LA NATALITÉ FRANÇAISE, UN ENJEU DÉCISIF POUR L’AVENIR

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

La population française comptait 67,4 millions d’habitants au 1er janvier 2021, dont 2,2 millions dans ses départements et territoires d’outre-mer. 20% des Français ont plus de 65 ans, 18% moins de 15 ans.

En 2020, 740 000 bébés sont nés sur le territoire français (79 000 de moins par rapport à 2014), alors qu’il faudrait chaque année près de 780 000 naissances pour assurer le simple renouvellement des générations. Et l’indice de fécondité est tombé à 1,84 enfant par femme alors qu’il « oscillait », selon l’INSEE, autour de 2 enfants par femme entre 2006 et 2014.

Nous sommes, ainsi, depuis de trop nombreuses années face à un déclin démographique de plus en plus préoccupant.

Sous l’effet de la pandémie de covid 19 et de la situation de crise sanitaire et sociétale qui en est résulté, le nombre des naissances a encore diminué en 2020 et le taux de natalité a atteint son plus bas depuis 1945. Ce ralentissement s’est poursuivi en 2021 et les projections publiées en novembre dernier par l’INSEE montrent que, si une politique familiale incitative n’est pas rapidement mise en œuvre dans les mois qui viennent, la population française culminera à 69,3 millions d’habitants en 2044 avant de décliner jusqu’à 68,1 millions en 2070.

Dans le même temps, le nombre des plus de 75 ans augmenterait de 5,7 millions (L’espérance de vie à la naissance est de 85,6 ans pour les femmes et de 79,7 ans pour les hommes), tandis que celui des moins de 60 ans diminuerait de 5 millions.

Cette persistance de la baisse de la natalité est de plus en plus préoccupante pour l’avenir de notre pays car les enfants qui ne sont pas nés en 2020 représentent, en fait, autant de travailleurs en moins de 2040 à 2080 et, dès lors, moins de cotisants pour les retraites, moins de consommateurs, des difficultés de recrutement ou de fonctionnement pour les entreprises et une diminution des recettes fiscales de l’Etat…

Il faut, en fait, remonter à 1975 et à la fin du « Baby Boom » pour constater une telle diminution (14% par rapport à décembre 1974, d’après l’INSEE). Dix ans avant, en 1964, le remplacement des générations était largement assuré. Les enfants nés en nombre au cours des années qui ont suivi la seconde guerre mondiale étaient devenus, à leur tour, de nombreux parents. Mais, au fil des années, l’excédent des naissances sur les décès s’est amenuisé et la capacité démographique de la société française a continué à diminuer.

De 1974 à sa mort en 1996, Michel Debré a consacré de très nombreux écrits à cette situation et à ses conséquences, posé à plusieurs reprises des questions au gouvernement, déposé des propositions avec le soutien de plusieurs parlementaires et mené campagne en 1981. A l’époque, le Canard enchainé s’est amusé à publier un dessin humoristique le caricaturant sur une grande échelle à la suite d’une phrase jugée maladroite par la rédaction du Canard et prononcée lors d’une interview à la radio, recommandant au peuple Français de se remettre à « faire des enfants sur une grande échelle ». Mais l’ironie de la caricature l’avait, en fait, amusé.

Des auteurs respectés comme Alfred Sauvy, Pierre Longone, Evelyne Sullerot, Pierre Chaunu, Gérard Calot, Gérard-François Dumont, le démographe indépendant Jean Legrand et l’INED ont, à la même époque, évoqué eux aussi cette diminution des naissances et ses conséquences.

En 2006, Evelyne Sullerot et Michel Godet ont même rédigé un rapport du Conseil Economique et Social sur le vieillissement de la population. Ils y recommandaient un renforcement de la politique familiale. Ils y préconisaient la mise en œuvre de dispositifs permettant une meilleure conciliation de la vie professionnelle et familiale.

Quelques mois plus tard, le Conseil National du Patronat Français (auquel le MEDEF a succédé en octobre 1998), a publié un document qui met en lumière les conséquences de l’évolution démographique de la France dans les domaines économique et social et sur la vie même des entreprises.

Les gouvernements successifs ont, depuis, paru disposés à étudier des mesures. Certaines ont même été votées. Mais nul ne peut prétendre que l’ampleur du problème démographique français et de ses conséquences prévisibles ait pu être traitée à la hauteur de l’importance des enjeux. Ce n’est toutefois pas la vocation de la Fondation Charles de Gaulle d’établir ici une analyse critique argumentée de la politique familiale des gouvernements de la fin du XXe siècle et du début du XXIe.

En fait, une récente étude réalisée par l’institut Kantar pour l’Union Nationale des Associations Familiales explique la baisse de la natalité non par l’évolution du nombre d’enfants désirés par famille, qui reste fort à 2,39, mais plutôt par le manque de moyens d’une majorité de familles soucieuses de préserver un niveau de vie acquis péniblement.

Cette préoccupation résulte de l’insuffisance de la politique familiale et d’une incitation démographique qui n’est plus à la hauteur des ambitions de notre pays, de sa place et de son rôle sur la scène internationale. La crise du Covid et les incertitudes qui l’ont accompagnée ont sans doute, d’autre part, suscité inquiétude et prudence chez de nombreux parents.

Effectivement, le cumul de la baisse de la fécondité, de la diminution de la mortalité infantile et l’allongement de la durée de vie qui entraine une baisse des chiffres de la mortalité des personnes âgées a pour effet un vieillissement de la population française qui a donc des conséquences sur le financement des retraites, sur les dépenses de santé, sur l’emploi, sur le pouvoir d’achat et la consommation, donc sur la croissance et, si l’on tarde encore à réagir, sur la pérennité du modèle social français.

Sur le seul plan économique, la diminution des naissances, si elle se prolonge, va entrainer une baisse des ventes de plusieurs types de biens et de services liés à l’enfance : moins de lait, de couches et de produits alimentaires, moins de vêtements et de chaussures, moins de jouets, moins de livres pour enfants, moins de trottinettes et de bicyclettes, moins d’animateurs et d’accompagnateurs scolaires, moins de visiteurs dans les parcs de loisirs à thèmes, etc. M. Didier Breton, démographe à l’INED, estime que la demande de logements pourrait, en outre, évoluer et les transactions diminuer si un nombre plus faible de familles a besoin de déménager pour s’agrandir. Et M. Hippolyte d’Albis, économiste et directeur de recherche au CNRS, souligne, pour sa part, que « les 18 000 naissances de moins constatées en 2020 se traduiront dans trois ans par la fermeture de 500 classes de petite section maternelle et, dans quatre ans par un risque de fermeture de 500 autres classes en moyenne section ».

Dans le même temps, le développement des outils électroniques et les restructurations envisagées dans les secteurs d’activités les plus touchés par les effets de la crise sanitaire vont sans doute entrainer une réduction de l’emploi dans un grand nombre d’entreprises et, de ce fait, une diminution du volume des cotisations sociales. Or le travail des actifs contribue, par leurs cotisations, au financement des revenus des inactifs.

En France, les retraites représentent 14% du PIB. Si des mesures appropriées ne sont pas mises en œuvre, l’augmentation du nombre des inactifs ne pourra qu’entrainer une augmentation de ce pourcentage et fragiliser l’acceptabilité du niveau des prélèvements sociaux supporté par les actifs.

La pyramide des âges est une clé de l’Histoire et de nombreuses crises et mutations survenues au fil des siècles. Pierre Chaunu a parfaitement montré dans ses ouvrages que la première dimension de l’Histoire, c’est l’Homme ; et le général de Gaulle a toujours affirmé « en notre temps, la seule querelle qui vaille, c’est celle de l’Homme ».

Pour mémoire, si le taux de fécondité français se situe entre 1,8 et 1,9 comme au Royaume Uni, il est de 1,7 aux Etats-Unis et en Russie, de 1,53 en Chine, de 2,3 en Inde, de 2 en Amérique Latine, de 5 en moyenne dans les pays d’Afrique sub-saharienne et de 1,56 dans l’ensemble de l’Union Européenne (1,43 en Allemagne), où, comme l’a rappelé récemment le démographe Hervé Le Bras, la fécondité est constamment inférieure au seuil de remplacement des générations depuis les années 1980.

Nous sommes donc face à un défi : Si la situation ne change pas, les taux de fécondité en France et dans plusieurs autres pays européens continueront à se situer en dessous du seuil de remplacement (les démographes, qui sont aussi mathématiciens et savent étudier les statistiques, nous expliquent qu’il faut 2,3 enfants par couple pour atteindre le coefficient de renouvellement). Avec le taux actuel, outre la pression migratoire et les problèmes d’intégration, il faudra donc faire face à de sérieuses difficultés économiques et sociales, à une remise en cause du système de protection sociale ainsi qu’à un affaiblissement de la cohésion intergénérationnelle de la Nation.

Or, sans une politique familiale ambitieuse, une France qui vieillit se condamne au déclin alors qu’une jeunesse nombreuse est source de dynamisme et de solidité pour notre Nation.

Le Général de Gaulle a, dès 1945, évoqué devant l’Assemblée Consultative provisoire la nécessité d’un grand plan « pour qu’à tout prix soit obtenu le résultat vital et sacré » indispensable au redressement, aux rapports sociaux et à la sécurité même de notre pays.

Le 24 octobre 1945, reprenant un projet présenté dès 1944 au Comité français de Libération nationale à Alger par le professeur Robert Debré, pédiatre de renommée mondiale, il a créé l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) dirigé par Alfred Sauvy, engagé une politique démographique et familiale à laquelle la Revue Espoir a consacré tout un numéro [1].

Deux ans plus tard, une brochure publiée par le RPF en 1947 soulignait que « A la base de la résurrection du peuple français, il y a la famille française. C’est elle qui doit être aidée, d’abord pour qu’elle s’accroisse, ensuite pour que vivent et se développent les enfants qui viennent au monde ; enfin pour que les jeunes Français reçoivent non pas seulement l’instruction, mais aussi l’éducation qui est le fondement de la valeur d’un peuple ».

Michel Debré, l’ancien Premier ministre du général de Gaulle, fils du professeur Robert Debré, et qui partageait le même bureau avec Sauvy au cabinet de Paul Reynaud en 1938, s’est illustré, lui aussi, par de nombreux écrits, discours et actes de gouvernements concernant la Femme, la Famille et la Démographie [2].

Certes, il ne s’agit pas de renvoyer les jeunes femmes à leur foyer. La femme, qu’elle soit célibataire, épouse, mère, a sa place dans la vie professionnelle comme elle l’a dans la vie politique et sociale ; et que les jeunes femmes aspirent à travailler ou exercent une activité pour contribuer aux revenus de leur foyer, c’est, de nos jours, tout à fait normal.

Mais il ne doit pas y avoir incompatibilité entre travail féminin et maternité. A partir d’un certain nombre d’enfants, les mères de famille doivent pouvoir disposer d’une réelle liberté de choix entre le foyer et l’exercice d’une profession.

En 1975, Michel Debré a déposé une proposition de loi prévoyant notamment, pour les mères de famille, le droit à la formation professionnelle, l’ouverture de différents concours administratifs et para-administratifs sans condition d’âge et de diplôme, des aménagements des horaires de travail et des retraites. A la même époque, il soulignait déjà la nécessité de développer les crèches, les garderies, de mettre en œuvre une politique du logement pour les jeunes couples et pour les familles nombreuses, de faire de l’aide familiale une pièce maîtresse de l’action sociale et d’instaurer un statut de la mère de famille ayant trois enfants ou plus.

Certaines de ces mesures ont progressivement été adoptées, mais sans véritable élan et, depuis une dizaine d’années, la politique familiale s’est trouvée altérée par la baisse des mariages, le désir d’une majorité de jeunes couples de se trouver un jour parents de deux enfants plutôt que trois, la mise sous condition de ressources des ayant-droit d’un nombre croissant de prestations, la modulation des allocations familiales selon les ressources du foyer et par des prélèvements répétés sur les excédents de la branche famille.

Face à la baisse de sa natalité et aux enjeux démographiques qui en résultent, la France est donc désormais confrontée au défi d’une véritable grande politique familiale.  Les efforts à entreprendre ne sont ni de droite, ni de gauche. Ils s’inscrivent dans l’« instinct vital de la nation tout entière » dont le général de Gaulle a magistralement tracé la ligne pour les générations présentes et futures.

Il faut donc traiter les enjeux, les voies et les moyens d’une politique de la famille en dehors de toute idéologie ou de tout engagement partisan. Il faut associer à la réflexion de nos gouvernants présents et futurs les organisations syndicales, les associations familiales, des femmes et des hommes qualifiés issus des différents territoires régionaux…,  considérer que l’enfant n’est pas une charge financière ou matérielle mais une source d’épanouissement humain, un membre essentiel de toute nation désireuse d’assurer son avenir, son indépendance, son rayonnement, et un maillon indispensable de « la transmission d’une culture héritée des générations qui nous ont précédés afin qu’elle se perpétue dans le futur » [3].

Les dispositifs et les instruments actuels de soutien à la natalité n’étant plus adaptés à l’évolution de la démographie, l’objectif doit être de mettre au point une politique familiale moderne visant à rétablir un juste équilibre entre les générations par des mesures dégageant les ressources nécessaires pour favoriser les naissances et redonner sa place à la famille dans une France qui ne parvient pas à rajeunir et dont la cohésion se fragilise.

Car un pays dont la démographie diminue ne tarde pas à « se révéler tout aussi incapable de triompher de la concurrence internationale que de continuer à assurer sa cohésion et une protection sociale qui est à l’honneur d’une civilisation fondée sur la dignité et la solidarité humaine » [4].

Au seuil de l’année nouvelle formons le vœu pour notre Pays que le défi démographique soit bientôt relevé et qu’un nouveau cap soit rapidement donné à cette cause dont dépend, n’en doutons plus, l’avenir de la France, sa place et son rôle dans le concert des nations.

[1] Revue de la Fondation Charles de Gaulle N° 180 (été 2015)

[2] Les lecteurs intéressés peuvent utilement relire les nombreux numéros de « La Lettre de Michel Debré » parus à ce sujet entre 1978 et 1990 et regroupés sur un DVD qui peut être consulté à la Bibliothèque de notre Fondation.

[3] Citation de Laurent Chalard dans une tribune publiée par le Figaro Vox (3 mars 2021)

[4] Source : « La Lettre de Michel Debré » Numéro 37 (avril 1981)

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