Allocution radiodiffusée et télévisée du général de Gaulle, palais de l’Elysée, 24 mai 1968

 

« Tout le monde comprend, évidemment, quelle est la portée des actuels événements universitaires, puis sociaux. On y voit tous les signes qui démontrent la nécessité d’une mutation de notre société et tout indique que cette mutation doit comporter une participation plus étendue de chacun à la marche et aux résultats de l’activité qui le concerne directement.

Certes, dans la situation bouleversée d’aujourd’hui, le premier devoir de l’Etat, c’est d’assurer, en dépit de tout, l’existence élémentaire du pays ainsi que l’ordre public. Il le fait. C’est d’aider à la remise en marche, notamment en prenant les contacts qui pourraient la faciliter. Il y est prêt. Voilà pour l’immédiat.

Mais, ensuite, il y a, sans nul doute, à modifier des structures, c’est-à-dire à réformer. Car si, dans l’immense transformation politique, économique et sociale qu’accomplit la France en notre temps, beaucoup d’obstacles intérieurs et extérieurs ont déjà été franchis, d’autres s’opposent encore au progrès. De là, des troubles profonds, surtout dans la jeunesse, qui est soucieuse de son propre rôle et que l’avenir inquiète trop souvent.

C’est pourquoi la crise de l’Université, crise provoquée par l’impuissance de ce grand corps à s’adapter aux nécessités modernes de la Nation en même temps qu’au rôle et à l’emploi des jeunes, a par contagion déclenché dans beaucoup d’autres milieux une marée de désordres, ou d’abandons, ou d’arrêts de travail. Il en résulte que notre pays se trouve au bord de la paralysie. Devant nous-mêmes et devant le monde, il s’agit pour nous, Français, de régler un problème essentiel que nous pose notre époque, à moins que nous ne roulions, à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses.

Depuis bientôt trente ans, les événements m’ont imposé, en plusieurs graves occasions, le devoir d’amener notre pays à assumer son propre destin afin d’empêcher que certains ne s’en chargent malgré lui. J’y suis prêt, cette fois encore. Mais cette fois encore, cette fois surtout, j’ai besoin – oui, j’ai besoin ! – que le peuple français dise qu’il le veut. Or, notre Constitution prévoit justement par quelle voie il peut le faire. C’est la voie la plus directe et la plus démocratique possible : celle du référendum. Compte tenu de la situation tout à fait exceptionnelle où nous sommes, j’ai donc, sur la proposition du Gouvernement, décidé de soumettre au suffrage de la Nation un projet de loi par lequel je lui demande de donner à l’Etat et, d‘abord à son chef, un mandat pour la rénovation.

Reconstruire l’Université, en fonction, non pas de ses séculaires habitudes, mais des besoins réels de l’évolution du pays et des débouchés effectifs de la jeunesse étudiante dans la société moderne.

Adapter notre économie, non pas à telles ou telles catégories d’intérêts particuliers, mais aux nécessités nationales et internationales du présent, en améliorant les conditions de vie et de travail du personnel des services publics et des entreprises, en organisant sa participation aux responsabilités professionnelles, en mettant en œuvre les activités industrielles et agricoles dans le cadre de nos régions.

Tel est le but que la Nation tout entière doit se fixer à elle-même.

Françaises, Français ! Au mois de juin, vous vous prononcerez par un vote. Au cas où votre réponse serait « Non ! », il va de soi que je n’assumerais pas plus longtemps ma fonction. Si, par un « Oui ! » massif, vous m’exprimez votre confiance, j’entreprendrai, avec les pouvoirs publics et, je l’espère, le concours de tous ceux qui veulent servir l’intérêt commun, de faire changer, partout où il le faut, des structures étroites et périmées et ouvrir plus largement la route au sang nouveau de la France.

Vive la République !

Vive la France ! »

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