mal à dire : si de Gaulle ne se présente pas, je serai candidat. De Gaulle n’a pas admis cela. Je crois que c’est le phénomène de l’âge.

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