LE LONG CHEMIN DE LA DÉMOCRATIE

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

Tirant son origine du grec « dêmokratia » formé de « dêmos », le peuple, et de « kratein » commander, exercer le pouvoir, la démocratie est le pouvoir ou le gouvernement du peuple par le peuple. Le terme est utilisé pour qualifier une forme de gouvernance, un régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans distinction de naissance, de richesse ou de compétence (principe d’égalité de parole à l’assemblée).

Si le XXe siècle marque l’essor de la démocratie, celle-ci demeure fragile sous l’effet de l’action de forces contestataires soucieuses de pouvoir (comme c’est le cas dans des pays où l’alternance n’est pas assurée), ou de défense d’intérêts pouvant aller jusqu’à la colère sociale mettant en danger les institutions face à l’injustice ou l’humiliation (comme c’est le cas dans des pays confrontés à la montée du populisme et à une radicalisation du débat génératrice de violences antirépublicaines susceptibles de saper la cohésion nationale).

L’histoire du monde montre que le chemin de la démocratie est à la fois long et difficile.

Les prémices

À l’origine, Athènes est une oligarchie. Capitale et plus grande ville de la Grèce, elle forme, avec la région de l’Attique qui l’entoure, une cité, c’est-à-dire une communauté politique autonome dont les réalisations culturelles vont constituer l’une des sources importantes de la civilisation occidentale. La cité est gouvernée par un chef unique ou par d’influentes familles. Mais le peuple athénien revendique les mêmes droits que les aristocrates au côté desquels les citoyens soldats ont combattu contre les Perses et contre Sparte.

À cette époque, les citoyens ne représentent que 10% de la population d’Athènes. Pour devenir citoyen il faut être fils de citoyen athénien et avoir effectué un service militaire de deux ans, soit être naturalisé ; les rares naturalisations récompensent des services rendus à la cité par des étrangers (‘’métèques’’).

Les prémices démocratiques apparaissent au VIIe siècle avant JC avec la mise en œuvre par Dracon d’un code pénal équitable en 621 avant JC, à Athènes. Jusqu’alors, chaque clan, chaque famille aristocratique avait sa propre façon de régler ses comptes sans recourir à un juge et la vengeance était une obligation absolue en cas de meurtre pour éviter que l’âme de la victime rôde sans pouvoir être jugée.

Soucieux de remédier aux violences de l’époque, Dracon considère qu’il faut retirer aux familles le désir de vengeance en leur donnant l’assurance que le coupable sera plus sévèrement puni par la société que par elles-mêmes (par des règles qualifiées de draconiennes par les praticiens).

Solon, initiateur de la première constitution

Cette réforme permet aussi aux pauvres de ne plus être jugés par les membres d’une famille bien née (eupatride). Mais elle suscite de nombreuses tensions et, en 594 avant JC, Solon (640-558 avant JC), qui a repris Salamine aux habitants de Mégare, est choisi comme arbitre des conflits, puis élu archonte (gouvernant) et investi de pouvoirs pour réformer un système politique et social devenu inadapté au regard des réalités athéniennes.

Solon supprime la menace de mise en esclavage pesant sur les paysans endettés, étend la notion d’héritage aux filles et à leurs enfants (même naturels) et répartit les citoyens en quatre classes censitaires en fonction du niveau de leur richesse. Les citoyens les plus riches ont davantage de droits et participent aux choix politiques, aux fêtes civiques, au financement des services publics et doivent servir dans l’armée. Les citoyens les plus pauvres ne sont pas soumis à l’impôt et sont exemptés de service militaire.

Dans le même temps, reformulant les principes du gouvernement d’Athènes, Solon procède à des ajustements institutionnels. L’assemblée ecclésiale réunissant l’ensemble des citoyens sans distinction de patrimoine se réunit désormais quatre fois par an sur la colline du Pnyx.

Elle discute des projets de lois et, après l’intervention des orateurs, les adopte en votant à main levée. Elle décide si nécessaire de déclarer une guerre. Chaque année elle délègue une partie de ses pouvoirs en élisant pour un an les stratèges et les archontes chargés de gouverner la cité. Ceux-ci doivent venir en fin de mandat lui rendre compte de leur action et peuvent alors être sanctionnés.

L’Ecclésia désigne les magistrats en procédant à un tirage au sort parmi les volontaires issus de la classe la plus riche. Elle procède également au tirage au sort, parmi les citoyens, sans distinction de revenus, des membres d’un nouveau tribunal (l’Héliée) chargé d’examiner en appel les décisions des tribunaux aristocratiques afin de limiter les risques de décision, arbitraire d’une première instance.

Les réformes de Solon soulèvent des contestations et tandis que les tensions se développent, Athènes se divise en trois partis : les Paraliens (commerçants de la côte), les Pédiens (grands propriétaires terriens de la plaine) et les Dacriens.

Pisistrate (600-527 avant JC) prend la tête de ces derniers et s’impose en 560 après deux tentatives face aux Eupatrides (les aristocrates athéniens). Sans revenir sur les institutions de Solon, Il confie les plus hautes charges politiques et judiciaires à ses soutiens les plus proches et mène une politique d’aménagement et de développement principalement rural et commercial. La Grèce lui doit aussi l’aménagement de l’Acropole et de nombreux apports culturels et cultuels.

À sa mort, les deux fils de Pisistrate s’efforcent de poursuivre l’œuvre de leur père. Mais Hipparque est tué par deux membres du parti démocratique et son frère Hippias, qui est favorable aux Perses, renonce au pouvoir. Un régime aristocratique soutenu par Sparte, célèbre cité située au sud du Péloponnèse, tente de lui succéder mais échoue rapidement.

Clisthène, développeur de la démocratie

L’aristocrate Clisthène (570-508 avant JC), issu d’une famille influente (les Alcméonides) décide alors de défendre les droits populaires. Mais son projet est contesté par un autre aristocrate, Isagoras, chef du parti oligarchique et proche d’un des rois de Sparte.

Rivale d’Athènes, Sparte est caractérisée par son caractère austère (spartiate), son système rigide d’éducation et une armée disciplinée qui lui a permis de conquérir plusieurs royaumes et d’étendre ainsi son influence.

Cité continentale, militarisée et aristocratique, elle a des institutions complexes, s’appuyant sur une double monarchie issue de deux dynasties parallèles (les Agiades et les Eurypontides) dont la gestion comporte des modes oligarchiques et des éléments démocratiques. Cette dualité a préservé Sparte d’une dérive tyrannique et un conseil aristocratique de vingt-huit hommes âgés d’au moins 60 ans et élus à vie sans comptes à rendre au peuple épaule les deux monarques.  La cité dispose d’importantes richesses foncières.

À Athènes, Clisthène, qui a fini par l’emporter, s’attache à mettre en œuvre (de 507 à 501 avant JC) des dispositions constitutionnelles et des réformes administratives qui marquent le commencement de la démocratie athénienne.

Pour affaiblir la puissance de l’aristocratie, il divise Athènes et sa région en une centaine de circonscriptions territoriales (les Dèmes). Les citoyens sont organisés en dix tribus (les phylai), chacune constituée de trois régions non contiguës (les Trytties). Dans chaque tribu sont tirés au sort cinquante conseillers âgés de plus de 30 ans afin de former le Conseil des 500. Ce conseil (la Boulê), divisé en dix sections (Prytanies), prépare les débats et les textes soumis à l’assemblée des citoyens (l’ecclésia), habilitée à débattre.

Dix hauts magistrats, les stratèges (chefs miliaires), ne sont pas tirés au sort mais élus par l’assemblée pour un an. Chaque jour, un président du conseil est tiré au sort. il a la garde des clés des trésors de la cité et doit dormir dans un temple, sur l’Agora.

D’autres mesures interviennent : laïcisation de la société, modification de l’état civil des Athéniens (l’origine de chaque citoyen est définie par le nom de son Dème, plus petite unité territoriale), passage de l’année religieuse à l’année civile, affirmation du droit pour tous les citoyens de s’exprimer dans la nouvelle assemblée des citoyens (Ecclésia) précédemment située sur l’Agora, loi sur l’ostracisme permettant à l’assemblée d’éloigner un citoyen pendant dix ans sans qu’il perde ses droits civiques et ses biens

A cette époque, la société athénienne est inégalitaire ; les femmes, les étrangers vivant à Athènes (métèques) et les esclaves n’ont pas de droits civiques. Si la démocratie est le pouvoir du peuple, elle est donc également un enjeu de la délimitation du peuple dont une partie seulement participe au gouvernement de la Cité.

Le rôle de Périclès

À partir de 461 avant JC, Périclès, chef du parti démocratique élu stratège (et réélu à 13 reprises), mène une politique d’embellissement d’Athènes (Parthénon, Propylées, Odéon…), fait débattre de nombreux textes importants par l’ecclésia et contribue à la progression de la démocratie. Il encourage l’accès des plus pauvres aux plus hautes fonctions en faisant attribuer une indemnité compensatoire aux citoyens qui s’investissent dans les affaires publiques.

Périclès a aussi mené la guerre du Péloponnèse opposant Athènes et Sparte de 431 à 404 avant JC. La population de l’Attique doit alors se replier sur Athènes qui est contrainte de détruire ses fortifications menant au Pirée avant qu’un traité finisse par admettre deux systèmes d’alliances : l’un autour d’Athènes dans l’Egée (la ligue de Délos) et l’autre autour de Sparte (la ligue Péloponnésienne).

Mais la cité est affaiblie et doit subir durant huit mois la tyrannie de trente magistrats élus par un groupe de citoyens sous la pression des spartiates avant de pouvoir retrouver un régime démocratique durant l’été 403.

Au cours de ce Ve siècle, le politicien historien Thucydide considère que dans une démocratie « les choses dépendent non du petit nombre mais de la majorité ». Le gouvernement du plus grand nombre s’effectue par cette majorité. C’est ce que l’on nomme le gouvernement du peuple par le peuple.

La pensée des grands auteurs

Platon, de son côté, qui est membre d’une des familles les plus considérées d’Athènes, estime dans son livre « La République » que la démocratie donne une trop grande liberté et trop de pouvoir au peuple, générant des tensions souvent très fortes qui peuvent conduire le peuple à confier le pouvoir à un « tyran » afin d’éviter la guerre civile.

Pour sa part, Hérodote (480-425 avant JC), évoquant les régimes politiques, considère que « la justice ou l’injustice du régime politique dépend en grande partie du caractère des individus qui détiennent le pouvoir… Le caractère moral de l’homme politique joue donc un grand rôle au sein de la démocratie ».

Mais il faut souligner que même si les Athéniens sont souvent considérés comme les pères de la démocratie, seules les familles aisées disposaient, en fait, de représentants, les femmes, les enfants, les esclaves et les métèques ne pouvant être représentés et ne disposant pas du droit de vote.

Le philosophe Aristote (384-322 avant JC), qui a étudié la philosophie auprès de Platon (428-348 avant JC), a distingué trois formes de gouvernement : la royauté, l’aristocratie et la République. Celles-ci peuvent se muer respectivement en tyrannie, aristocratie et démocratie.

Dans son livre « La Politique », Aristote, qui a analysé les constitutions des plus célèbres cités de l’époque (Athènes, Thèbes, Sparte, Carthage) et pour qui le principe de base de la constitution démocratique est la liberté, envisageait une série de neuf règles pour que la démocratie puisse s’exercer sans ruses rhétoriques ni risques de corruption :

  1. Choisissez tous les magistrats parmi tous
  2. Que chacun règne sur l’individu et que l’individu règne sur tout
  3. Que les charges publiques soient nommées par tirage au sort
  4. Qu’une personne ne puisse pas occuper deux fois le même poste
  5. Qu’une personne n’occupe qu’une fonction publique en même temps
  6. Que les charges publiques soient de courte durée
  7. Laisser les élus administrer la Justice
  8. Que l’Assemblée du peuple ait pouvoir sur toutes choses
  9. Qu’aucune fonction publique n’est à vie

Une minorité…

Dans sa pratique, la démocratie athénienne est une démocratie directe où l’assemblée des citoyens libres délibère chaque jour et façonne les décisions importantes qui y sont prises. Mais, en fait, la citoyenneté antique ne concerne qu’une minorité. La majorité de la population n’y a pas accès du fait de son statut de femme, d’esclave ou d’étranger. Et les charges y ont occupées à titre temporaire. Certaines personnalités populaires comme Périclès et son neveu Alcibiade parti se mettre au service de Sparte peuvent même y faire l’objet d’une disgrâce (ostracisme).

Cependant, les magistrats y sont sélectionnés par tirage au sort afin d’éviter le risque de favoritisme ou celui d’une dérive oligarchique qu’une trop grande stabilité des charges publiques favoriserait et, de nos jours, la sélection par tirage au sort des membres d’un « jury » pénal est toujours considéré comme un processus démocratique.

La démocratie à Rome

À Rome, qui est à l’origine une petite cité fondée en 753 avant JC, la République est instaurée en 509 avant JC. Elle succède à la monarchie étrusque et le pouvoir n’y est plus héréditaire. Un système équitable permet à tous les citoyens [1] de voter et de participer à l’élaboration des textes de lois. L’organisation du pouvoir comporte ainsi une composante plébéienne et une composante aristocratique.

L’extension de son territoire au cours des trois siècles suivants permet à la Cité de constituer un vaste empire de près de 60 millions d’habitants et de plus de 10 000 Km de frontières allant de l’Angleterre à l’Egypte et de l’Afrique du Nord à l’embouchure du Rhin.

Le territoire romain est gouverné par l’Imperator qui commande les armées, dispose de pouvoirs religieux, désigne les magistrats et contrôle leur carrière (cursus honorum). L’Empire comporte 44 provinces dirigées soit par un légat (gouverneur) nommé par l’Empereur (province impériale), soit par un proconsul nommé par le Sénat romain (province sénatoriale). Des assemblées provinciales sont mises en place et sont constituées d’habitants issus de l’élite romanisée de ces provinces.

Les habitants de l’Empire qui ne sont pas esclaves ont l’un des trois statuts octroyés à la population. Ils sont soit « citoyens romains », soit «pérégrins » s’ils ne sont pas soumis au droit romain et relèvent d’une citoyenneté locale, soit « citoyens latins » ayant les droits civils des citoyens romains, mais sans leurs droits politiques.

La citoyenneté est de droit si l’on est né d’un père citoyen et marié selon le droit romain (conubium) ou si l’on est ancien magistrat d’une des villes conquises par Rome (les Municipes) ou si l’on est un des soldats des troupes auxiliaires ayant effectué 26 ans de services. L’Empereur dispose, d’autre part, du droit d’accorder la citoyenneté à titre individuel ou collectif.

Tout citoyen romain dispose d’un prénom, d’un nom, d’un surnom et de droits lui permettant de faire des actes juridiques. Mais une distinction est établie par les niveaux de fortune entre l’ordre sénatorial regroupant des magistrats ayant au moins un million de sesterces et l’ordre équestre plus proche de l’empereur pour lesquels le niveau de patrimoine est de 400 000 sesterces.

En 212, sous le règne de Caracalla, un édit étend le droit de cité romaine à tous les hommes libres de l’Empire. Les barbares et les populations soumises par la force ne peuvent bénéficier de cette disposition qui marque la romanisation de l’Empire tout en assurant une augmentation des recettes provenant des taxes sur les successions des citoyens romains.

Dès le 1er siècle avant JC, Cicéron, qui a marqué son époque par son talent oratoire, sa philosophie et ses écrits, s’inspirant de la pensée platonicienne, évoque les dangers d’un pouvoir tombant aux mains de la foule et ne souhaite pas que la République romaine s’inspire trop du modèle grec. Devenu Consul en 63 avant JC, il déjoue une conjuration de Catilina, est exilé pour avoir fait exécuter des conjurés sans procès, compose avec le pouvoir de César puis s’allie à Octave contre Antoine et décède en 43 avant JC. L’avènement de l’Empire intervient en 27 avant JC quand Octave devient empereur sous le nom d’Auguste.

Par la suite, plusieurs penseurs italiens contemporains des cités autonomes de Gènes, Pise, Trieste et Venise soutiennent la conception romaine, plus oligarchique.

Souvent constituées en républiques indépendantes mais pratiquant une forme plus limitée de démocratie, les cités-états de la fin du moyen-âge sont à l’origine des corporations d’artisans et de commerçants, puis des ligues qui, au moyen âge, en Italie, en Allemagne, en Hollande ont tissé d’importants réseaux d’échanges actifs en Europe et autour de la Méditerranée. Ce type d’organisation protégeait les marchands et les artisans contre les tracasseries et les taxations abusives.

Cette période a donc été propice au développement du négoce des marchandises, à la création d’instruments financiers, à la création de la comptabilité en partie double, de la lettre de change et de l’assurance contre les risques, donnant naissance au 13 et 14e siècles à un nouvel ordre commercial et capitaliste qui, maitrisant l’organisation de la production ou la commercialisation des denrées et des biens, a contribué au développement de villes matrices de la modernité [2].

C’est seulement pendant la Renaissance puis la Réforme que l’Europe va voir la conception de la démocratie donner lieu à des publications traitant de la désacralisation du pouvoir et envisageant une loi sociale qui ne viendrait pas de Dieu (Machiavel 1469-1527)

Auparavant, la notion de liberté et d’égalité entre les hommes promue par le christianisme avait progressé au Moyen Age, s’accélérant avec l’apparition d’une classe de riches commerçants aptes à participer aux affaires publiques.

La brève République anglaise

Au début du XVIIe siècle, la monarchie anglaise des Stuarts, qui gouverne le royaume avec fermeté, se trouve confrontée au Parlement désireux de participer plus activement à la gestion des affaires pour assister le Roi et contrôler ses actes.

Depuis le Moyen Age, ses deux chambres (la Chambre des Lords, formée de représentants de la noblesse, et la Chambre des communes, formée de représentants de la nation) sont régulièrement réunies.

Mais Jacques 1er Stuart (1603-1625) et surtout Charles 1er (1625-1640) se comportent en souverains absolus et Charles 1er, refusant de gouverner avec le Parlement, se trouve confronté pendant six ans à une guerre civile qui aboutit à la victoire du Parlement et à l’abolition de la monarchie par les républicains et les puritains.

Le nouveau gouvernement, mené par Cromwell instaure une République dont Cromwell se fait proclamer Protecteur. Afin d’empêcher les arrestations abusives, le Parlement adopte en 1679 une loi d’Habeas Corpus garantissant la liberté individuelle. Les arrestations sans motif et les emprisonnements sans jugements sont ainsi interdits.

Mais le Parlement est divisé en deux camps : les Whigs, attachés aux privilèges du Parlement et opposés aux Catholiques, et les Tories, fidèles au roi et aux Catholiques.

Après la mort de Charles II en 1665, son successeur Jacques II a suscité rapidement le mécontentement des Anglais et les Whigs parviennent à s’entendre avec quelques Tories pour le renverser (1688) et mettre sur le trône sa fille et son gendre protestant, Guillaume d’Orange,

L’année suivante, le Parlement impose au nouveau roi une Déclaration des droits (1689) qui limite le pouvoir royal au profit des deux chambres du Parlement :  la Chambre basse (House of Commons), élue, vote les lois et sanctionne le gouvernement, la Chambre haute (House of Lords), héréditaire, contrôle les lois.

L’Angleterre devient ainsi dès lors une monarchie parlementaire. Le roi ne peut lever des troupes sans l’accord du Parlement. Le Parlement, librement élu, se réunit régulièrement et vote les lois, la liberté individuelle est garantie, ainsi que la protection des citoyens.

La philosophie des lumières

En France, sous l’Ancien régime, où le roi concentre les pouvoirs, l’ordre social est fondé sur une répartition en trois ordres : le clergé (qui prie), la noblesse (qui combat) et le tiers-état (qui travaille). Des représentants des trois ordres peuvent être réunis pour des Etats généraux sur convocation du roi.

C’est en fait au XVIIIe siècle que la démocratie va se développer en France et aux Etats-Unis. En 1748 Montesquieu établit dans « L’Esprit des lois » les principes du régime parlementaire et de la répartition des pouvoirs. En 1762 Jean-Jacques Rousseau légitime dans « Le contrat social » la notion de souveraineté populaire.

Avec la Révolution française et l’influence de ses idées largement évoquées par les philosophes des lumières (Bayle, Diderot, Rousseau, Montesquieu, Voltaire…) ainsi que des auteurs anglais (Newton, Locke, Hume…), et allemands (Kant, Goethe…), le XVIIIe puis le XIXe siècle vont connaitre une large diffusion des fondements de la démocratie.

La philosophie des lumières inspire, ainsi, les rédacteurs de la Déclaration d’indépendance (1776) et de la Constitution des Etats-Unis (1787) dont Tocqueville, précurseur de la sociologie, va décrire la démocratie naissante, les bienfaits et les dangers. Elle inspire également ceux de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen durant la Révolution de 1789 qui aboutit à la convocation des états généraux par le roi, ouverts le 5 mai 1789 pour réunir en trois assemblées distinctes les représentants des trois ordres (noblesse, clergé et tiers état).

Le 17 juin, ceux-ci se déclarent Assemblée nationale, donc représentants de la Nation, titulaire du pouvoir. Durant la nuit du 4 août, l’Assemblée nationale constituante décide d’abolir les privilèges et d’élaborer la déclaration des droits de l’Homme puis de poser les bases de la future constitution, finalement votée le 3 septembre 1791. Tout en préservant la monarchie (« Les représentants de la nation sont le corps législatif et le roi »), le texte instaure la souveraineté de la Nation, le gouvernement représentatif de la France et organise la séparation des pouvoirs, confiée à des organes différents.

Censitaire [3], le mode du suffrage instauré n’est pas encore universel. Il distingue les citoyens actifs qui participent à la vie politique de la nation en tant qu’électeurs, et des citoyens passifs qui ne jouissent que des droits civils. Elue pour deux ans, l’Assemblée nationale législative siège en permanence. Elle ne peut pas être dissoute par le roi. Les ministres, nommés par le roi, ne sont responsables que devant lui et ne peuvent pas être membres de l’Assemblée.

Naissance de la République

Après l’abolition de la monarchie et la victoire des troupes révolutionnaires à Valmy, le 20 septembre 1792, la République est furtivement proclamée par la Convention nationale le 22 septembre, sur proposition de Danton. Puis les députés prêtent serment de fidélité à la République décrétée « une et indivisible ». En à peine quatre ans les Français sont ainsi passés d’une monarchie de droit divin, vieille de près de mille ans, à un régime républicain.

Un travail constitutionnel est alors engagé par la Convention. Royalistes, modérés et radicaux vont s’affronter jusqu’à la prise du pouvoir par les députés montagnards, déterminés à contenir les contestations des royalistes, des girondins et des modérés qui sont rétifs aux mesures d’exception. Le 6 avril 1793, les difficultés extérieures et intérieures amènent la Convention à créer un Comité de salut public présidé par Danton pour superviser le gouvernement et décider de mesures d’urgence. Robespierre parvient à évincer Danton et le remplace à la tête du Comité le 27 juillet 1793.

La chute de Robespierre, guillotiné le 28 juillet 1794, met fin à l’épisode de la Terreur. Une période marquée, cependant, par deux novations inspirées des droits de l’Homme : la première est l’instauration du premier suffrage universel masculin qui met fin au suffrage censitaire qui restreignait l’exercice des droits civiques à des personnes instruites et financièrement indépendantes. La seconde est la première abolition de l’esclavage par la constitution de l’an I (24 juin 1793) qui, en définitive, ne sera pas appliquée à cause de la guerre.

Si la révolution de 1789 a bien déclenché un changement historique dans notre Pays, la démocratie française s’est forgée progressivement et non sans heurts tout au long des années qui l’ont suivie : sous le premier empire (1804), la restauration (1814-1830), la deuxième République (1848), le second empire (1852), puis la commune (1871).

Ainsi, le soulèvement populaire de 1848, qui a mis fin au règne de Louis-Philippe (1830-1848) et abouti à la proclamation de la République par Lamartine sur les marches de l’Hôtel de ville de Paris, a mis fin en même temps à la monarchie de Juillet qui était un régime parlementaire à suffrage censitaire.

Pour pouvoir voter, il fallait alors avoir au moins 25 ans et 30 ans pour pouvoir être élu. Les femmes restaient en outre à l’écart. De ce fait une partie seulement de la population (environ 240 000 en 1848, soit 10% des hommes) pouvaient voter alors que le roi Louis-Philippe ne régnait pas sur le fondement du droit divin mais par consentement du peuple, fruit de la révolution de 1830.

Finalement, alors qu’une partie du gouvernement n’est pas favorable à une réforme de la loi électorale destinée à élargir le nombre des votants, un décret préparé par Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874) rétablit (le 5 mars 1848) le suffrage universel direct masculin instauré à l’élection de la Convention (1792-1795), remplacé par le Directoire (1795) puis rétabli lors du Consulat (9 novembre 1799-18 mai 1804) mais avec des difficultés d’application.                 Le nouveau décret fait passer le corps électoral de 240 000 à 9,6 millions d’électeurs âgés d’au moins 21 ans [4]. Le mode de suffrage de la France devient le plus large d’Europe.

La IIe République

C’est à ces électeurs qu’est confié la mise en place d’un nouveau pouvoir avec l’élection des députés de l’Assemblée nationale constituante (23-24 avril 1848) qui va élaborer la constitution de la IIe République du 4 novembre 1848.

Celle-ci instaure la distinction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, attribue l’exécutif à un Président, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon, élu au suffrage universel masculin.

Allié à des conservateurs trouvant le régime « trop avancé, le nouveau président organise un coup d’état en 1851 et instaure le Second Empire où l’empereur détient le pouvoir exécutif et exerce une influence sur le pouvoir législatif avec l’instauration des candidatures officielles aux élections et le recours aux plébiscites.

Sous le Second Empire (2 décembre 1852-4 septembre 1870), Napoléon III fait à cinq reprises appel au peuple en utilisant ce mode de suffrage pour des plébiscites. La défaite des troupes impériales face à la Prusse lors de la bataille de Sedan (1er septembre 1870) met fin au Second Empire (Napoléon III ayant été capturé, la France se retrouve sans chef d’Etat et politiquement divisée, alors que l’armée prussienne assiège Paris).

La IIIe République

Un gouvernement de Défense nationale est alors constitué par les républicains et la IIIe République est proclamée le 4 septembre 1870. Après un siège de quatre mois et demi, le gouvernement doit reconnaitre sa défaite. A l’Assemblée nationale les députés modérés l’emportent et, le 17 février 1871, élisent Adolphe Thiers premier président de la IIIe République. Le peuple de Paris se soulève en mars et une répression sanglante intervient du 21 au 28 mai 1871 (30 000 morts). En désaccord avec la majorité des députés, Thiers démissionne. Il est remplacé par le maréchal de Mac Mahon le 24 mai 1873.

Le 30 janvier 1875, l’Assemblée nationale adopte le régime républicain (par 353 voix contre 352) confirme le suffrage universel en l’inscrivant dans la loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics. Le Président de la République, élu pour sept ans à la majorité absolue par les deux chambres du Parlement réunies en Assemblée nationale, dispose de pouvoirs importants ; mais il peut être désavoué par l’Assemblée nationale et le Sénat et se trouve ainsi dépendant de leur vote.  Ses actes doivent, en outre, être contresignés par les ministres. Ceux-ci sont solidairement responsables de la politique générale du gouvernement et individuellement de leurs actes personnels.

L’instauration de la IIIe République par une majorité parlementaire conservatrice (plutôt monarchiste et bonapartiste) va durer près de 70 ans et susciter l’enracinement de l’identification du régime républicain à la nation française par une œuvre importante qui affermit la nation autour des principes de liberté, d’égalité et de fraternité hérités de la Révolution (Lois scolaires (1881-1882) de Jules Ferry instaurant l’enseignement primaire gratuit, laïc et obligatoire, l’apprentissage d’une même langue et d’une histoire commune, lois sur la liberté de la presse (1881) et la liberté syndicale (1884), séparation des pouvoirs de l’Eglise et de l’Etat (1905), fête nationale du 14 juillet, instauration de l’hymne national et de l’effigie de Marianne…).

Cependant les deux têtes de l’exécutif ne sont pas suffisamment fortes. La IIIe République est marquée par un certain effacement du chef de l’Etat (14 présidents se sont succédé de 1871 à 1940) et par une instabilité ministérielle qui voit se succéder 104 gouvernements de 1871 à 1940.

La deuxième guerre mondiale

En mai 1940, l’armée allemande [5] envahit la France, le gouvernement fait appel au maréchal Pétain qui signe un armistice, obtient les pleins pouvoirs du Parlement le 10 juillet, met fin à la IIIe République et installe une capitale à Vichy.

Quelques jours avant, le général de Gaulle, refusant le déshonneur de la France, est parti pour Londres d’où il vient de lancer son célèbre appel du 18 juin sur les antennes de la BBC. Les forces résistantes et les Français Libres se mobilisent et participent très activement à la libération de la France.

Le Gouvernement provisoire de la République, qui s’installe à Paris après la libération de la capitale fin août 1944, rétablit la légalité républicaine et envisage de mettre en place de nouvelles institutions. Le 21 avril 1944 le général de Gaulle signe l’ordonnance accordant le droit de vote aux femmes, « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes.

Le 21 avril 1945 le retour aux institutions de la IIIe République est rejeté par référendum. Le même jour, une Assemblée constituante est cependant élue. Celle-ci commence ses travaux le 6 novembre et, le 13 novembre 1945, choisit à l’unanimité le général de Gaulle comme chef de gouvernement.

Refusant de mettre en place un régime d’assemblée unique aux pouvoirs étendus, le général de Gaulle préfère démissionner le 20 janvier 1946 et un projet de constitution est rejeté par référendum le 5 mai 1946. Une nouvelle Assemblée constituante est élue le mois suivant. Les députés élaborent un nouveau projet, approuvé par une faible majorité le 13 octobre 1946 et promulgué le 27 octobre.

La IVe République

La nouvelle constitution consacre la souveraineté parlementaire et la primauté du pouvoir législatif, institue un Conseil de la République au rôle consultatif et établit l’Union française formée de la République française (métropoles, départements d’Algérie, départements et territoires d’outre-mer), des territoires sous mandat et des Etats associés par des accords internationaux.

Caractérisée par la prédominance du parlement sur le gouvernement dont il contrôle la composition et marquée par son instabilité gouvernementale (24 gouvernements vont se succéder entre 1947 et 1958) la IVe République voit se succéder les crises ministérielles.

Celles-ci sont favorisées par le mode de scrutin proportionnel (générateur de coalitions parlementaires instables) et une confusion des pouvoirs (le Parlement s’est dessaisi de sa compétence législative à plusieurs reprises en votant des pouvoirs spéciaux au gouvernement). Différentes coalitions se succèdent, dont le RPF et le PCF sont exclus.

Ainsi, l’opposition des radicaux, des socialistes et des communistes à la politique du gouvernement constitué par Edgar Faure en février 1955 conduit à une dissolution de l’Assemblée nationale le 1er décembre 1955 puis à des élections législatives le 2 janvier suivant.

L’Union de Défense des Commerçants et Artisans (UDCA) dirigée par Pierre Poujade y remporte plusieurs sièges alors que le Front républicain (radicaux proches de Mendès France, socialistes de la SFIO et Union démocratique et socialiste de la Résistance-UDSR- de François Mitterrand ne dispose que d’une majorité relative.

A l’issue de ces élections, Guy Mollet constitue un gouvernement (février 1956-mai 1957)

Tandis que la France poursuit sa reconstruction et met en œuvre, avec l’aide américaine, un programme de développement élaboré par le commissariat au plan dirigé par Jean Monnet, les partis constituant la « troisième force » ne s’entendent pas sur une politique économique et sociale.

Guy Mollet fait cependant adopter la 3e semaine de congés payés, la création du Fonds national de solidarité et, le 25 mars 1957, signe avec l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays Bas et l’Italie, le traité de l’Euratom et le traité de Rome créant la Communauté Economique européenne.

Mais au cours des années précédentes, après l’indépendance du Laos dans le cadre de l’Union française (19 juillet 1949) puis celle du Cambodge ( 9 novembre 1953), sont intervenus les accords de Genève (20 juillet 1954) mettant fin à la guerre d’Indochine et partageant le territoire vietnamien en deux Etats, le refus de la CED (Communauté Européenne de Défense, le 30 août 1954),  l’annonce de l’indépendance du Maroc (2 mars 1956), de la Tunisie (20 mars 1956) et la radicalisation du nationalisme algérien auquel le gouvernement de Guy Mollet ne parvient pas à faire face.

Celui-ci est alors remplacé par des personnalités issues des radicaux qui ne parviennent pas à obtenir le soutien d’une majorité stable, ce qui entraine, le 15 avril 1958, la chute du gouvernement de Félix Gaillard et la formation d’un gouvernement par Pierre Pflimlin.

Le 13 mai 1958 une manifestation à Alger dégénère en émeute. Le Comité de salut public qui se forme incite au retour du général de Gaulle. Le 19 mai, dans une conférence de presse au Palais d’Orsay, le général de Gaulle fait savoir sa disponibilité.  Le 28 mai, craignant un coup d’état militaire inspiré par l’Armée d’Algérie, le gouvernement de Pierre Pflimlin démissionne.

Fragilisée par la décolonisation et le rôle prédominant du Parlement, minée par l’émiettement de formations politiques affaiblies par des divisions internes et des rivalités qui contribuaient à son instabilité ministérielle, la IVe République a vécu.

La naissance de la Ve République

Le 29 mai 1958, le Président de la République, René Coty, convoque les dirigeants de partis à l’Elysée puis annonce qu’il a décidé de faire appel au « plus illustre des français » pour le charger de former un nouveau gouvernement et réformer les institutions.

Le nouveau président du Conseil forme aussitôt un gouvernement d’union nationale dont les quatre ministres d’Etat sont Guy Mollet (SFIO), Pierre Pflimlin (MRP), Félix Houfouet-Boigny (UDSR) et Louis Jacquinot (Indépendants). Il confie au Garde des Sceaux, Michel Debré, la préparation d’un nouveau projet de constitution. Le projet est ensuite soumis à l’avis d’un comité consultatif constitutionnel composé de membres du Parlement puis à celui du Conseil d’Etat.

Adopté en conseil des ministres le 3 septembre 1958, le projet est présenté aux Français le 4 septembre par le Général de Gaulle, approuvé par referendum le 28 septembre (81,69% des 38 millions de votants) et la Constitution de la Ve République est promulguée le 4 octobre 1958.

Conçue comme un régime parlementaire « rationnalisé », la Ve République est dotée d’un exécutif fort et le gouvernement, en disposant d’une certaine maitrise de la procédure législative, a les moyens de conduire la politique de la Nation en s’appuyant sur une majorité stable et cohérente à l’Assemblée nationale. Une politique de redressement et de réformes qui va permettre à la France d’affirmer son indépendance et de retrouver sa grandeur.

De l’antiquité à nos jours, un chemin long et difficile…

La démocratie est un chemin parsemé d’obstacles. A l’époque de la démocratie athénienne, on observe déjà des cas de corruption et des propos à caractère démagogique de politiciens cherchant à se faire élire ; les inconvénients de l’oligarchie et ceux d’un trop long exercice des charges publiques apparaissent. L’exercice du droit de vote et les modes de scrutin suscitent des contestations et des changements successifs…

A la fin du XVIIIe siècle et au XIXe, la démocratie a déjà fait l’objet d’innombrables débats, de nombreuses publications sur les différents types de démocratie, les applications aux Etats Unis à partir des expériences européennes et Alexis de Tocqueville, envoyé en mission aux Etats Unis pour étudier la démocratie représentative, souligne à son retour la novation d’un régime démocratique doté d’un équilibre des pouvoirs avec un Président, un Congrès et une Cour suprême dont la séparation permet qu’aucun individu ne puisse abuser d’un pouvoir centralisé.

Tocqueville observe que le système démocratique américain est garant des libertés et soucieux d’une égalité des conditions à trois composantes : l’égalité des droits, l’égalité des chances et l’égalité de considération permise par la diffusion des connaissances et l’améliorations des conditions de vie des populations. Le philosophe évoque toutefois le risque d’un affaiblissement des libertés individuelles si les individus appuient leurs opinions sur celle de la majorité.

La mise en œuvre de la démocratie sociale

En France, Louis Blanc, l’un des fondateurs du socialisme humaniste, écrit en 1839 dans son livre « L’organisation du travail » qu’on ne saurait imaginer une véritable « République sociale » sans une démocratie à la fois politique et sociale. Quelques mois après la révolution de 1848, les députés républicains démocrates et les socialistes s’entendent face au parti de l’ordre et s’allient en créant le parti « démocrate socialiste » en février 1849. La IIIe République instaure ensuite les lois de 1884 et 1901 sur les syndicats et les associations ; puis un Comité de la démocratie sociale voit le jour en 1905 pour promouvoir l’idée que les acteurs de la société civile, notamment les acteurs économiques et sociaux, ont un rôle à jouer à côté de l’Etat [6].

Cette philosophie fait son chemin, l’idée est prise en compte dans la loi de 1919 sur les premières conventions collectives puis le 16 janvier 1925 lors de la création du Conseil national économique (devenu l’actuel Conseil économique, social et environnemental) par le gouvernement du Cartel des gauches dirigé par Edouard Herriot. Les syndicats ouvriers, patronaux et agricoles ainsi que des représentants de différentes associations représentatives y siègent avec des attributions purement consultatives portant, pour l’essentiel, sur la situation économique de la France des années 1930 et sur les politiques publiques.

La fin du Front populaire et le vote des lois sociales de 1936 vont renforcer le rôle du Conseil national économique en lui donnant l’occasion de donner un avis sur les projets d’instauration de la semaine de travail de 40 heures et sur l’extension obligatoire des conventions collectives.

Supprimé par le régime de Vichy, le Conseil économique est réorganisé à la Libération pour répondre au souhait du Conseil national de la Résistance qui se prononce pour « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale. Pour sa part, l’ancien Président du Conseil du Front populaire Léon Blum publie à la même époque un livre écrit en captivité (« A l’échelle humaine ») dans lequel il estime que « La démocratie politique ne sera pas viable si elle ne s’épanouit pas en démocratie sociale ».

Le premier article de la Constitution de 1946, puis de 1958 va dès lors stipuler : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La démocratie sociale a, par la suite, fait l’objet de différentes avancées dont les lois Auroux de 1982 et Larcher de 2007.

Au fil des décennies, la remise en cause de la monarchie, les notions de démocratie et de suffrage universel ont progressivement mené aux conceptions modernes de la démocratie occidentale : égalité civique, élections libres [7], pluralité des partis, séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, garantie d’exercice des libertés publiques fondamentales, puis, après la Seconde guerre mondiale, droits économiques et sociaux, droit au travail, droit de grève, liberté syndicale, dialogue social dans les entreprises, droit d’asile, droit à la santé, à l’éducation, à la protection de la famille, aux loisirs…

L’évolution de la démocratie en France et en Europe occidentale à la suite des mouvements révolutionnaires qui, à partir de 1848, ont abouti à la mise en place de nouveaux régimes dans plusieurs pays européens se traduit dans les années 1920 et 1921 par des différents idéologiques entre la gauche réformiste (socialiste) et la gauche communiste soucieuse d’instaurer la dictature du prolétariat et un parti unique.

Après les dures épreuves de la guerre de 1939-1945 le désir d’une paix durable fait aussi émerger au milieu du XXe siècle le projet de coopération (CECA et Marché commun) puis d’Union européenne, sur l’évolution de laquelle s’expriment des divergences entre les partisans d’une Europe fédérale (supranationale) et ceux d’une Europe confédérale (respectant la souveraineté des pays membres).

De leur côté, les politiciens marxistes estiment que si les citoyens sont théoriquement égaux devant la loi et le suffrage, les entreprises dont seuls les dirigeants déterminent la politique soumettent les travailleurs à une organisation qui leur est imposée tandis que les moyens de communication sont aux mains de la classe dirigeante ou des puissances d’argent et que l’égalité des chances est altérée par un système d’enseignement favorisant les classes aisées.

Les partis communistes des pays européens ont au fil du temps gommé progressivement la théorie de la dictature du prolétariat et semblent admettre aujourd’hui que la construction du socialisme peut s’envisager dans le pluripartisme.

Les politiciens occidentaux, tout en critiquant les pratiques dictatoriales, paraissent considérer, pour leur part, que l’approfondissement  de la démocratie correspond à une évolution permettant de passer progressivement d’une démocratie politique où les élus (nationaux ou territoriaux) sont proches des principaux partis politiques (ce qui favorise le jeu des alliances et transforme les élections locales en « test national ») à une démocratie économique et sociale où les organisations syndicales et les associations de consommateurs, de défense de l’environnement et d’autres préoccupations d’intérêt légitime ont davantage la possibilité d’exprimer leur point de vue dans un contexte de démocratie participative.

La démocratie participative

A la suite des mouvements sociaux des années 1960-1970, différentes formes d’association des citoyens au processus de décision politique ont, ainsi, été progressivement mis en œuvre, en premier lieu dans les communes avec le « droit des habitants de la commune  à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent », la mise en place de comités de quartiers, d’ateliers d’urbanismes, de conseils municipaux de jeunes, de budgets participatifs et, à partir de 1995, de comités consultatifs sur tout problème d’intérêt communal. Plusieurs villes se sont aussi dotées d’un Conseil économique, social et environnemental composé d’habitants acceptant de discuter utilement des projets locaux sans pour autant s’engager politiquement.

Puis la révision constitutionnelle de 2003 a créé un article 72-1 qui autorise les électeurs à demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de leur collectivité d’une question relevant de sa compétence (droit de pétition locale) et, sur le même fondement constitutionnel, les collectivités territoriales peuvent soumettre à referendum local tout projet de délibération ou d’acte relevant de leur compétence.

Depuis 2005, les collectivités peuvent demander leur avis aux électeurs sur un projet de décision locale et les électeurs eux-mêmes peuvent exercer le droit d’initiative citoyenne pour prendre l’initiative d’une telle consultation.

La démocratie participative s’exerce également au niveau national sous la forme d’enquêtes publiques, de concertations ou de débats publics sur les grands projets d’aménagement et d’infrastructure, de consultations ouvertes sur internet, et la révision constitutionnelle de 2008 a autorisé le referendum d’initiative partagée (initiative parlementaire soutenue par les citoyens).

De leur côté, les pouvoirs publics ont aussi la possibilité d’organiser des états généraux et des conférences ou des conventions (sur le climat, la fin de vie, etc.) pour évaluer des orientations et des projets de décisions. Et le Président de la République a lancé le 8 septembre 2022 le Conseil national de la Refondation, chargé réfléchir aux grandes transitions (démographique, écologique, productive…) et de proposer des solutions fondées sur la concertation.

Ce Conseil est complété par des CNR territoriaux et des CNR thématiques (différents constitutionnalistes ont évoqué, à l’annonce de cette création, leur crainte d’une atteinte concurrentielle au travail des commissions parlementaires).

Enfin, les citoyens disposent du droit d’adresser des pétitions écrites à l’Assemblée nationale, au Sénat et au Conseil économique social et environnemental. Toutefois, ce droit est encore peu utilisé.

Dans son ouvrage « Citoyen du monde » [8] paru l’année dernière, l’économiste indien Amartya Sen, co-inventeur de l’indice de développement humain et enseignant à l’université d’Harvard, souligne que « la démocratie est le gouvernement de la liberté d’opinion ; et il n’y a pas de meilleur choix pour favoriser le progrès et une meilleure répartition des richesses ».

De son côté Natacha Polony, journaliste politique de talent, estime dans son ouvrage « Sommes-nous encore en démocratie ? » [9] : « Il n’existe pas de véritable démocratie sans la volonté de partager un destin commun, ni la capacité à délibérer pour définir ensemble ce destin ».

Menaces sur la démocratie

Mais la démocratie est fragile. On le constate aujourd’hui en France alors que notre Pays est confronté à une fragmentation de son corps social [10] et à une succession de contestations et d’insoumissions qui cherchent à replacer les citoyens dans le processus de réforme et à affaiblir la légitimité des autorités institutionnelles dès lors que leur point de vue n’est pas pris en considération [11].

Dans différentes régions du monde, elle est aussi menacée par des affrontements hégémoniques ou religieux incompatibles avec ses fondements. Selon l’index de la démocratie dans le monde, publié par ‘’The Economist’’ en février 2022, seuls 21 pays sur 165 sont des démocraties complètes [12].

Dans une véritable démocratie les citoyens sont égaux et soumis aux mêmes lois, sans distinction philosophique, religieuse ou sociale. S’il n’exerce pas directement le pouvoir, le peuple décide souverainement par l’intermédiaire de ses représentants élus, ou directement par voie de referendum.

De la séparation des pouvoirs

Si le pouvoir ne peut s’exercer en dehors de la Loi, ses fonctions législative, exécutive et judiciaire doivent respecter le principe de séparation et admettre que la diversité des opinions et donc des formations politiques rend possible le changement de majorité d’une élection à l’autre et par conséquent, quand les électeurs le décident, l’alternance qui garantit le bon exercice de la démocratie et un pacte républicain qui a conduit ces derniers mois les Français à critiquer une pratique des institutions qu’ils estiment trop présidentialisée.

Certes, le chef de l’Etat a une conception en surplomb de la conduite des affaires. Mais, en définitive, il est à la tête de l’Etat et doit conduire le Pays en tenant compte d’une multitude d’objectifs, de contraintes et d’obstacles tout en veillant à proposer à la France et aux Français des perspectives d’avenir porteuses à la fois d’épanouissement individuel et collectif quel que soit leur âge, leur situation personnelle ou professionnelle, et de cohésion nationale indispensable à l’affirmation de la souveraineté de notre Pays dans un environnement international dont l’équilibre est aujourd’hui particulièrement fragile.

L’Etat ne se gère pas comme une entreprise et n’en a pas les objectifs. Même si dans les périodes critiques le régalien s’impose, il lui appartient de rechercher un équilibre des politiques publiques avec le marché tout en jouant un rôle essentiel dans la régulation des rapports sociaux et dans la mise en œuvre de la modernisation. Il lui faut donc s’appuyer sur une conception conjuguant une approche politique et une approche administrative.

Il lui faut aussi prendre en compte le droit de l’Union européenne, dont la primauté sur le droit des états membres, reconnue formellement le 15 juillet 1964 lors d’un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, est aujourd’hui prise en compte par toutes les juridictions, qu’il s’agisse des traités et des protocoles associés ou du droit européen dérivé (règlements, directives, décisions).

L’Union ne peut agir cependant que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être suffisamment atteints par les Etats membres (principe de subsidiarité). En outre, le contenu et la forme de son action ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités (principe de proportionnalité).

En 1956, Albert Camus considérait que « L’Etat peut être légal ; mais il n’est légitime que lorsque, à la tête de la nation, il reste l’arbitre qui garantit la justice et ajuste l’intérêt général aux libertés particulières ». Et dans son discours au Conseil d’Etat, le 28 février 1960, le général de Gaulle a souligné : « Il n’y a eu de France que grâce à l’Etat. La France ne peut se maintenir que par lui. Rien n’est capital que la légitimité, les institutions et le fonctionnement de l’Etat ».

Le modèle social-démocrate fondé sur l’égalité des citoyens, la redistribution sociale, une gamme importante de services collectifs publics et sociaux et un niveau élevé de protection sociale indépendant de la situation des individus n’a cessé d’être rénové. Cependant la pratique actuelle des institutions de la Ve République mises en place par le général de Gaulle et Michel Debré en concertation avec des parlementaires expérimentés parait actuellement souffrir d’une verticalité excessive de l’exercice du pouvoir engendrant différentes formes de ressentiment.

Il est reproché à celui-ci une insuffisance de discussion avec les corps intermédiaires et les partenaires sociaux, dont beaucoup se sentent humiliés, au profit de décisions trop souvent mal comprises car insuffisamment expliquées.

Différents analystes estiment que la crise sociale, abondamment commentée sur les chaines d’information, dans les autres médias et sur les réseaux sociaux, pourrait, si l’exécutif n’y prend garde, se transformer en crise politique plus profonde attisée par l’inflation, l’insécurité, la contestation des processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques, l’absence de dialogue social et la crainte de fins de mois plus difficiles.

Il faut donc revitaliser les institutions de la Ve République et mettre en œuvre le réarmement moral des Français dans un environnement rendu complexe par les tensions intérieures, les affrontements extérieurs et l’exigence d’un plan d’actions scientifiques, économiques et sociales permettant à la France de demeurer maitresse de son destin.

Que faire quand l’édifice institutionnel est fragilisé ?

Comme l’affirme Arnaud Teyssier dans une tribune récente « les révisions constitutionnelles successives ont abimé les institutions de la Ve République » [13]. L’historien, président du conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle, rappelle que le Général, recevant son proche collaborateur Bernard Tricot en Irlande, après son départ du pouvoir, lui a dit que « Les institutions continueront de fonctionner si l’on sait s’en servir » ajoutant qu’il en avait fait lui-même la  démonstration : « pouvoir de désigner et remplacer le Premier ministre, pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, usage de l’article 49,3, élection du Président de la République au suffrage universel, recours au referendum… ».

Encore faut-il s’efforcer d’entretenir la légitimité qui permet de faire face aux guerres d’influence, aux insoumissions et aux contestations des forces d’opposition rêvant de « faire vivre la France au rythme d’une nouvelle gouvernance » dont un retour au mode de scrutin proportionnel ramènerait notre Pays aux tristes moments d’instabilité qui ont caractérisé et fragilisé la IVe République.

Un impératif : le souci constant de l’intérêt supérieur du Pays

Plus de cinquante ans après la mort du Général de Gaulle, le monde a bien changé. La France et l’Europe traversent une période difficile. Les rivalités entre les nations, entre nations et continents, entre continents et civilisations sont vives. Le Gaullisme n’est ni une religion, ni une doctrine. C’est une conception murie et pragmatique de l’action dans le souci constant de l’intérêt supérieur du Pays.

Cette approche repose à la fois sur des réalités historiques, culturelles, démographiques et géographiques, sur des valeurs philosophiques, sur une prise en compte réfléchie des circonstances et des réalités, et sur une capacité d’application dont les principes demeurent, mais dont la traduction opérationnelle est fonction des circonstances.

Depuis plus d’un an, le monde fait face à l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, à des tensions préoccupantes dans d’autres régions et sur d’autres continents, à des mutations qui interrogent, et fragilisent les équilibres, à des défis technologiques source d’enjeux nouveaux de souveraineté.

Dans le même temps, après deux années de crise sanitaire génératrice de nombreuses difficultés pour sa population, notre Pays fait face à une crise sociale [14] risquant d’affaiblir son édifice institutionnel [15] à un moment où, par son comportement au cours des derniers mois, une partie du peuple français souhaite être associée plus directement aux décisions qui peuvent changer son avenir.

Dans un tel contexte, la pensée du général de Gaulle, son pragmatisme réfléchi face aux situations les plus difficiles et à des acteurs imprévisibles, constituent une source d’inspiration féconde pour éclairer la pensée et l’action dans le souci du bien commun et de l’intérêt des jeunes générations.

À l’évidence, le monde est en train de changer. Face à la montée des régimes autoritaires, les sociétés démocratiques n’ont plus vraiment la même cohésion qu’elles avaient à l’époque de la guerre froide. Mais si les déséquilibres actuels sont porteurs de risques, ils sont aussi porteurs d’opportunités.

 Il est donc indispensable de bien les cerner pour ajuster notre vision de l’avenir et déterminer des objectifs tenant compte à la fois de l’intérêt des Français, de la complexité des relations avec nos partenaires européens et les autres puissances (actuelles et émergentes), et de notre capacité à « accompagner » les changements en cours pour éviter d’avoir à les subir.

Car pour que la France demeure un beau et grand pays, il faut qu’elle soit, pour les générations actuelles et futures, une ambition forte et partagée, à la hauteur de son histoire, de son rang et de son destin, plutôt qu’une somme d’intérêts catégoriels et de combinaisons partisanes qui ne peuvent que l’affaiblir.

Jean-Marie Dedeyan
Le 17 avril 2023

[1] Au fur et à mesure de l’extension de son empire, Rome a donné droit de cité à un grand nombre d’habitants de l’Empire ; puis un édit de Caracalla (212 après JC) a accordé la citoyenneté à toute la population y résidant.

[2] À la fin du XIIIe siècle les grandes villes d’Italie ont créé une école de commerce.

[3] Le suffrage censitaire est un mode de suffrage par lequel seuls les citoyens dont le montant des impôts directs dépasse un seuil (le Cens) sont électeurs. Ce suffrage peut aussi être indirect quand les citoyens actifs élisent des électeurs du second degré (aux revenus plus élevés) qui, à leur tour élisent les députés.

[4] Tous les Français âgés de 21 ans et jouissant de leurs droits civils sont désormais électeurs. Le droit d’être élu est accordé à tout électeur âgé de plus de 25 ans. C’est après la deuxième guerre mondiale que le droit de vote a été accordé aux femmes par une ordonnance du général de Gaulle du 21 avril 1944, puis aux militaires par une loi de 1972.

[5] Pour mémoire : Lors de l’arrivée d’Hitler à la chancellerie en 1933, les nazis ont mis fin au régime républicain promulgué à Weimar en 1919 à la suite de l’effondrement du régime impérial et faisant de l’Allemagne un état fédéral, le Reich. Celui-ci était composé de 17 états autonomes (landers) représentés au Reichsrat qui partageait le pouvoir législatif avec le Reichstag dont les députés étaient élus au suffrage universel. Le président du Reich, élu au suffrage universel pour sept ans, nommait le chancelier (responsable devant le Reichstag) et les membres du gouvernement.

[6] Article de Michel Noblecourt « La démocratie sociale, cet art oublié du compromis» publié par le quotidien Le Monde, le 18 mars 2020

[7] À ce jour, sont exclus du droit de vote les jeunes n’ayant pas encore 18 ans et les étrangers n’ayant pas la nationalité d’un des pays membres de l’Union Européenne. Le traité de Maastricht (1992) a institué une citoyenneté européenne. Tous les citoyens d’un des pays membres de l’Union Européenne peuvent désormais voter et se présenter dans l’Etat membre où ils résident lors des élections municipales et européennes. La Constitution (article 88-3) dispose cependant qu’ils ne peuvent devenir ni maires, ni adjoints.

[8] Citoyen du monde. 496 pages. Éditions Odile Jacob. 2022

[9] Sommes-nous encore en démocratie ? Éditions de l’observatoire. 96 pages.

[10] L’archipellisation de la société française observée par Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, dans son livre « L’archipel français, naissance d’une nation multiple et divisée» publié aux éditions du Seuil (384 pages) et distingué par le prix du livre politique 2019.

[11] L’historien Jacques Julliard écrivait déjà il y a deux ans : « Nous ne sommes plus une république de citoyens mais une république d’individus revendicatifs» (Le Figaro du mardi 6 avril 2021, p.15)

[12] Selon cette étude, en 2021, le pays le plus démocratique était la Norvège ; l’Afghanistan figure, lui, en dernière position du classement. Les « démocraties complètes » sont surtout situées en Europe du Nord (Norvège, Danemark, Suède, Finlande, Islande, Irlande, Royaume Uni, Allemagne). Mais la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Belgique sont rétrogradés au rang des pays à démocratie défaillante en raison des restrictions de liberté individuelles du fait des mesures mises en place pour freiner la pandémie de Covid-19. Le Canada, le Japon, la Corée du Sud, la Suisse, la Nouvelle Zélande, l’Uruguay, le Costa Rica sont considérées comme des « démocraties complètes » tandis que les Etats-Unis, Israël, le Brésil et l’Afrique du Sud sont classés parmi les pays à démocratie défaillante. Les autres pays figurent soit dans la catégorie des pays à régime autoritaire, soit dans celle des pays à régime hybride.

[13] Arnaud Teyssier : « Les institutions de la Ve République fonctionnent… à condition de savoir s’en servir » Le Figaro du lundi 20 mars 2023 page 18.

[14] Le baromètre de la confiance, issu d’une enquête réalisé chaque année auprès d’échantillons nationaux des électeurs de France, d’Allemagne, d’Italie et de Grande Bretagne a confirmé en février dernier pour la France que, depuis la crise des gilets jaunes (manifestant contre la hausse des carburants et des prélèvements obligatoires, la baisse du pouvoir d’achat et les tracasseries administratives), le niveau de confiance envers les institutions politiques est au plus bas. 64% des Français estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien dans notre Pays. Au moment où cette enquête a été réalisée, l’Assemblée nationale et le gouvernement n’inspirent confiance qu’à 26% des interviewés, 60% se déclarent insatisfaits du gouvernement (contre 47% des Allemands, 37% des Italiens et 49% des Britanniques).

Les seuls échelons politiques inspirant de la confiance aux interviewés sont les institutions locales (conseils municipaux et départementaux). L’altération de la confiance pourrait également s’expliquer par la perception d’une société qui ne tient pas ses promesses et qui est marquée par les insatisfactions inhérentes à l’ascension sociale, au rendement des diplômes, aux opportunités professionnelles et au mérite individuel. Ce baromètre montre d’ailleurs que 75% des Français estiment que le Pays a perdu sa boussole morale.

Cependant, une autre étude, réalisée en janvier 2023 par le cabinet Kearney sur les investissements directs à l’étranger montre, paradoxalement, que la France reste attractive pour les investisseurs. Il ressort en effet des interviews réalisées auprès de 538 dirigeants de grandes entreprises sur les marchés ouverts aux investissements que la France se trouve à la 6e place mondiale en matière d’attractivité.[15] Le Conseil constitutionnel a validé le 14 avril l’essentiel de la réforme du gouvernement sur les retraites. Il a déclaré conforme à la Constitution l’article 7 du projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 reportant l’âge légal de liquidation des droits à la retraite de 62 à 64 ans. Il a cependant invalidé six dispositions du texte, estimant qu’elles « ne relèvent pas du domaine obligatoire des lois de financement de la Sécurité sociale et auraient pu figurer dans une loi ordinaire ».

Le Conseil constitutionnel n’a, d’autre part, pas validé le processus de referendum d’initiative partagée (RIP) initié par plus de 250 députés et sénateurs de la gauche parlementaire. Ceux-ci, qui s’attendaient à ce rejet, ont déposé dès le 13 avril une nouvelle proposition de RIP sur laquelle le Conseil constitutionnel se prononcera le 3 mai. Si le texte est jugé recevable, un referendum ne pourra être organisé que s’il reçoit l’approbation de 4,88 millions d’électeurs (10% du corps électoral).

Le Président de la République a promulgué la loi retardant l’âge de la retraite dès le lendemain de la décision strictement juridique des neuf sages du Conseil constitutionnel. Cependant, même si l’objectif de l’exécutif est atteint, les contestations sur la méthode employée continuent à mobiliser les oppositions tandis que le gouvernement s’efforce de rétablir le dialogue avec les partenaires sociaux et recherche des perspectives de concertation par thèmes avec les parlementaires Républicains pour parvenir à l’adoption de futurs projets et trouver la voie d’une relance constructive et apaisée.

Ndlr : Les lecteurs intéressés peuvent retrouver en cliquant sur les liens ci-dessous deux autres articles publiés dans la Lettre d’information de la Fondation sur la Nation et sur l’État :

X